Parlons des petits repas, dans la tradition québécoise. No 1

Il est important de signaler que la notion de « petit repas » a beaucoup changé au cours des ans, selon nos ethnies fondatrices. Chez les autochtones de la grande famille algonquienne, on ne prenait que 2 repas par jour, un le matin au lever du soleil, et un autre en fin de journée. La grosseur du repas dépendait plus de ce qu’on avait à manger que du moment de la journée.

Par conséquent, la notion même de petit repas n’existait pas, même si plus souvent qu’autrement, on vivait des périodes de famine où la nourriture était rare de sorte qu’on devait partager le peu qu’on avait entre les membres du groupe familial. On vivait plus souvent de petits repas que de gros repas. C’était la même chose dans les groupes de langue inuit. Quant aux peuples de langue iroquoienne, on prenait le petit repas le matin; le déjeuner se composait principalement de sagamité accompagnée de petits fruits sauvages frais ou séchés. Pendant la journée, on prenait plus des collations qu’un autre petit repas. Chez les Français du XVIIe et du XVIIIe siècle, le petit repas de la journée, en excluant le déjeuner, se prenait le soir, particulièrement en hiver.

En été, il arrivait qu’on déplace le repas principal du midi, le soir, parce qu’on était loin de la maison, le midi. Dans les familles anglophones, c’était la même chose; le repas principal se prenait le midi et le petit repas, pendant la soirée, avant d’aller dormir, parce qu’on avait une grosse collation en fin d’après-midi. On soupait vers 20.30, 21 h, avec des viandes froides et des restes du midi cuisinés en plats froids. Dans les familles francophones, on mangeait aussi les restes du midi qu’on réchauffait sur le poêle à bois, ou l’on se faisait une petite soupe rapide ou du lait bouilli sucré qu’on épaississait avec de la fécule.

Les choses ont changé au milieu du XIXe siècle. L’industrialisation du Québec créa une nouvelle répartition des repas. Comme les hommes travaillaient majoritairement dans des usines toute la journée, ils avaient peu de temps pour manger le midi; ils s’apportaient donc un lunch pour diner. Le gros repas de la journée était pris en famille, après la journée de travail. C’est pour cela, d’ailleurs que l’heure du souper avança au Québec. Lorsqu’on travailla jusqu’à 17 h plutôt que 18 h, on avança le souper aux alentours de 17 h. Même chose lorsqu’on arrêta le travail à 16 h, le souper fut avancé à 16.30 dans beaucoup de familles. Ce qui libérait la soirée pour faire du sport ou des activités récréatives quelconques. Cette répartition des repas se perpétua jusqu’à aujourd’hui. La différence, en ce début du XX1 siècle, c’est que le repas du midi est désormais appelé » le lunch » parce qu’il s’apporte de la maison, dans une boite à lunch. Dans les grandes industries, dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les centres d’achats, se sont ouverts des cafétérias ou des comptoirs de lunchs spécialisés pour le midi. On parle désormais d’un nouveau type de petit repas : le lunch du midi. Voyons comment cela s’est incarné dans notre histoire récente.

Les lunchs avec du pain.

Le pain appartient à la tradition européenne. Mais, un peu partout, on a garni le pain de différentes substances pour ajouter une saveur particulière à son gout plutôt neutre. Depuis l’époque des Normands, on connait les beurrées : ce sont des tranches de pain que l’on tartine de beurre puis auxquelles on ajoute souvent une garniture supplémentaire comme des rondelles d’oignon rouge, de radis, de concombre, des tranches d’œuf dur ou de la mélasse au XVIIe siècle, des charcuteries, de la confiture, de la gelée au XIXe siècle, et mille et un aliments locaux ou importés, au XX e siècle; je pense à la beurrée aux bananes, aux sardines en conserve, aux tomates, au beurre d’arachide ou d’amande, ou au nutella. La beurrée normande est devenue un sandwich ouvert ou un smørbrød scandinave aux 200 variétés de garnitures. Les Français ont inventé une beurrée chaude au gruyère et au jambon : le croque-monsieur et les Galois, une autre beurrée chaude, le welsh rabbit, aussi garni de fromage chester ou de cheddar.

Les Anglais ont multiplié les sortes de sandwichs à l’infini, depuis que leur célèbre John Montagu, 4e compte de Sandwich, décida de mettre une tranche de bœuf salé entre 2 tranches de pain, lors d’une passionnante partie de cartes, en 1762. Différentes sortes de sandwichs chauds et froids sont nés dans le monde par la suite, On connait les célèbres hamburgers et les hot-dog amenés aux États-Unis par des immigrants allemands; puis les sandwichs chauds popularisés d’abord dans les pensionnats américains puis dans les cafétérias canadiennes comme le hot chicken. Depuis le milieu du XXe siècle, on fait de nouveaux sandwichs avec les pains à hamburger et les pains à hot dog : ce sont les guédilles ou fanfans au homard, au crabe ou aux crevettes; se sont le hamburgers au saumon, au thon ou au porc haché. Les petits pains fourrés sont particulièrement populaires dans nos buffets : on les garnit avec du jambon haché à la moutarde, des salades d’œufs durs, des salades de poulet, de la truite mouchetée ou du saumon en salade. Certains petits pains fourrés sont ronds, d’autres sont ovales et semblables aux sous-marins. Ces grands sandwichs sont nés au Connecticut, des mains de boulangers d’origine italienne, tout comme les paninis. Les immigrants du Moyen Orient et de l’Asie ont amené les pains plats que les Américains ont rebaptisés les wraps. Les pains pita et les pains naan sont des sandwichs roulés, garnis de légumes et de viande liés par une sauce relevée. 

Le pain est utilisé, enfin, pour faire des croquettes de viande ou de poisson avec un liant comme des œufs ou une béchamel. Cette façon de faire porte différents noms selon les endroits, des tourtelets, des bourlets, des bourdings, etc.. Ces croquettes de pain sont frites dans un bassin d’huile et servies en lunch, le midi ou le soir, en fin de soirée.

Les lunchs avec des pâtes ou des céréales

Il existe plusieurs types de pâte en plus de la pâte à pain; il y a la pâte à crêpe, à tarte, à croute, à pizza, etc.. Plusieurs types de pâtes sont utilisés pour faire des lunchs. On les prépare souvent d’avance, on les garnit et on les apporte en lunch. Ceux-ci sont réchauffés sur place. Avec de la pâte à crêpe, on fait des crêpes de céréales ou de sarrasin, de sorgo ou de teff que l’on amène au travail, garnies de salades chaudes ou froides. Certaines cependant doivent se faire à la dernière minute comme les crêpes autochtones dans lesquelles on ajoute un reste de poisson ou de petit gibier. On les appelle des watasse, chez les Atikamekw. Les bucherons de la Côte-Nord en font des semblables qu’ils appellent des blasphèmes. Les gens des Iles-de-la-Madeleine en font avec du saumon en conserve. Plus souvent, ce sont des genres de crêpes qu’on fait, le midi, à l’heure du lunch, si on est chez soi. Avec de la pâte à tarte, on prépare des petits pâtés ou des chaussons en grande quantité qu’on apporte en lunch. Il ne reste qu’à les réchauffer sur place. Ce sont les petits pâtés ou les chaussons de porc haché qui sont les plus populaires. Les Écosso-Québécois on leur propre recette de chausson au porc haché qu’ils appellent des briddles. La mode des croutes nous vient de France; elle se faisait comme les croquemonsieur avec du pain français. Mais aujourd’hui, on les fait aussi avec une pâte à la poudre à pâte, facile et rapide à faire, que l’on garnit de multiples façons avec une sauce tomate, aux champignons, à la viande, au poisson ou aux fruits de mer. Chacun crée sa garniture à son gout. Cela s’apporte bien en lunch, au travail et se fait réchauffer facilement aux microondes. Les pizzas sont souvent choisies en lunch, dans les cafétérias par les gens de tous les âges. Plusieurs garnitures et combinaisons sont possibles mais les pizzas aux charcuteries ou végétariennes sont les préférées. Les pizzas aux fruits de mer ou aux aliments dispendieux sont plus réservées aux repas principaux de fête. Les pâtes alimentaires chaudes sont particulièrement populaires dans les cafétérias des écoles; les jeunes aiment beaucoup les pâtes. Plusieurs se contentent des sauces du commerce plutôt que se donner la peine de se faire des provisions de sauce familiale. Mais, bon, le commerce offre aussi beaucoup de variétés pour ceux qui en mangent souvent. Les pâtes froides sont plutôt mangées en salades de pâtes, avec des légumes et une protéine animale. Cela fait un repas complet. Enfin, les végétariens se font des pâtés végétariens qui sont souvent constitués d’un mélange de céréales, de légumineuses ou de noix. Cela fait aussi un repas complet en compagnie de crudités ou d’une salade. Enfin, tout le monde adore les salades de céréales en lunch : on les fait avec du boulgour, du quinoa, du riz, du kacha en combinaison avec des légumes, des herbes ou des épices.

Voilà pour cette semaine. On continuera avec les lunchs à base de pommes de terre, la semaine prochaine.

Michel Lambert