Soumis par Michel Lambert le
Les pâtés ont toujours eu une allure festive dans l'histoire de notre cuisine. Ce sont les Français qui les ont apportés au Québec, au début du XVIIe siècle. Et eux les avaient reçus des Romains. Lorsqu'on célébrait le nouvel an, à Rome, dans l'Antiquité, on faisait des pâtisseries rondes, des crêpes et des omelettes qui symbolisaient le retour de la lumière et du soleil, avec des jours plus longs que les nuits. Ce premier de l'An se célébrait au début de février. L'Église catholique a d'ailleurs gardé un souvenir de cette fête romaine de la lumière avec la fête de la chandeleur (chandelle), le 2 février et la tradition des crêpes encore à la mode, dans les années 1950, dans certaines familles québécoises. À l'origine, on faisait des pains qui s'appelaient torta ou tortus que l'on creusait et remplissait de viandes, de légumes ou de fruits en sauce. Ces pains farcis furent remplacés, en France, par une pâte non cuite, au Moyen-äge classique. C'étaient des compagnons pâtissiers qui savaient comment les faire et qui les vendaient dans leurs boutiques ou les rues, à l'occasion des grandes fêtes de l'année, comme au Jour de l'An. Lorsque les Français ont émigé au Québec, l'éloignement des maisons et la rareté des pâtissiers fit en sorte qu'on se mit à faire ces pâtés soi-même à la maison. Comme on tuait le porc, le veau et les volailles au début décembre, on faisait les pâtés avec ces viandes pour le temps des fêtes. Les pâtés de porc haché au couteau étaient les plus populaires parce que la tradition celtique leur donnait la première place dans le coeur des gens majoritairement de descendance celtique. -- On se rappellera que le porc était un animal sacré que les druides gardaient avec eux dans les forêts de chêne et de gui symbolaient la fécondité, l'abondance et la prospérité. L'été, on faisait davantage de pâtés de poulet, de poisson en sauce blanche ou des pâtés de fruits sauvages. L'automne, c'était le temps des pâtés de pommes et de gibier. Ces derniers ont d'ailleurs grossi en volume pour devenir nos célèbres cipâtes et tourtières de Charlevoix et du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les pommes de terre ont été intégrées aux pâtés à la fin du XIXe siècle seulement. Ainsi, on ajoutait des pommes de terre en dés, en lammelles ou en purée. Tout le monde connait les célèbres pâtés au saumon apparus en même temps que l'arrivée des conserves de saumon. Lorsqu'on n'avait pas de saumon, on le remplaçait par un autre poisson, un reste de viande, un légume et même une sauce blanche épaisse qu'on appelait simplement un "pâté aux patates".
En plus du caractère symbolique de la chaleur, de la lumière et de la rondeur du soleil, le pâté est en soi une enveloppe de quelque chose de caché, de secret et de mystérieux qu'on a tous hâte de découvrir et de déguster. Au Moyen-Âge, les pâtés étaient souvent de grosseur impressionnante et cahaient même plusieurs gros gibiers. On les décorait avec des bois de cerf, des plumes d'oies, des queues de faisan, etc. pour donner une idée de leur contenu prestigieux. Et on les apprtait devant les convives, en procession, avec des chandelles et de la musique. Le goûteur d'office goûtait le premier au pâté pour montrer devant tout le monde que le pâté n'était pas empoisonné. C'était une forme de cadeau.
On a conservé, au Québec, certains rituels semblables. Dans Charlevoix, par exemple, lorsqu'on faisait une tourtière au lièvre, on signalait, sur la pâte, par une croix de pâte, l'endroit où se trouvait la tête du lièvre. Cette tête était réservée, selon les familles, au père de famille, le pourvoyeur de tous, ou au chasseur du lièvre, quelque soit son âge. Les autochtones avaient des rituels semblables pour leurs propres pâtés (Pastenomitchew). Dans les fêtes, on dorait la pâte avec un jaune d'oeuf et du lait pour rendre la couleur du soleil encore plus évidente.
Au milieu du XIXe siècle, lorsque la farine de blé devint plus rare, on s'est mis à mettre de la pâte seulement sur le dessus des pâtés. Et les Irlandais ont été les premiers à remplacer cette pâte de blé par de la purée de pommes de terre, s'étant fait voler leurs champs de blé par les conquérants anglais.
La pâte a malheureusement mauvaise presse, aujourd'hui, à cause du gras qu'elle nécessite et du gluten de la farine de blé. Mais on peut contourner ces problématiques par d'autres farines et des gras végétaux, en maintenant le symbolisme et la profondeur identitaire de ce plat mational, à l'occasion du prochain Premier de l'An. Dans cet esprit, il vaut mieux faire ses pâtés que les acheter, n'est-ce pas?
Bonne semaine à tous.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec