Soumis par Michel Lambert le
Les herbes ont joué un rôle majeur dans notre histoire millénaire. Chez tous les peuples autochtones du Québec, elles étaient généralement associées au côté amer de la Vie, à la maladie ou aux périodes de disette alimentaire. Les shamans avaient recours aux herbes pour soigner leurs congénères. On les consommait surtout en tisanes pour calmer la faim ou de multiples malaises. Avec la christianisation des peuples autochtones, à partir du XVIIe siècle, la connaissance des herbes est passée du chaman à certaines femmes qui devinrent les pharmaciennes de leur communauté, comme on l'a vu jusque dans les années 50, dans les réserves et les villages québécois où les Métis étaient nombreux. Cette connaissance des remèdes traditionnels est passée chez les femmes blanches de ces communautés qui faisaient annuellement leurs cueillettes d'herbes pour purger le sang, faire baisser la fièvre ou les maux de ventre de leurs enfants. J'ai connu cette époque où ma mère nous soignait avec de l'herbe à dinde, des harts rouges et de l'écorce de tremble-feuille.
Mais pour les Français et les Britanniques d'origine, les herbes étaient plutôt le symbole de plaisir gastronomique. Elles brisaient la monotonie des soupes et des ragouts hebdomadaires. Mais, comme chez les autochtones, elles avaient d'abord été utilisées pour se soigner. L’utilisation d’herbes odorantes séchées remonte à l’antiquité. On sait que les Égyptiens, les Perses, les Arabes, les Juifs, les Grecs et les Romains y avaient recours pour se soigner. Ce n’est que par après qu’on s’est mis à en mettre dans les aliments, les tisanes et même les bains pour les parfumer. Au Moyen Âge, par exemple, on se baignait dans l’eau chaude parfumée de sauge séchée. Cela avait une fonction thérapeutique et hygiénique. Lorsque les Français se sont établis à Québec, ils gardèrent cette nouvelle coutume instaurée en France, à la fin de la Renaissance, pour parfumer les plats. Auparavant, on utilisait surtout les épices pour ce faire. Ils apportèrent même de France des feuilles de laurier séchées et des branches de fenouil séchées pour leurs bouillons de poisson. Par la suite, on mettait les herbes excédentaires du jardin à sécher, dans le hangar, pour en avoir tout l’hiver. On le faisait surtout avec le thym, la marjolaine, la sauge, la sarriette et le basilic. Ces herbes se conservent au moins 2 ans au sec, dans un bocal. Mais nos ancêtres celtes les conservaient aussi dans le sel.
La conservation des aliments au sel remonte au temps des Celtes, avant leur arrivée en France. Comme je l’ai raconté ailleurs, les Celtes ont découvert par hasard que le gibier qu’ils entreposaient dans les grottes où se trouvaient des mines de sel de gemme se conservait très longtemps. Ils apprirent à tirer profit de cette découverte aux autres peuples, comme les Germains et les Latins. C’est ainsi qu’au début de notre ère, ils passèrent tranquillement au sel marin qu’ils trouvaient en abondance sur les côtes du Nord-Ouest de la France. À quelle époque mirent-ils des herbes dans le sel pour en avoir en tout temps pour cuisiner? J’estime que la chose était connue avant la Renaissance puisque même les pêcheurs de morue français et basques qui venaient sur nos côtes, au début du XVIe siècle, se plantaient des herbes qu’ils mettaient au sel pour la soupe quand ils décidaient de rester au Québec, pendant l’hiver, pour terminer leur travail de séchage de la morue ou de fonte du gras de baleine. Cela démontre l’importance qu’ont toujours eue les herbes potagères dans notre patrimoine culinaire.
Nos mères ont modifié leur recette originale d’herbes salées, dans les années 1950, en remplaçant le sel par la congélation. Cela est arrivé au moment même où l’on découvrait les effets négatifs du sel sur la circulation sanguine. Elles eurent cette idée que j’ai moi-même adoptée. Il y a cependant une différence de gout que le sel ajoute aux herbes. Il faut simplement dessaler les herbes à l’eau courante si l’on veut, malgré tout, garder le gout traditionnel des herbes salées. Quant aux herbes à soupe congelées, le gout obtenu ressemble énormément au gout des herbes fraiches qu’on ajoute à nos soupes d’été.
Les soupes aux herbes québécoises que certains appelaient les "soupes vartes" ou les "soupes aux harbes" se faisaient avec de l'eau ou un bouillon de lard salé, du pain, du riz, de l'orge mondé ou perlé ou bien des pâtes alimentaires maison appelées de toutes sortes de nom, selon les régions. Ma mère faisait une soupe au riz de pâte et poulette grasse, aussi appelé chou gras, à tous les printemps. Ces soupes sont parmi les plus significatives de notre ancienne société. Elles rappellent, pour certains d’entre nous qui les ont connues, les temps difficiles de pénurie alimentaire et d’autre part, le bonheur de pouvoir enfin manger de la verdure après un long hiver; ce sont des soupes associées au retour de l’été et à la Saint-Jean-Baptiste. Revenons aux temps difficiles : lorsqu’au début de la colonie, on dépendait encore énormément de l’approvisionnement français pour se nourrir, les bateaux en question étaient retardés par des tempêtes ou des vents contraires. Ou bien, ils étaient attaqués et volés par des pirates. On devait alors se contenter de tout ce qui restait dans nos armoires de l’année précédente et faire appel aux denrées sauvages pour survivre. Les soupes au pain de gaudriole et aux herbes sauvages étaient alors courantes, dans nos maisons de Québec et de la Côte-de-Beaupré. Le pain de gaudriole était fait d’un mélange de céréales non panifiables comme l’avoine, le sarrasin, de farines de légumineuses comme les pois ou les gourganes et d’une farine panifiable comme le seigle et le blé. On l’appelait communément le pain noir. Cette pénurie alimentaire fut aussi vécue fréquemment par les premiers colons qui se sont installés dans les régions périphériques de la plaine du Saint-Laurent, du milieu du XIXe siècle au début du XXe, pour l'Abitibi et le Témiscamingue. Malgré ce passé négatif, la soupe au pain et aux herbes mérite encore sa place dans notre menu si on la fait avec un bon bouillon de viande maison.
Les herbes parfumaient aussi nos sauces d'acompagnement des viandes ou des poissons. Ces sauces remontent au début de la colonie française. On se rappellera que les Français mangeaient beaucoup d’herbes vertes en salades. Comme cela prenait du temps avant que le jardin ne donne ses premières feuilles vertes de salade ou d’épinards, on allait ramasser des herbes sauvages comestibles et aromatiques dans les champs et clairières autour de la maison. Ceux qui habitaient au bord du fleuve, ramassaient les herbes de la grève particulièrement aromatiques. Ce sont les chefs comme Laurier Therrien, Renaud Cyr et Marcel Bouchard qui ont remis ces sauces sur la table de leurs restaurants dans les années 1970. Je l’ai fait, comme chef dans les années 90 et 2000. Et de jeunes chefs continuent la tradition aujourd’hui.
L’idée d’ajouter des herbes aux vinaigres est d’origine européenne. Les Allemands et les Britanniques le font depuis au moins la fin du XVIIIe siècle puisqu’on en trouve des traces dans les livres de recettes de l’époque apportés en Nouvelle-Angleterre. Le vinaigre de menthe est l’accompagnement classique du gigot d’agneau britannique. Les Orléanais créèrent le vinaigre d’estragon au XIXe siècle. Ce dernier est arrivé au Québec dans les valises des immigrants français de la fin des années cinquante. Assez rapidement, les amateurs de vinaigres aromatiques eurent l’idée de faire eux-mêmes leurs vinaigres aux herbes du jardin avec les restes de bouteilles de vin qui tournaient justement en vinaigre. L’arrivée des vignobles québécois permet de nuancer et de personnaliser ces vinaigres de vin blanc auxquels on peut ajouter des herbes du jardin ou des prairies environnantes riches en saveurs moutardées.
Notre répertoire comprend une cinquantaine d'herbes sauvages et de jardin qui ont jadis parfumé nos soupes, nos bouillis, nos bouillottes et gibelotes, nos ragouts, nos sauces, nos salades et nos tisanes. La liste suivante vous en donne la description.
Michel Lambert, historien de la cuisine traditionnelle du Québec