Les céréales dans notre culture culinaire

Les céréales occupent une place majeure dans notre culture culinaire. Quelques nations de langue algonquienne, comme les Algonquins, le Ojibwés et les Népissings, cueillaient du riz sauvage qui constituait la base de leurs repas quotidiens; les Français l'appelaient la "folle avoine" et apprirent à le cuisiner à leur manière, dans des soupes, en mélange avec le riz asiatique qu'ils importaient de France, en provenance de la Chine. Les nations de langue iroquoïenne du Québec consomment du maïs-céréale depuis au moins 1 500 ans. Les Iroquoïens du Saint-Laurent et leurs cousins actuels, les Hurons et les Mohawks, consommaient chaque jour, de la farine de maïs et du maïs lessivé en combinaison avec les aliments de leur territoire: poisson, légumes de leurs jardins, racines sauvages, noix  et petits fruits sauvages. Le maïs était la céréale de base de toutes les nations amérindiennes des Amériques. Sa culture aurait été développée au sud du Mexique, par les Mayas, avant de s'étendre en Amérique Centrale, en Amérique du Sud, aux États-Unis,  jusque chez nous, au Québec, même à Chicoutimi et à Tadoussac, au XVe siècle. Les Français adoptèrent aussi le maïs céréale en s'installant au Canada, au début du XVIIe siècle. La sagamité à base de farine de maïs a fait le repas quotidien de bien des religieuses et de missionnaires jésuites, tel que le démontrent leurs rapports annuels envoyés à leurs correspondants européens.

Les premiers Européens à fréquenter les côtes québécoises, les Basques en particulier, apportèrent leur céréale préférée, le blé, qu'ils transformaient en farine, à Tadoussac. Ils initièrent même les Innus qui les aidaient à faire fondre le gras des baleines qu'ils chassaient sur nos côtes, à la cuisson de galettes de farine de blé, dans une poêlon de fonte noire ou direcetement dans le sable mêlé de braises, comme ils le faisaient chez eux. C'est le pain amérindien connu sous le nom de bannique, aujourd'hui. Le nom est d'origine écossaise transmis par les commis des postes de traite des fourrures, après la Conquête anglaise du Canada, en 1760. Mais la recette était connue par tous les pêcheurs français qui appelaient ce pain, de la "galette".

La galette, le pain au levain et la crêpe de farine de blé constituaient le repas de base du Québec, les 4 siècles derniers. Mais lorsque le blé ne venait pas pour des raisons climatiques, des épidémies d'insectes, des maladies fongiques ou l'appauvrissement des sols, on avait recours à d'autres céréales, d'autres grains ou  des légumineuses que l'on transformait en farine. Tout le monde se plantait, en plus du blé, de l'avoine, de l'orge, du seigle, du maïs, du sarrasin, des pois secs et des petits haricots secs. Quelques-uns ajoutaient des lentilles, des gourganes sèches et du mil.  Ces mélanges de farines s'appelaient de la gaudriole et constituaient la nourriture quotidienne de la majorité des fermiers, sous le Régime français. On se gardait un peu de farine blanche pour le dimanche étant donné que le gros de la farine de blé était vendu pour obtenir de l'argent sonnant permettant d'acheter les biens de première nécessité, souvent importés de France ou d'ailleurs, à fort prix, comme le sel, les épices, le riz, le vinaigre, l'huile d'olive, le vin et l'alcool. 

Au milieu du XIXe siècle, la plaine du Saint-Laurent devait abandonner la culture du blé à cause d'un insecte ravageur pour cette céréale et de l'épuisement des terres par manque d'engraissement adéquat et régulier. Les gens durent alors changer profondément leurs habitudes alimentaires: on dut réduire la consommation de pain pour la remplacer par celle de la pomme de terre, des gruaux d'avoine, des galettes de sarrasin, des soupes-repas à l'orge et aux légumineuses. L'importation croissante de farine blanche  de l'Ontario et de l'Ouest canadien remit le pain de ménage à l'honneur jusque dans les années 1960. Dans les années 1980, l'avènement des aliments santé et des farines entières favorisa le retour des blés traditionnels comme l"épeautre et le kamut. Dans les années 2 000, on fit même appel à d'autres céréales du monde pour faire face à la montée impressionnante de l'allergie au gluten de blé. Chia, teff, sorgho, amarante sont des mets nouveaux qui entrent dans nos moeurs, sans oublier d'autres féculents amenés par l'immigration africaine .

Mais actuellement, les céréales traditionnelles dont le blé, ont mauvaise presse auprès de certains régimes amaigrissants. Parce que ce sont des glucides, beaucoup de gens en réduisent la consommation pour ne pas prendre de poids. On ne bouge plus comme avant de sorte qu'on a moins besoin de glucides et de protéines. Le culte de la minceur pour des motifs d'apparence plus que de santé n'aide pas non plus leur présence à nos repas. Mais l'histoire de 10 000 ans des céréales démontre qu'elles ont été les grands agents de nos civilisation. Sans elles, l'Homo sapiens n'aurait jamais vécu en ville, construit des universités et atteri sur la lune! Nous devons l'évolution de notre espèce aux céréales!

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec