Soumis par Michel Lambert le
Mon titre témoigne de la complexité historique de cet agrume que les Français appellent faussement "citron vert". Faisons l'historique de cet agrume avec ses variantes présentes dans nos épiceries pour les démêler et mieux les choisir pour réaliser nos recettes traditionnelles ou nouvelles.
Le mot lime est un descendant du sanskrit nimbû. Le sanskrit était parlé sur le continent indien où la lime a été consommée en premier. Vous savez certainement que le sanskrit a donné naissance à la très grande majorité des langues indo-européennes, il y a au moins 4 000 ans. Les habitants ont quitté ce continent surpeuplé pour se répandre vers l'ouest en se diversifiant linguistiquement et culturellement. Avant d'arriver jusqu'à nous, le mot nimbû est devenu limu en persan, laymïn en arabe, lima en espagnol et lime en français, vers 1555. Mais tous les peuples d'origine indo-européenne comme les Grecs, les Romains, les Iraniens, les Celtes, les Germains et les Slaves ont un mot dans leur langue pour désigner cet agrume à l'origine même du citron. Les Angais qui sont d'origine germanique ont d'ailleurs conservé le mot laymïn arabe, traduit par lemon en anglais, pour désigner le citron, descendant de la lime. Il faut dire aussi, qu'en arabe, on confondait déjà la lime et le citron.
Soyons plus précis. "À partir de marqueurs cytoplasmiques et nucléaires, une publication franco-espagnole publiée en 2015 donne C. medica (le cédrat) comme géniteur mâle direct de C. aurantiifolia en combinaison avec C. micrantha (petite lime sauvage des Philippines)." ¹ Le Citrus aurantiifolia qu'on traduit, en français, par limette ou lime acide serait d'origine sud-asiatique, en particulier de la Malaisie ou des Philippines. Ce sont des marchands arabes qui l'auraient introduit au Moyen-Orient, avant le XIIe siècle de notre ère. Lorsque les Arabes conquirent l'Espagne, on le planta en Andalousie, au XIVe siècle, où le climat lui était favorable. Ce sont les Espagnols et leurs voisins portugais qui amenèrent la limette dans les Antilles, au Mexique et au Brésil. Elle fut aussi confortable dans le sud de la Floride dans l'archipel des Keys, Les Américains l'appellent d'ailleurs Key Lime. Le limettier produit des limettes en permanence; ses fruits sont petits et cueillis pour leur jus acide, avant leur pleine maturité, car ce taux d'acidité se perd avec le murissement qui rend le fruit plus sucré et plus doux. Les limettes sont surtout produites dans les Antilles, au Mexique et au Brésil de même qu'en Inde et en Indonésie.
Mais la limette (citrus aurantiifolia) n'est pas la seule lime que nous trouvons dans nos fruiteries ou nos épiceries. Il faut aussi parler de la lime à proprement parler, ou du Citrus latifolia en latin. Cette lime est plus grosse que la limette et ne porte pas de noyaux comme la limette. Son jus est aussi beaucoup moins acide que celui de la limette. Elle serait la descendante d'un citron femelle et d'une limette mâle. Mais son apparition sur nos marchés est récente et l'historique de son évolution franchement bizarre. Ce serait des marchands portugais qui l'auraient d'abord trouvée en Tunisie pour l'amener au Brésil. Des marchands tahitiens l'importèrent chez eux, en 1824, sous le nom de lime de Perse. Et des Californiens l'introduisirent chez eux à partir de Tahiti, entre 1850 et 1880, sous le nom de lime de Tahiti. De la Californie, cette lime plus grosse que la limette s'est propagée en 1930 jusqu'en Floride et au Mexique, puis dans les années 1950, dans les Antilles et même en Eapagne.
Les Américains et les Antillais utilisent les deux sortes de lime; la limette plus acide est privilégiée dans les vinaigrettes et les cocktails. La lime de son côté se marie très bien aux produits laitiers et au lait de coco pour faire des desserts moins intenses en acidité tout en donnant un joli parfum d'agrume.
Mais qu'en est-il du jus de lime au Québec?
Le mot lime est bien connu, chez nous, dans nos archives, mais il désigne essentiellement un instrument d'aiguisage pour les objets coupants comme la hache, les ciseaux, les scies ou les couteaux. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle qu'apparaissent la mention du jus de lime, en anglais. Le journal L'Événement de Québec parle du Stower's Lime Juice Cordial, le 7 aoüt 1897, et recommande de prendre cette boisson alcoolisée avec une bouteille de Seltzer. Le Devoir de Montréal, de son côté, parle de Cordiaux à base de jus de lime, en juillet 1920. Le Seven Up, fait à partir de jus de lime et de citron, apparait dans les mêmes années. On commence aussi à parler de la couleur "vert lime", mais on voit peu de limes dans les épiceries. Elles deviennent à la mode lorsque les Québécois vont faire leurs premiers voyages au Mexique et dans les Antilles où les barman locaux leur préparent de jolis cocktails avec du jus de lime et du rhum ou de la téquila comma la Margarita, le Mojito, le Mai Tai, etc. On ramène le gout de la lime de ces pays et l'on commence à se faire des "cevices" avec des poissons québécois. Mon enquête révèle qu'on commence à utiliser de plus en plus le jus de lime dans les années 1980. La liste des recettes que je vous donne aujourd'hui, date de cette époque. En 2015, on commence déjà à se planter des limetiers dans nos maisons. On pourra sans doute, un jour, consommer du jus de lime québcois.
En attendant, je vous souhaite une bonne semaine en compagnie de cet agrume à l'origine de notre citron.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.
1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Citrus_aurantiifolia#:~:text=Citrus%20aura....