Soumis par Michel Lambert le
Nos ancêtres celtes, majoritaires dans la France du début de notre ère, aimaient tellement le poulet qu’ils s’en servaient comme totem de leur culture. Ils en sculptaient en bois qu’ils plantaient au sommet de leurs maisons. Ils mangeaient des œufs avant d’aller se battre contre leurs ennemis car ils croyaient que cet animal allait leur donner l’énergie nécessaire au combat. Ils en élevaient beaucoup sur leur ferme pour répondre à leurs besoins, car les hommes, en particulier, en mangeaient chaque matin avant de commencer leur journée de travail aux champs. On se rappellera que les Celtes étaient de forts bons agriculteurs, experts dans la culture du blé, de l’orge et de l’avoine et dans l’élevage du porc, du bœuf et du mouton. Cette réputation de mangeurs de poulet était si grande que leurs ennemis romains les ont appelés les « poulets ». Le terme gaulois que nous connaissons bien vient du mot latin « gallus » qui veut dire « poulet ». Cet amour de la volaille s’étendait à toutes les sortes d’oiseaux, en particulier des oies, des canards, des faisans, des cygnes, des bécasses, des perdrix, etc. À l’approche du premier de l’an celtique, le 1er novembre, les Celtes du Nord de la France allaient à la chasse aux oiseaux avant leur départ pour le Sud ; les oiseaux étaient alors bien gras et bien en forme pour leur migration. C’était donc le moment où ils étaient les meilleurs pour célébrer le premier de l’An celtique. Par conséquent, le porc et l’oie sont devenus les viandes les plus festives du patrimoine culinaire celtique.
Au XVII e siècle, la tradition persistait toujours en France de sorte que nos ancêtres français l’ont apportée en Amérique. En faisant ma recherche dans les archives et chez nos aînés, je me suis vite rendu compte que cette tradition celtique est restée bien vivante au Québec, et particulièrement dans la grande région de Québec, au moins jusque dans les années 1950. Le premier de l’An, beaucoup de grandes familles de Québec mettaient des volailles au menu comme l’oie, la dinde, le canard ou l’outarde. Les nations de langue algonquienne aimaient aussi l’outarde festive qu’ils chassaient au moment de son retour du Sud. Les Cris avaient même inventé une tente spéciale pour la faire rôtir qu’on peut encore trouver derrière certaines maisons modernes. Cette tente s’appelle un mishuap. On y suspendait l’outarde attachée avec une solide corde au sommet de la tente, on l’enroulait sur elle-même pour que l’outarde se déroule d’elle-même en tournant presqu’au-dessus de la braise. Aujourd’hui, les cuisinier(e)s cri(e)s mettent un plat en aluminium sous l’oiseau pour recueillir la graisse de l’oiseau qui, sinon, enflammerait les braises et noircirait l’oiseau. Cette fête culinaire crie se fait lors du Goose Break, au début du mois de mai. Les Atikamekw de Lanaudière et de la Haute-Mauricie, quant à eux, ont un grand amour pour les canards de leur territoire qu’ils consomment, après leur retour du sud, au mois de mai.
Il est important de signaler, ici, que la portée symbolique de cette consommation d’oiseau est grande dans les héritages culturels fondateurs de notre cuisine. Elle est liée au symbole du solstice d’hiver, où l’absence de lumière est la plus grande de l’année. Pour les autochtones, le retour des oiseaux symbolise le retour de la lumière et de la chaleur où la vie sera plus facile et plus sécuritaire. Pour nos ancêtres européens, on consommait les oiseaux migrateurs, car ils symbolisaient la lumière-elle-même du soleil. Manger de l’oie, c’était s’assurer que le soleil reviendrait, au printemps, c’était manger du soleil, se faire une provision de soleil pour passer à travers l’hiver. La consommation du faisan ou du colvert, par exemple, s’est ajoutée au menu festif du Premier de l’An à cause de leur beauté. On les présentait toujours, sur les tables des nobles, avec leurs belles plumes. Cela venait magnifier le symbole de l’oiseau-lumière.
Parlons enfin de notre dinde de Noël. Jusque dans les années 1950, la dinde n’était pas le principal oiseau du Premier de l’An ; c’était l’oie domestique ou sauvage qui était la reine des festivités culinaires du Nouvel An. Le changement pour la dinde est venu des États-Unis. En effet, chez nos voisins américains, la dinde est le symbole par excellence de la fête de l’Action de Grâces. Elle rappelle, chaque année, l’arrivée des Pèlerins anglais venus s’établir en Amérique, en 1620. Comme ceux-ci sont arrivés très tard en automne, ce sont les autochtones locaux, les Wampanoag dirigés par le chef Massasoit, qui les ont sauvés de la famine en les invitant aux célébrations d’action de grâces de leur communauté. Cette fête autochtone voulait remercier le grand Manitou de leur avoir permis de récolter autant de courges, de maïs, de haricots, de graines de tournesol avec le gibier de leur environnement. On y mangeait alors de la dinde sauvage avec des petits fruits locaux, comme c’était le cas dans toutes les nations autochtones américaines. - Qu’on se souvienne du pemmican qui associe viande de bison à des baies d’amélanchier ou d’orignal à des bleuets. – Les Wampanoag étaient de langue algonquienne ; ils habitaient le Massachussetts actuel et vivaient grâce à l’agriculture et la pêche en haute mer. Ils étaient les cousins des Abénaquis. Les colons américains ont décidé de célébrer, chaque année, cet événement de reconnaissance avec de la dinde domestique ou sauvage. La gelée d’atocas a remplacé les atocas nature des autochtones. Les nombreux Américains émigrés au Canada lors de la Révolution américaine à la fin du XVIIIe siècle ont apporté la tradition avec eux. C’est ainsi qu’on a continué à célébrer l’Action de Grâce en Ontario et au Canada où les Américains loyalistes se sont installés. Les premières chaines d’épiceries installées dans les villes du Canada, au milieu du XXe siècle, se mirent à offrir de la dinde pour fêter l’Action de Grâces, à leurs clients. Dominion installé au Québec, dans les années 1940, fit de même. Les Québécois urbains se mirent à faire cuire de la dinde plutôt que de l’oie parce qu’elle était plus accessible et plus économique que l’oie traditionnelle. C’est ainsi que les traditions américaines d’Action de grâces ont entrées dans nos mœurs en se déplaçant vers la Fête de Noël. Il faut dire, entre temps, que certains éleveurs québécois se sont mis à l’élevage de la dinde pour l’envoyer à New York à l’occasion de l’Action de Grâces américaine, et qu’avec des surplus de production, ils se sont mis à en offrir aux Québécois pour la fête de Noël. Charlevoix et Lanaudière ont été particulièrement actifs dans ce domaine. Notre dinde de Noël est donc beaucoup plus récente que l’on pense.
Je vous donne donc, cette semaine, des recettes de ces oiseaux festifs. Et j’ajoute quelques recettes de choses farcies comme des champignons ou des petits pains pour ajouter à vos buffets ou réveillons. Toutes ces idées viennent de nos mères, nos grands-mères et nos vieux cuisiniers de chantier du Québec.
Merci à tous de votre fidélité et de votre amour partagé pour nos racines culinaires.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec