Soumis par Michel Lambert le
Beaucoup de gens pensent, sans trop réfléchir, que le patrimoine ou l’héritage culinaire québécois se résume au passé. Le temps des Fêtes qui approche nous rapproche de nos racines françaises, britanniques et américaines avec le ragout de pattes, les pâtés à la viande, le gâteau aux fruits et la dinde et ses atocas qu’on imagine appartenir à notre passé québécois. Or, toutes ces recettes viennent d’ailleurs; elles ont été apportées par des gens qui appartenaient à plusieurs cultures culinaires différentes.
Les Français ont apporté le ragout de pattes de porc et les anciens pâtés à la viande bouillie au XVIIe siècle. Mais l’arrivée au Québec, du hachoir mécanique ou moulin à viande, au XIXe siècle, modifia les recettes initiales pour donner le ragout de pattes avec des boulettes et le pâté à la viande hachée de porc, ou de porc et veau que nous connaissons aujourd’hui. Le présent n’aime pas le gras et l’enlève de la pâte à tarte et de la viande hachée. Certains ne veulent plus voir de la viande dans notre cuisine parce que l’élevage actuel de nos animaux domestiques est dommageable pour les animaux et l’environnement. Ils remplacent donc le porc de nos pâtés et de nos boulettes par des légumineuses et des céréales qui essaient d’imiter les viandes de notre passé. Ce qu’on garde de ces pâtés, c’est leur représentation culturelle superficielle; c’est la mode de la fausse viande, comme on a eu, au XIXe siècle, la mode de la fausse soupe à la tortue lorsqu’on défendit la chasse à la tortue et la fausse gibelotte de Sorel lorsqu’on défendit la chasse au gibier d’eau avec lequel on faisait la gibelotte, à l’origine.
Les Britanniques nous ont apporté le gâteau aux fruits qu’ils faisaient jadis avec les fruits et les noix séchées de leur verger. C’étaient un hommage aux récoltes de l’automne qu’on mettait sur la table à l’occasion des grandes fêtes de l’année. Au XIXe siècle, on ajouta la pâte d’amande et le glaçage à ce gâteau pour le rendre encore plus festif. Comme ce gâteau prend des semaines à faire, c’est l’industrie alimentaire qui s’est emparé de cette tradition britannique lorsque l’industrie sortit les femmes de la maison.
Les Américains nous ont apporté la dinde et les atocas, au milieu du XXe siècle, que nous avons réservée au réveillon de Noël parce que c’était une pièce de viande qui pouvait nourrir beaucoup de monde. Mais chez eux, la dinde est plutôt réservée à la fête de l’Action de Grâces américaine, le 27 novembre.
Tous ces plats dont je viens de parler sont chargés d’histoire et viennent d’un passé plus lointain. Les plats québécois de porc nous viennent des Celtes qui sont le peuple fondateur des Français; le porc était leur animal préféré qu’ils faisaient paiître dans les forêts de chêne où vivaient les druides; ils le tuaient lors du premier de l’An celtique, au solstice de l’hiver, sans rien perdre de sa chair et de son sang. Et ils consommaient sa tête de façon religieuse, le premier de l’An. Ils voulaient ainsi s’approprier les qualités essentielles de leur animal totémique.
Le gâteau aux fruits séchés de l’Antiquité s’est transformé en gâteau aux fruits confits dans le sucre chez les peuples du Nord de l’Europe. Les Scandinaves, les Britanniques, les Néerlandais, les Allemands, les Flamands, les Lombards aimaient tous le sucre et furent les créateurs de nos plus grands gâteaux actuels. Ce sont les Néerlandais et les Anglais qui amenèrent les gâteaux aux fruits et les biscuits au sucre de Noël.
Quant à la dinde américaine, on se rappellera que ce sont les Massasoit (Massachussets) et leur chef Wampanoag, qui sauvèrent les pèlerins de la famine lorsque ces derniers débarquèrent en Nouvelle-Angleterre, en décembre 1620 . Ces autochtones de langue algonquienne leur montrèrent comment cultiver du maïs, comment chasser la dinde, quels petits fruits ramasser. À l’automne 1621, les Pèlerins invitèrent les autochtones à célébrer la fête de leur récoltes avec de la dinde, de la courge et des atocas. Les Autochtones en question avaient aussi l’habitude de remercier le grand Manitou pour leurs récoltes de maïs, de leurs haricots et courges, chaque automne. Cette fête d’Action de grâce autochtone est devenue la fête de l’Action de grâce américaine. Faire la dinde à Noël, c’est donc célébrer une grande fête autochtone et américaine de remerciement envers la générosité de la nature américaine et de ses premières nations.
Connaître les sources de notre cuisine donne de la profondeur à nos gestes culinaires actuels et donne des pistes pour notre futur collectif.
Ce que je retiens particulièrement de cette réflexion, c’est le mariage nature-culture. Celui qui arrive dans ce pays américain et nordique, choisit des aliments d’ici pour fêter son bonheur d’être en vie, avec nous. Il métisse ses recettes aux nôtres dans un mariage qui se veut créateur.
C’est le présent amoureux du passé qui crée le futur heureux.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.