Soumis par Michel Lambert le
Le poulet occupe beaucoup de place dans notre culture culinaire d'origine européenne. La preuve est qu'il possède plusieurs noms pour désigner son sexe, son âge, sa race et son produit principal, l'oeuf (coq, poule, poussin, chapon, bandy, coquelet, etc.). Ce sont les Anatoliens, premiers ancêtres des Français qui l'ont emporté avec eux, à partir du Moyen-Orient, il y a 5 000 ans. Les Celtes, les Romains et les Germains, autres ancêtres des Français, le connaissaient tous et en élevaient beaucoup.
Lorsque ces gens se sont, tour à tour, installés en France, les forêts de chêne et le gros gibier étaient encore très présents de sorte que les animaux sauvages fournissaient l'essentiel de leurs protéines de base. Mais lorsqu'on a buché les forêts pour pratiquer l'agriculture, en particulier, celle du blé, les rois et les nobles ont décisé de se réserver la chasse. La majorité des gens ont dû changer leurs habitudes et élever davantage d'animaux sur leur ferme. C'est donc au milieu du Moyen Âge que le poulet est devenu un aliment important. Le bon roi Henri IV (1553-1610) à qui on doit la fondation de Québec, qui était proche de ses sujets parce qu'il venait de la campagne (Navarre, dans le sud-ouest de la France) voulait que chaque famille puisse mettre une volaille dans la soupe de chaque dimanche. La fameuse poule-au-pot cuite avec les légumes du jardin date donc de cette époque, sous son initiative. Lorsque les Français se sont installés au Qiuébec, le roi donnait même un couple de volailles à chaque couple qui se mariait et s'installait sur une terre québécoise pour la défricher et y élever une famille.
Les premiers colons de Montréal, en particulier, ont développé un grand amour du poulet grillé dans l'âtre parce qu'assez rapidement, on dût construire une palissade autour de la colonie pour se protéger des attaques des Iroquois. Cela faisait en sorte qu'on devait élever de la volaille et des porcs pour survivre, n'ayant pas accès à des champs ou pâturages pour élever du boeuf et encore moins, avoir accès à la forêt pour y chasser du gros gibier. Le poulet grillé est donc devenu une spécialité de Montréal. C'était l'aliment traditionnel du dimanche midi, particulièrement à partir du milieu de l'été. Lorsqu'une poule ne pondait presque plus, on la mettait au pot avec les légumes du jardin. Les mâles nés au printemps étaient castrés et mangés en chapon rôtis au four ou grillés dans l'âtre. On gardait les plus gros pour le temps des Fêtes, lorsqu'on faisait boucherie, au début décembre.
Mon étude récente de la cuisine des Antilles m'amène à constater le même amour pour la volaille sur ces iles, en particulier celles qui ont été colonisées avant 1760 par les Français. Plusieurs de ces îles sont passées du côté de l'Angleterre avec la grande conquête de 1760, comme ce fut le cas chez nous. Et malgré leur anglcisation, la cuisine française est demeurée populaire, chez les gens ordinaires. On y retrouve le même amour pour l'ail et l'oignon de même que pour les 3 épices soeurs : cannelle, muscade et clou de girofle. L'ajout local fut le piment fort et les fruits exotiques transportés par les grands explorateurs de l'époque, les Espagnols et les Portugais qui avaient des comptoirs commerciaux sur tous les continents. Pour en savoir plus sur ces cuisines, on pourra se référer à mon dernier volume sur la cuisine du monde, dans la collection consacrée à l' Histoire de la cuisine familiale du Québec, Volume 5, Le monde à notre table: ses cuisines et ses produits (mai 2013).
Il est intéressant d'assister, actuellement, à un retour de l'élevage du poulet, même en ville ou en banlieue autour de Montréal. Ce retour aux sources dans notre cuisine nous rapproche de notre idéal d'autosuffisance alimentaire pour des raisons culturelles et écologiques.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec