Soumis par Michel Lambert le
Dès la fin du XVe siècle, des pêcheurs français de la Bretagne et de la Normandie débarquaient sur la Côte-Nord et les côtes gaspésiennes pour préparer leur poisson. Ils échangeaient alors des aliments avec les Micmacs et les Innus de culture algonquienne. De plus, les Basques originaires de l’Espagne avaient encore plus de contacts avec les autochtones locaux au point qu’ils développèrent une espèce de langue commune à moitié innue, à moitié basque, qui leur permettait de s’entendre sur leurs échanges et le travail que les Basques offraient aux autochtones pour faire fondre le gras des baleines qu’ils chassaient dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent. Les Basques sont les premiers à avoir partagé leur pain de blé avec les autochtones québécois. Ils leur montrèrent à cuire du pain dans des poêlons de fonte ou directement dans le sable brûlant autour du feu de camp, comme ils le faisaient chez eux, à l’époque. Les Basques eurent aussi des contacts avec les agriculteurs iroquoïens puisque les archives basques racontent qu’ils rapportèrent des haricots rouges et des courges, en pays basque, au XVIe siècle, denrées que les Iroquoïens de Stadacone (Québec) apportaient avec eux lorsqu'ils allaient se faire des provisions de poisson fumé, sur la Côte de Gaspé ou la Côte-Nord. Les Basques ont par la suite pénétré dans l'estuaire du fleuve en bâtissant leurs fours sur des iles ou des grèves de Charlevoix et du Bas-Sint-Laurent. Ils eurent donc des contacts avec les Micmacs gaspésiens et les Innus du Saguenay dont le territoire de chasse et pêche comprenait toute la région du Saguenay et de Charlevoix. Les autochtones goûtèrent donc à la cuisine européenne de bateau, qui se ressemblait pas mal, d'un pays à l'autre. On apportait des denrées qui ne pourrissaient pas, comme des viandes salées, des légumineuses et de la farine. Les Basques ont même construit le premier moulin à farine du Québec, en aval de Tadoussac, là où la rivière Baude se jette dans le fleuve. Cette farine de blé a certainement été goûtée par les Montagnais de Tadoussac qui habitaient tout près.
Lorsque les Basques se sont mis à la pêche à la morue, au XVIe siècle, ils devinrent vite compétents, au point que le français Denis Riverin les engagea pour enseigner la pêche à de jeunes gens de la ville de Québec qui se cherchaient un emploi. Ce dernier a construit les premiers postes de pêche à la morue de la Gaspésie. En 1686, un premier groupe de 24 personnes s'installait de façon permanente à Saint-Pierre-de-la-Malbaie ou Barachois, aujourd'hui. Puis Riverin décida d'ouvrir d'autres postes permanents de pêche à Matane, à La Madeleine et à Mont-Louis. Malheureusement, des pirates anglais brûlèrent leurs villages, en 1690. Riverin ne se découragea pas et revint installer une douzaine de pêcheurs, en 1696. En 1699, il amena une centaine de colons originaires de Charlevoix et de la grande région de Québec-Lévis à s'installer près de Cloridorme, sur la Pointe-de-Gaspé. Ce sont de nouveau des Basques qui initièrent les jeunes Français à la pêche à la morue.
Lorsque le Gouvernement du Bas-Canada obligea les pêcheurs européens qui voulaient faire sécher leur morue sur les grèves gaspésiennes à y bâtir maison avec leur famille, de façon permanente, pour ce faire, quelques Basques décidèrent de s'installer dans la Baie-des-Chaleurs et sur la Côte de la Péninsule gaspésienne. C'est à ce moment-là qu'ils contribuèrent, avec les pêcheurs français et britanniques, à la construction de la cuisine gaspésienne. Nommons quelques plats et apports qu'on leur doit.
Le fameux ttioro basque (prononcer tioro) qui est une espèce de bouillabaisse de plusieurs poissons, ressemble beaucoup à tchaude ou thiaude ou tiode ou quiode, le plat porte-drapeau de la Baie-des-Chaleurs. Les Basques changent le d pour le r seulement. Ce plat de poisson qui est un peu leur plat national avait certainement beaucoup de place en Gaspésie. Toujours en parlant de poissons ou de fruits de mer, les Basques aimaient beaucoup les chipirons (calmars ou encornets), chez eux, qu’ils appelèrent des squids ici, comme le faisaient les Anglais. Ils ont continué à en farcir ici, à en servir en beignets ou en salades. Les merlus n’étaient jamais rejetés à la mer par les Basques; ils les aimaient avec les premiers légumes verts du jardin comme les asperges et les petits pois. De plus, lorsqu’ils pêchaient un thon égaré dans la Baie des Chaleurs comme il arrivait qu’on en trouve au mois d’août alors que l’eau est encore plus chaude, ils ne se faisaient pas prier pour préparer le marmitako qui est un ragôut de thon avec des pommes de terre et des tomates. À l’automne, ils partageaient leur goût pour l’anguille avec les Jersiais et les Canadiens-français. Ils la préparaient avec beaucoup d’oignons, de l’ail et du piment fort (Espelette). Ils déjeunaient avec des omelettes à la petite truite de ruisseau comme les Écossais du coin et farcissaient leurs plus grosses truites avec du pain et du jambon de Bayonne. Ce sont les recettes basques que j’ai repérées le plus facilement.
Le Axoa (prononcer Hachua) basque ressemble comme deux gouttes d’eau au hachis avec ses lamelles de viande ou ses restes de viande fricassés avec de l’oignon et des épices, entre autre leur piment national (Espelette). Aujourd’hui, on y ajoute des poivrons. Le tripotcha qui est aujourd’hui un boudin de mouton au Pays basque, désignait autrefois un boudin d’abats mélangés à du sang d’agneau, de porc ou de bœuf, — le mot a la même origine que tripes, tripot. — comme on en voit des exemples chez les Acadiens et les Jersiais. Les Basques arrivés vers 1850 connaissaient les tomates et répandirent son usage dans les plats de poisson de sorte qu’on rencontre beaucoup de soupes et de plats de poisson incluant des tomates en Gaspésie. Par après, ils adoptèrent rapidement les poivrons verts de telle sorte que ces légumes sont souvent associés, en cuisine gaspésienne contemporaine. L’appellation «à la basquaise» qu’on donne au bœuf, au poulet, au veau fait appel à ces deux légumes. Le fameux jambon de Bayonne (ville basque), si populaire au début de la colonie à Québec, était surement consommé aussi à Pabos, sous le Régime français et par la suite par les colons basques, eux-mêmes. Ils l’utilisaient parcimonieusement pour parfumer leurs farces de poisson ou de volaille, lors des jours de fête. Signalons en terminant, que les Basques faisaient aussi des merveilles (beignets tressés) tout comme les Jersiais. Ce type de beignets est encore présent dans des familles gaspésiennes qui ont sans doute une aïeule basque.
Je vous invite à visiter Trois-Pistoles, dans le Bas-Saint-Laurent, où la culture basque est mise à l'honneur. Il faut visiter le Parc de l'aventure basque en Amérique et je vous souhaite de belles découvertes dans ce coin de pays important dans l'histoire de notre culture culinaire.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec