L'apport des Arabes dans notre cuisine

Je poursuis toujours ce que l’Europe a apporté aux autochtones  pendant son installation sur notre territoire commun d’aujourd’hui. Comme je l’ai expliqué dans les blogues précédents, la France et les Iles Britanniques du XVIIe et du XVIIIe siècles étaient elles-mêmes le métissage de plusieurs ethnies différentes originaires de l’Asie de l’Ouest.

J’ai auparavant parlé de l’invasion du territoire français par les Anatoliens venus du nord de l’Iran, il y a 5 000 ans, avec leur agriculture. Puis de l’arrivée des Celtes, il y a 3 000 ans. Puis l’installation progressive des Romains à commencer par le sud de la France, 300 ans avant notre ère. Puis j’ai parlé de l’arrivée progressive des tribus de langue germanique que les Romains appelaient les Barbares parce que leur langue était pleine de br-br, à leurs oreilles ! La France tire d’ailleurs son nom de l’une de ces tribus, les Francs. Cette germanisation de la France et de l’Angleterre a commencé officiellement  avec la chute de l’Empire romain, en 476. Nos ancêtres créèrent alors des langues nouvelles à partir du latin, du celte et du dialecte germanique installé dans chaque région, le français pour le nord central de la France, et l’anglais, pour le sud-est de l’Angleterre, car ce sont les tribus anglaises et saxonnes qui s’y étaient installées. 

Au Nord-Ouest de la France et au nord-est de l’Angleterre, un autre peuple germanique s’installa violemment sur ces territoires, comme je l’ai expliqué dans mon dernier blogue ; c’étaient les Vikings qui rapidement fondèrent, en 911, un pays indépendant en France et dans les iles Britanniques, qu’on a appelé la Normandie, le pays des Nord-men, des hommes du Nord. Cette Normandie a finalement été conquise en 1259 par Philippe Auguste, le fondateur de la France historique.

Les XII e et XIII e siècles sont un âge d’or dans l’histoire de nos ancêtres. Des modifications des pratiques agricoles comme l’assolement des terres en trois plutôt qu’en deux ans a augmenté considérablement la production agricole. Ce qui permit de nourrir plus de monde et donna des surplus alimentaires qu’on a pu vendre aux autres pays. Comme on était plus riche, on a pu construire les cathédrales, les universités, les écoles, les grands spectacles comme la Passion du Christ qui durait une semaine, dans le temps de Pâques. Les corps de métier se sont formés et organisés et les arts et les techniques se sont grandement améliorées. Mais l’une des raisons de cet âge d’or, est le fait que l’Europe s’est trouvé un ennemi commun à combattre, les Arabes, parce que ces derniers voulaient imposer leur nouvelle religion aux chrétiens de l’Orient, en particulier ceux installés en Judée où le Christ avait vécu. À partir du VIII e siècle, les princes européens firent de nombreux pèlerinages en Terre Sainte pour demander à Dieu de pardonner leurs nombreux péchés. Mais lorsque les Arabes conquirent la Jusée, ils empêchèrent les Européens de continuer de faire leur pèlerinage en terre Sainte. C’est alors que le pape de l’époque demanda aux évêques et prêtres européens de prêcher les Croisades en Terre Sainte. Des milliers de paysans et de nobles se transformèrent en chevaliers croisés pour aller reconquérir les terres chrétiennes de l’Orient afin de les garder sous leur influence. Ces Croisades durèrent presque  200 ans, de 1095 à 1291.

Ce qui fit que pendant 200 ans, des Européens ont été en contact avec des Arabes. Les Arabes se sont même installés dans le Sud-Ouest de la France assez longtemps pour y laisser des traces alimentaires importantes qu’on a pu identifier clairement lors des dernières fouilles archéologiques.

Mais avant de parler de l’importance des Croisades dans la contribution des Arabes à notre alimentation, il faut se rappeler que les Arabes faisaient de nombreux échanges commerciaux avec les Européens avant de devenir musulmans, suite aux prédications de Mahomet, au VII e siècle de notre ère. Depuis la Haute-Antiquité, ils étaient les intermédiaires nécessaires entre l’Asie et l’Europe. Ils allaient chercher les épices dans le sud-ouest de l’Inde, en face de chez eux, et ils remontaient leur pays jusqu’en Égypte où la Méditerranée leur donnait accès à toute l’Europe et l’Afrique. De nombreux noms d’épices, les agrumes, le sucre, le riz, quelques légumes et quelques fruits sont venus d’Asie par leur intermédiaire. Ils se servaient de chameaux pour transporter leurs trouvailles asiatiques à travers des contrées désertiques et montagneuses difficiles. La fameuse route de la soie leur permettait de ramener des denrées, de la vaisselle et des tissus de Xi-An, en Chine, à Antioche en Syrie, il y a 4 000 ans, selon les textes chinois. 

Enfin, le monde arabe et musulman s’internationalisa rapidement et devint une force politique majeure jusque dans le territoire français même. C’est pourquoi François 1erqui permit à Jacques Cartier de venir au Canada en 1534, signa un important traité de paix, en 1536, avec le souverain turc de l’Empire ottoman, Soliman le Magnifique. Après de nombreuses alliances diplomatiques et leurs aléas habituels, la France a commencé à s’enticher du monde ottoman et sa culture, dès le XVIIe siècle. Le café a été introduit à Paris, en 1669, par l’ambassadeur ottoman auprès de Louis XIV, Suleiman Aga. C’est à cette époque qu’on ouvrit plusieurs cafés à Paris, dont le fameux Procope, en 1689. Et les administrateurs français de la Nouvelle-France importèrent le café au Canada, dès cette époque. 

Le déjeuner québécois actuel doit beaucoup aux Arabes avec son café avec ou sans sucre et son jus d’orange, tous des mots d’origine arabe. Les fruits et légumes suivants nous sont aussi venus par la langue arabe : orange, lime, pastèque, abricot,  banane, sorbet, épinard, aubergine, artichaut, de même que les herbes comme le carvi, le carthame, le cumin, le curcuma, l’estragon et le safran. Citons enfin d’autres aliments ou types de plats  comme l’alcool, l’albacore (espèce de thon ou bonite), le sucre candi, le caroube, et plus récemment les mots harissa, couscous, kebab, café moka, mousselines, sirops, sorbets, taboulé, saccharine, etc. 

Au Québec, la présence importante d’immigrants du Moyen Orient, en particulier du Liban et de la Syrie ajoute d’autres mots d’origine arabe qui font désormais partie de nos mœurs culinaires, comme le shish taouk.

Je vous rappelle enfin que notre culture culinaire est un généreux bouquet de fleurs différentes qui vont continuer de s’hybrider, dans le futur, comme dans le passé. La cuisine n’a pas de frontières sinon nos propres peurs et tabous.

Bonne semaine à tous,

Explorez les recettes en vedette et les recettes de la semaine qui mettent en valeur notre cuisine et nos aliments de saison.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.