L'apport de la cuisine canadienne à la cuisine québécoise

Le Québec est l'une des cinq grandes régions du Canada, au plan culinaire. Ces régions se distinguent des autres par leurs garde-manger propres en combinaison avec leur peuplement depuis des millénaires. Le Canada est peuplé par l'Homo Sapiens depuis 20 000 ans. Ce dernier est entré au Canada par la Béringie, située entre la Russie asiatique et l'Alaska avant de se répandre partout en Amérique du Nord et du Sud. Au Canada, il existe 12 grandes familles linguistiques qui ont donné naissance à 108 langues différentes avec plusieurs dizaines de dialectes issus de ces langues. On peut ainsi dire qu'il y a des dizaines de cultures culinaires au Canada, qui ne sont pas vraiment connues de nos contemporains. 

Le Québec d'aujourd'hui importe des denrées et des idées culinaires des 4 grandes régions suivantes:1) la Colombie-Britannique et le Yukon, 2) les Provinces centrales avec les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, 3) l'Ontario avec sa population la plus nombreuse du pays et 4) les Provinces maritimes. Chacune de ces régions a d'abord été habitée par des nations autochtones et inuit avant l'arrivée des Français et des Britanniques.

1) La Colombie-Britannique et le Yukon ont d'abord parlé français avant l'anglais. Plus de 60 sites ont des noms français, au Yukon. Ce sont des trappeurs québécois qui ont d'abord parcouru cette grande région et qui y ont fondé des villages de culture québécoise, au milieu du XIX siècle. Ce sont des soeurs de Sainte-Anne du Québec qui ont ouvert la première école de la Colombie Britannique, au Fort Victoria, en 1845, et la première école du Yukon, au début du XXe siècle. Ce sont les mêmes soeurs qui ont ouvert le premier hôpital de Victoria et celui de Dawson City, au Yukon. Avant la Ruée vers l'or, en 1858, les Francophones étaient majoritaires dans ces deux régions. Mais la Ruée vers l'or a attiré de nombreux immigrants du monde, en particulier de l'Asie, qui sont encore très présents dans cette région. Après l'époque minière, on passa à la coupe du bois, à la pêche au saumon et à la culture fruitière dans la vallée de l'Okanagan. Les saumons du Pacifique sont d'abord venus chez-nous en conserve avant d'être livrés par train sur des lits de glace. Ils sont aujourd'hui transportés par avion, le lendemain de leur pêche. En saison, nous recevons aussi du flétan frais, de la morue charbonnière et du merlu. L'aquaculture est aujourd'hui très présente en Colombie-Britannique. On y élève même du tilapia dans des bassins d'eau chaude. Chaque été, la vallée de l'Okanagan nous envoie des cerises douces ou aigres, des abricots, des pêches, des nectarines, des pommes, des poires et des prunes. La SAQ reçoit 65 vins identifiés par leur cépage, de la Vallée de l'Okanagan. Ce sont les merlots et les chardonnays qui dominent, suivis des cabernets sauvignons et des vins de glace. Vancouver est réputée pour sa cuisine internationale, avec ses 4 000 restaurants ethniques qui diffusent au moins 25 cuisines du monde. Les Asiatiques représentent plus du tiers de la population de Vancouver. Dans les années 1960, un jeune chef de Vancouver, Stephen Yan d'origine chinoise, avait une émission de cuisine extrêmement populaire au Québec. On peut dire que c'est lui qui a initié les Québécois aux recettes familiales de la cuisine chinoise. Il vendait son livre de recettes qu'on pouvait acheter dans toutes les librairies ou les kiosques de journaux du Québec, même au Lac-Saint-Jean et à Gaspé. Aujourd'hui, nous recevons de nombreux produits végétariens de Vancouver sous l'appellation d'Yves Veggie. Cette compagnie fondée par un Québécois d'origine, Yves Potvin, diffuse partout dans les pays occidentaux, des préparations végétariennes semblables à nos charcuteries les plus populaires (hamburgers, saucisses, terrines, etc.).

2) Le Canada central comprend l'Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut. Cette immense région n'a de contact maritime qu'avec l'Arctique. Son climat vit de nombreux écarts de température qui ont une incidence majeure sur les cultures céréalières de la région. C'est Pierre Gaultier de la Vérendrye, originaire de Trois-Rivières, qui a installé les premiers postes de traite des fourrures de la région, de 1731 (Manitoba) à 1743 (Saskatchewan). Dans chaque poste de traite qu'il fondait. il laissait de jeunes Français qui épousaient des femmes locales de diverses nations autochtones. Deux de ses fils faisaient partie du groupe. Leurs descendants métis sont bien connus à cause du célèbre Louis Riel, pendu à Régina, pour trahison, en 1885, par le nouveau gouvernement canadien dirigé par John-Alexander Mac-Donald. C'est le même Mac-Donald qui signa l'instauration officielle des pensionnats autochtones, en 1883, pour assimiler les autochtones. Cette partie tragique de l'histoire canadienne, amplifiée, en 2020, par la découverte des cimetières d'enfants autochtones partout au pays, remet en scène le rôle majeur qu'ont joué les autochtones dans la longue histoire du Canada central. Il ne faut pas oublier que ce sont leurs ancêtres qui ont peuplé, le pays, il y a 20 000 ans! Ce sont eux qui nous ont d'abord fournis en bison, au XIXe siècle. Cette viande était fumée et importée au Québec par les coureurs des bois québécois. On en servait dans toutes les auberges de Montréal et de Trois-Rivières, au XIXe siècle. Mais par après, les immigrants européens de l'Est, du Nord et de l'Ouest, ont développé la culture du blé de l'Ouest. À la fin du XIXe siècle, leur farine envahissait le Québec avant d'embarquer dans les ports de Québec, puis de Montréal, pour l'Europe et l'Asie. Pour vendre encore plus de farine aux Québécois, les premières minoteries de l'Ouest eurent l'idée de diffuser des recettes de desserts et de boulangerie européenne. Ces livres se répandirent dans toutes les familles québécoises jusque dans les années 70. Chacune avait son livre de recettes Fives Rose, ou Robin Hood, ou Ogilvy ou Purity. Les Autochtones et Métis du Manitoba consommaient beaucoup de riz sauvage que les Français appelaient "folle avoine". C'est un autre produit qui nous vient toujours de cette région. Cette région a diversifié ses cultures, à la fin du XXe siècle. Elle nous envoie, aujourd'hui, une quinzaine de légumineuses, de l'huile de Canola, du quinoa, du soya, des graines de lin, de l'orge pour faire nos bières artisanales, de la moutarde qui passe même par la France avant de revenir chez nous. Enfin, depuis 60 ans, l'Ouest nous envoie son boeuf réputé pour sa tendreté. L'Alberta et la Saskatchewan possèdent, à elles deux, la moitié des élevages de boeuf au Canada. La cuisine de cette région est connue au Québec, grâce aux livres de Jane Paré traduits en français, qu'on trouvait dans toutes nos librairies, dans les années 1990 (Company's Coming Cookbooks). L'héritage québécois et anglais y est perceptible.

3) La population actuelle de l'Ontario approche les 15 millions de personnes. La majorité d'entre eux vivent dans des villes industrielles du Sud et dans les banlieues de Toronto. La région autour des grands lacs est agricole alors que le Midland vit plutôt des mines et de la forêt. Notons d'abord que les ancêtres de la majorité des peuples autochtones du Québec viennent de l'Ontario. Les Algonquiens, ancêtres des 8 nations de langue algonquienne du Québec, vivaient, il y a 3 500 ans, au nord du lac Ontario. Les Hurons les auraient remplacés après la dispersion de ces derniers partout au Canada et aux États-Unis. Les peuples iroquoïens des Grands-Lacs pratiquaient tous l'agriculture avant d'émigrer dans la plaine du Saint-Laurent, au Québec. Lorsque les Iroquoiens du Saint-Laurent s'établirent au Québec, ils commencèrent par importer du maïs d'Ontario avant d'en planter chez eux à Montréal ou à Québec. Les fouilles archéologiques prouvent qu'on importait déjà du maïs d'Ontario au milieu du VIIIe siècle. Puis on importa les autres légumes autochtones comme les haricots et les courges avant de les planter chez nous, au XIVe siècle. Avant l'arrivée des Blancs, les peuples de langue algonquienne du Québec importaient massivement du maïs des Hurons ou de leurs cousins de la Nouvelle-Angleterre, les Abénaquis. Lorsque des Français de Trois-Rivières se sont installés en Ontario, au début du XVIIIe siècle, ils exportèrent des fruits au Québec parce que ces derniers poussaient beaucoup plus facilement en Ontario qu'au Québec, à cause du climat plus chaud. Après la Conquête du Canada et la Guerre de l'Indépendance américaine, un nombre imposant d'Américains d'origine britannique s'établirent en Ontario pour rester fidèles au roi d'Angleterre. Au milieu du XIXe siècle, la population de l'Ontario commença à croître de façon importante grâce à l'immigration européenne. Dès la deuxième génération, on parlait l'anglais comme la majorité, en Ontario. Ces nouveaux arrivants apportaient une foule de compétences qui se transformèrent en diverses industries de l'alimentation. C'est ainsi que le Québec se mit à importer plusieurs produits alimentaires manufacturés, au milieu du XIXe siècle. Je pense aux nombreuses conserves de fruits et de légumes, aux produits complémentaires comme le sucre, le sel, la fécule de maïs, le bicarbonate de soude, etc. Parfois, ces produits naissaient aux États-Unis avant de traverser en Ontario, puis au Québec. Encore aujourd'hui, nous recevons de nombreux produits ontariens comme les charcuteries Maple Leaf ou Schneiders, les fromages Balderson ou Black Diamond. Mais les principaux aliments que l'Ontario nous a donnés sont la pomme McIntosh découverte en 1811, le cheddar importé au Canada après 1864, fabriqué d'abord à Norwich, au nord du lac Érié. Les recettes ontariennes sont entrées chez nous avec les messages publicitaires de la télévision, commandites de la compagnie Kraft, au milieu des années 1950, et par le bias de magazines canadiens en anglais ou en français.

4) Les Provinces maritimes et la Basse-Côte Nord québécoise ont été occupées, en premier, il y a 14 500 ans, par les plus anciens ancêtres des Québécois, les Archaïques maritimes. Ces gens se nourrissaient, l'été, de coquillages et de mammifères rencontrés sur les plages, de même que de gros poissons harponnés sur l'Atlantique, comme l'esturgeon noir ou l'espadon. L'hiver, on entrait se protéger contre les grands froids, dans les forêts de l'intérieur des terres où l'on rencontrait les grosses bêtes de l'époque, les caribous. Lorsque les descendants de cette civilisation rencontrèrent des groupes algonquiens, il y a 3 000 ans, il y eut sans-doute un métissage important entre eux. Il y a 1000 ans, les Dorsétiens faisaient de nombreuses incursions dans la région, en provenance du nord du Labrador. Ce sont d'ailleurs eux que les Vikings installés au Groenland rencontrèrent à l'Anse-aux-Meadows, au nord de Terre-Neuve, au début de l'an 1 000. Les sagas scandinaves du XIVe siècle racontent ces contacts avec ces Inuits qu'ils appelaient des "Skrealings". Les chasseurs de baleine basques et les pêcheurs européens, en particulier d'origine bretonne et normande, firent la connaissance de quelques nations d'origine algonquienne, à la fin du XVe siècle. Les Français citent les Béothuks, les Etchemins, les Souricois, les Micmacs. Les Français fondèrent plusieurs colonies françaises dans la région avant que l'Angleterre ne les détruise. Les Français étaient présents particulièrement sur le Côte-Ouest et Nord-Est de Terre-Neuve, dans la baie de Fundy, en Nouvelle-Écosse, qu'on appela l'Acadie. Cette région fut progressivement conquise par l'Angleterre au milieu du XVIIIe siècle. Plusieurs descendants français de cette région se sont retouvés au Québec, après cette conquête alors que d'autres sont restés dans la région où leur culture est encore bien vivante. La cuisine acadienne a fait largement son chemin au Québec, dans les régions où les Acadiens se sont installés. On leur doit entre autres, le nom de "poutine" donné au célèbre frites-sauce accompagné de fromage en grains, devenu un symbole contemporain de la cuisine québécoise, partout en Amérique et en Europe. Mais les Provinces maritimes sont nos principaux fournisseurs en poissons frais et fruits de mer divers: flétan, aiglefin, morue, pétoncles, homard, moules, palourdes, hareng, huitres, plies, etc. Notre saumon de l'Atlantique vient surtout de fermes d'élevage de cette région. La pomme de terre de l'ile du Prince-Édouard est aussi très recherchée, au Québec, même si on la cultive partout, chez nous. Elle fait, entre autres, d'excellentes pommes de terre au four et d'excellentes frites. La région produit maintenant des algues qu'on retrouve de plus en plus sur nos tables avec la mode de la cuisine japonaise.

En résumé, nous partageons beaucoup de recettes et d'aliments du Canada, faisant partie de la même unité politique. Le fédéralisme canadien a toujours des incidences sur la culture culinaire québécoise, même si nous ne partageons pas tous sa vision politique des choses. Nous sommes, tous les deux, majoritairement issus d'un métissage semblable: anatolien, celtique, romain, germain, algonquien, iroquoïen, lequel métissage s'est enrichi, au XXe siècle, de toutes les cultures culinaires de l'Europe, des Amériques et de l'Asie.

La semaine prochaine, j'aborderai la première partie de la cuisine américaine sur nos tables.

D'ici là, bonne semaine!

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec