Soumis par Michel Lambert le
La fin de l'hiver voyait, autrefois, la pomme de terre prendre beaucoup de place sur nos tables. Pourquoi ne pas la remettre à l'honneur. C'est un aliment local qui a fait largement ses preuves chez les Québécois d'origine britannique et française. Parlant provisions locales, je vous invite fortement à consulter le dernier Caribou consacré à l'alimentation québécoise. On y donne plusieurs façons de manger local, même en hiver, en faisant des conserves, en faisant sécher des herbes, en faisant des cueillettes pendant l'été, en prévoyant ses repas d'avance comme le font tous les pays nordiques. On y donne quelques recettes avec des produits de chez nous. La pandémie mondiale actuelle nous incite à pratiquer encore plus l'autosuffisance alimentaire et l'alimentation locale. J'en profite pour vous souhaiter résilience et patience, en ces circonstances excptionnelles. Pour revenir au sujet de cette semaine, je vous redonne un texte que j'ai déjà fait sur la pomme de terre, apport important des Britanniques dans notre culture cilinaire.
"La pomme de terre vient d’Amérique du Sud ; elle était le légume de base des peuples qui ont habité la région des Andes, dont les Incas. Plus de 200 espèces de pommes de terre sauvages poussent encore dans cette région du monde. Mais, il y a 10 000 ans, au moment où l’agriculture naissait en Europe avec les premières cultures du blé, les premiers agriculteurs américains plantaient des pommes de terre ! Les archéologues ont trouvé des preuves de cette culture sur les rives du lac Titicaca bordé par la Bolivie et le Pérou. La consommation et la culture des pommes de terre s’est donc répandue partout en Amérique du Sud de même qu’au Mexique et dans le Sud des États-Unis, avant l’arrivée des Espagnols dans les Antilles. Ce sont d’ailleurs eux qui ont amené la pomme de terre domestiquée en Europe, dans les années 1570. La plante fut d’abord utilisée comme plante ornementale dans les jardins de Séville, puis dans les cours aristocratiques de l’Europe. Ce sont les missionnaires espagnols qui en ont publicisé la consommation en Europe. Ils y avaient goûté dans les villages américains qu’ils avaient évangélisés. Puis ils décidèrent, en Europe, de nourrir leurs hôpitaux et leurs orphelinats avec des pommes de terre, faciles à cultiver, et très économiques. Comme la pomme de terre se conservait très bien sur les navires, l’Armada espagnole décida d’en amener de grandes quantités sur ses bateaux pour nourrir ses marins et éviter le scorbut qui décimait, alors, de nombreux équipages. La pomme de terre devint alors un objet convoité par les autres marins européens. Gabriel Sagard, un frère franciscain qui vint évangéliser les Hurons, au début de la Nouvelle-France, raconte en 1623, que leur navire avait arraisonner un navire anglais qui revenait de la Virginie avec une cargaison de pommes de terre. Le commandant français avait accepté des Anglais une partie de leur cargaison de pommes de terre ; c’est ainsi que les Français ont pu gouter pour la première fois au légume en question. Sagard écrit « on accepta un baril de patates (ce sont certaines racines des Indes, en forme de gros navets, mais d’un gout beaucoup plus excellent ».
Notez, en passant, que Sagard parle de « patate » et non de pommes de terre. Ce mot était la francisation du terme que les Américains et les Espagnols avaient pour désigner ce légume tubéreux. Le terme demeura, au Québec, celui que les Français de la Nouvelle France avaient pour le désigner. L’appellation « pomme de terre » est récente et a été imposée par l’Office de la langue française pour rejoindre l’appellation officielle de la France.
Même si la pomme de terre était connue des Français du XVIIe siècle, elle n’était jamais consommée par eux. Ce sont les Britanniques qui nous ont incités à manger des pommes de terre après la Conquête de 1760. Comme une grande partie des récoltes avaient été brulée par les Anglais, le Général Murray donna des poches de pommes de terre aux Français pour qu’ils s’en nourrissent, comme les soldats britanniques s’en nourrissaient déjà. Mais les Français refusèrent d’en manger ; ils semèrent les pommes de terre données, pour nourrir leurs cochons. Il fallut attendre la crise du blé, à partir des années 1830, pour voir apparaître la consommation de pommes de terre, chez la majorité francophone. C’est, en fait, l’arrivée des Irlandais qui fit la véritable promotion des pommes de terre. Partout où ils s’installaient, ils se faisaient de grands champs de pommes de terre qui faisaient l’essentiel de leur richesse et de leurs repas. Comme les Irlandais fréquentaient les Français plus souvent à cause de la religion catholique, plusieurs de leurs préférences culinaires sont passées dans le répertoire culinaire des Canadiens-Français, en particulier leurs recettes de pommes de terre. Les mariages fréquents entre les deux nations ont amorcé un métissage important de la cuisine française du XVIIe avec la cuisine britannique du XIXe siècle. Les premiers livres de recettes québécois parus au milieu du XIXe siècle, témoignent déjà amplement de ce mariage culturel entre les peuples fondateurs du Québec contemporain.
La pomme de terre a généré des centaines de recettes, chez nous, dont je vous donne quelques exemples populaires dans toutes nos régions. Pendant une centaine d’année, la pomme de terre a remplacé la farine de blé, le maïs et le riz sauvage dans toutes les familles québécoises. Elle est devenue jusque dans les années 1950, l’accompagnement d’office de tous nos repas.
On peut dire ainsi qu’elle est, comme le riz sauvage, le maïs-céréale, le pain de blé, l’un des éléments fondateurs de notre cuisine. La pomme de terre représente la part essentielle des Britanniques à l’identité culinaire québécoise."
Je vous invite à compléter cette lecture par la liste que je vous donne, après les recettes qui leur sont consacrées, cette semaine.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec