Soumis par Michel Lambert le
Les aliments congelés appartiennent à notre tradition culinaire depuis des millénaires. Les premières familles entrées au Québec, il y a 14 000 ans, savaient déjà que la congélation était un excellent moyen de conserver les aliments qu'on avait en trop pour s'assurer de manger, les jours difficiles. Leurs ancêtres lointains qui venaient de l'Asie du Nord-Est l'avaient appris assez tôt après la domestication du feu. On pouvait dégeler les aliments congelés en les plongeant dans de l'eau bouillante ou en les soumettant directement à la chaleur d'un feu de braises.
Lorsque les Basques ont passé les premiers hivers au Québec pour faire fondre le gras des baleines qu'ils avaient attrappées, ils ont appris des Innus de la Basse-Côte-Nord à conserver le gibier par le gel. Ils apprirent qu'on pouvait consommer sans problème des poissons et du gibier pêchés et chassés, il y a des mois. Les premiers Français qui s'installèrent au Québec en 1541, l'apprirent à leurs dépens. Même chose pour les premiers habitants de Tadoussac et de Québec. Plusieurs sont morts de s'être nourris uniquement de légumineuses et de viande salée apportées d'Europe. Les Autochtones prévoyants savaient que dans ce pays nordique, on n'avait pas le choix de se faire des provisions d'aliments si on voulait survivre. Les caribous, les wapitis, les orignaux, les cerfs à queue blanche, les petits gibiers abattus en hiver étaient conservés gelés, dans des caches, à l'abri des animaux. On consommait ces aliments principalement bouillis dans des contenants en écorce de bouleau, étanchés par de la gomme de sapin. On les faisait cuire en transférant des pierres bouillantes du feu de camp dans le bol d'écorce rempli d'eau. Cela pouvait prendre 1 h de cuisson, si la viande était congelée, et 30 min, si elle était fraîchement abattue. On aimait la viande plutôt saignante et rosée au contraire des Français qui l'aimaient bien cuite, car ils avaient peur de consommer des aliments crus périmés, ne sachant pas que le gel pouvait empêcher la prolifération des bactéries.
Assez rapidement, les colons de la Côte de Beaupré, puis de l'ile d'Orléans, apprirent à conserver leurs viandes congelées dans des barils de bois remplis de grains d'avoine. Cette technique a perduré jusqu dans les années 1950, comme je l'ai constaté dans ma propre enfance, chez mon grand-père Lambert, à Albanel, au Lac-Saint-Jean.
Dans les mêmes années, lorsque les congélateurs sont entrés dans les maisons québécoises, on s'est mis à congeler non seulement du gibier, du poisson, des viandes domestiques achetées en automne, mais aussi des petits fruits sauvages, des légumes du jardin, des herbes, des beignes, des pâtés à la viande, des petits gâteaux, pour le temps des Fêtes, des chaussons, et même des egg roll maison pour servir en entrée ou en collation de fin de soirée. Chaque famille avait ses habitudes.
Dans les années 1970, l'arrivée des chefs français a installé chez nous la méfiance des produits congelés. La majorité des Français ne connaissent pas les durs hivers et peuvent consommer des produits de leur jardin, presque 12 mois par année, Seuls les montagnards et les gens du Nord connaissent le gel et son pouvoir de conservation. C'est certain qu'un produit frais est toujours meilleur qu'un produit congelé. Mais un produit non congelé est encore moins une garantie de fraîcheur, à cause du transport de la ferme à la ville où la majorité des gens vivent. J'ai personnellement plus confiance en un poisson congelé sur le bateau de pêche qu'un poisson transporté par camion, des centaines de kilomètres, même sur un lit de glaçons.
Tout cela est aussi culturel, il faut bien l'avouer. Au Québec, il faut composer avec la nature qu'on a. Beaucoup d'arguments favorisent la consommation d'aliments congelés, au Québec; ils sont plus économiques parce que nous les achetons au moment où ils sont abondants et peu chers; ils sont locaux avec tous les avantages économiques et environnementaux que cette option veut dire. Il est préférable de manger des aliments qui ont poussé chez nous parque que nous évitons leur transport onéreux et nuisible à l'environnement à cause du pétrole utilisé par les transporteurs pour les amener du Mexique ou du Chili, chez nous, pendant l'hiver. De plus, ces produits apportés d'ailleurs n'ont pas été soumis aux mêmes règles de santé publique qu'au Québec et au Canada.
Pour toutes ces raisons, j'ai personnellement choisi de congeler les excédents de mon jardin familial, cultivé biologiquement, que je consomme pendant l'hiver, en éliminant beaucoup d'aliments importés. L'électricité économique du Québec permet de plus de sauver beaucoup de sous, même si un congélateur utilise cette énergie.
Enfin, on ne cuisine pas un légume congelé comme un légume frais. Cela oblige le cuisinier à se servir de sa créativité pour toujours faire de la bonne cuisine avec ces aliments.
Les soupes, les sauces, les braisés, les ragouts, les poudings sont des types de plats qui accueillent bien les produits congelés du jardin. Ce site vous donne plusieurs techniques de congélation des feuilles, des herbes et des légumes, entre autres. Vous n'avez qu'à taper le mot congelé dans l'outil de recherche et le site vous donnera la liste de ces produits faciles à congeler.
Bonne saison hivernale à tous, malgré le confinement.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec