La cuisine d'Europe centrale et de l'Est, chez nous

Les ressortissants de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est ont émigré chez nous à plusieurs reprises pour des raisons politiques qui sous-tendaient des raisons économiques et sociales. Faisons le tour des immigrants de ces 2 grandes régions européennes pour voir leur influence sur nos tables.

Le Coeur ou Centre de l'Europe se divise en 3 grandes régions: L'Est avec la culture slave dominante incarnée par la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie; le Centre avec les pays de langue allemande comme l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse; et l'Ouest avec les pays de langue néerlandaise souvent appelé le Bénélux, comme les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg.

Commençons notre tour par le côté Est de l'Europe Centrale avec la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie. La Pologne d'origine slave est née en 1025 et dura jusqu'en 1795, moment où elle fut partagée en plusieurs secteurs appartenant désormais à la Russie, à la Prusse (Allemagne) et à l'Autriche. Puis elle subit l'invasion nazie et celle de l'U.R.S.S. avant de devenir indépendante de l'U.R.S.S. en 1991, suite aux pressions de deux grands Polonais: Lech Walesa, grand syndicaliste charismatique et Carol Wojtyla, le pape Jean-Paul II. La cuisine polonaise slave a subi l'influence de ses nombreux conquérants tout en développant des spécialités culinaires dont nous avons partiellement hérité lors de leur immigration massive au Canada, au XIXe et XXe siècle. Retenons leur célèbre jambon fumé au genévrier et leur 70 variétés de saucisses, leurs nombreux plats avec des champignons sauvages, leur vodka, leurs cornichons, leur choucroute. Le kielbasa est un saucisson polonais encore très à la mode dans les foyers québécois de mon âge. On l'associe au chou blanc ou rouge en soupe ou en braisé ou à la choucroute polonaise. La République tchèque ou Tchéquie est née en 1993, après sa séparation d'avec la Slovaquie avec qui elle était liée par l'ex-U.R.S.S., depuis 1969. Elle vit une problématique semblable à celle des Québécois qui se disent Québécois, à l'intérieur de leurs frontières, et Canadiens, lorsqu'ils sont à l'étranger. La Tchéquie est constituée de deux grandes régions: la Bohème traditionnelle et la Moravie qui a une identité forte dans le pays, comme les Québécois en ont une, au Canada. Ces deux grandes régions ont donc des cuisines différentes à cause de leur environnement; la Moravie est une région très montagneuse aux étés chauds et hivers très froids. Presque 100 000 Canadiens se disent d'origine tchèque. On trouve leusr traces, au Québec, au Saguenay (Arvida) et au Témiscamingue. Les Québécois qui ont visité Prague ramènent leurs nombreux plats de pommes de terre en salade ou en accompagnement de même que leur recette de goulash de boeuf à la bière qui comprend, parfois du chou. Ce sont de grands buveurs de bière. La Slovaquie est un pays très montagneux d'un peu moins de 6 millions d'habitants. Nos ancêtres celtes occupaient leur territoire, au Ve siècle, avant J.C.. Après de nombreuses occupations étrangères (Mongols, Turcs, Autrichiens, Allemagne, U.R.S.S.), les Slovaques sont maîtres chez eux depuis 1990. Mais leur cuisine rappelle toutes leurs occupations territoriales: amour du vin rouge plutôt que de la bière, comme en Tchéquie; on parfume les plats au cumin plutôt qu'au carvi comme les Tchèques le font. On fait des goulash de porc et de veau davantge qu'avec du boeuf, comme en Tchéquie ou en Hongrie. La ville de Québec aime peut-être plus la Slovaquie que les autres pays à cause des célèbres frères Stashni, d'origine slovaue, qui ont joué au hokey, jadis, pour les Nordiques de Québec.  La Hongrie actuelle compte 10 millions d'habitants, mais les pays voisins et l'Amérique comprennent 3 fois plus de ressortissants d'origine hongroise. La Hongrie est née en 896. Mais elle fut conquise par les Mongols, les Turcs, les Autrichiens, les Allemands, les Russes de qui ils se séparèrent en 1989. 38 000 Hongrois ont émigré à Montréal, en 1956, lorsque les chars soviétiques sont entrés en Hongrie pour mâter le début de leur révolution. Leur fameuse gulyas que nous appelons la goulash hongroise est leur plat signature de même que leur paprika différent du paprika turc ou espagnol. On l'utilise beaucoup dans les mélanges d'épices BBQ ou sur les volailles que l'on veut rôtir ou griller. Il y a deux versions de la goulash présente chez nous: la première ajoute aux cubes de boeuf des pommes de terre, de l'oignon, de l'ail, beaucoup de paprika, des tomates et de la pâte de tomate; la seconde intègre à la recette précédente, des poivrons verts, du carvi et quelques piments forts. Le paprika avec de l'ail, de l'oignon et du cumin parfume plusieurs plats hongrois. On peut même désormais planter du paprika hongrois au Québec. Pourquoi ne pas le faire?

Le Centre de l'Europe centrale est occupé par les pays de langue allemande: l'Allemagne, la Suisse et l'Autriche. L'Allemagne compte plus de 80 millions d'habitants. Ses frontières ont bougé à de nombreuses reprises, à travers l'histoire. Son territoire a été occupé par des peuples germains originaires de l'Asie Centrale qui se sont implantés dans des territoires déjà occupés, au nord, par les Finnois, et au sud, par les Celtes. Les peuples proto-germains étaient déjà des paysans qui élevaient beaucoup de boeufs et vaches et cultivaient beaucoup de seigle pour faire leur pain. Les produits laitiers frais ou surs occupaient ainsi beaucoup de place dans leur menu quotidien. La France a donc beaucoup hérité de cette culture lorsque les Francs envahirent et prirent le contrôle de son territoire, en l'an 476, de notre ère. Le pays a laissé sa trace dans nos vies plus qu'on ne l'imagine. Pensons seulement à Martin Luther, à Goethe, à Bach, Haendel, Beethoven. Kant, Marx et Einstein. Il y a plusieurs cuisines allemandes, selon les régions de leur grand pays, un peu comme en France. Mais toutes partagent un goût commun pour l'acidité (crème sure, marinades au vin ou au vinaigre), les épices, le gras, le fumé, le sucre et les herbes goûteuses comme l'aneth, la marjolaine, le thym et la sarriette. Le sauerbraten, la choucroute, les cornichons, les rollmops (harengs marinés) sont d'autres exemples du goût de l'acidité. On aime aussi les plats bouillis et les soupes avec des pâtes-maison ou des quenelles. Les charcuteries salées, fumées, épicées sont très populaires de même que les desserts plantureux avec beaucoup de crème fouettée. La mode des Beer Garden allemands, dans toutes les régions du Québec, après l'Exposition universelle de Montréal de 1967, a beaucoup diffusé la cuisine et les bières allemandes chez nous. On peut encore trouvé quelques variétés de saucisses allemandes, chez nous, copiées dans le répertoire allemand compilé de 1 500 recettes de saucisses différentes. L'Autriche partage beaucoup de choses avec l'Allemagne, en plus de la langue. C'est l'un des pays les plus visités dans le monde à cause de la beauté de ses paysages et du romantisme qu'évoque la musique de Mosart et de Shubert, sans oublier la récente Mélodie du bonheur. La cuisine autrichienne est célèbre pour ses nombreuses viennoiseries, dont le fameux croissant servi le matin avec un bon café que les Autrichiens ont hérité des Turcs, de même que pour ses desserts comme le Linzer torte aux framboises ou le célèbre gâteau Sacher, originaire de Vienne. La Suisse a beaucoup de choses en commun avec l'Allemagne et l'Autriche, mais elle est aussi de langue française, italienne et romanche. C'est un pays qui date de 1291, mais dont la constitution n'a été signée qu'en 1999. C'est l'un des premiers pays multiethniques du monde contemporain. Plusieurs Suisses ont émigré au Québec, depuis l'installation des Européens, chez nous. L'inverse est vraie de sorte que nous connaissons bien les fondues suisses, soit celles associées au vin blanc comme la fondue neuchâteloise, ou celles associées aux pommes de terre comme la raclette, ou à la béchamel comme la fondue parmesan. Nous connaissons aussi les salades de fromage avec des crudités qu'on mange en été, le gratin dauphinois et les röstis. Les desserts suisses incluent plusieurs fruits, plusieurs noix et le fameux chocolat. Les chocolats suisses au lait, aux amandes et aux noisettes sont bien présents, chez nous, aussi.

L'Ouest de l'Europe Centrale comprend 3 pays de culture néerlandaise: les Pays-Bas, la Belgique et  le Luxembourg. Les Pays-Bas qu'on appelle faussement la Hollande influencent l'univers francophone depuis longtemps à cause du fait que leur histoire est liée aux artistes et aux penseurs français les plus libres et les plus avant-gardistes du monde. Le pays a vécu son âge d'or avant la France de sorte que ses enfants royaux se sont mariés aux enfants royaux de l'Europe d'alors. Beaudelaire et Jacques Brel ont chanté la beauté du Pays plat avec ses moulins à vent, ses canaux et ses champs de tulipe. La cuisine néerlandaise est extrêmement diversifiée, mais jamais compliquée. Elle témoigne de ses nombreux contacts avec les mondes européen, indonésien, asiatique et américain. Peu de gens savent que les frites sont nées dans ce pays; c'est pouruoi on les trouve partout, combinées aux beignets ou croquettes de poisson, dans des plats semblables à nos poutines qu'on appelle, sur place, des kapsalons ( plats de frites combinées à des lanières de viandes libanaises (shoarma), du bacon, de la salade hachée, le tout couvert de fromage râpé. En résumé, la cuisine néerlandaise contemporaine fait rarement de ses plats traditionnels cuits longuement dans des plats de fonte émaillée, comme leur hochepot (braisé de boeuf aux carottes et pommes de terre qu'on accompagne de cornichons à l'aneth. On y consomme, aukourd'hui, plusieurs types de cuisines du monde qui restent collées aux modes culinaires internationales. La Belgique compte plus de 10 millions de personnes réparties en 3 communautées linguistiques: les Flamands de langue néerlandaise, installés au nord du pays, constituent 60 % de la population; les Wallons installés au sud représentent près de 40% de la population; ils parlent français avec un accent propre. 75 000 personnes établies à l'est du pays sont germanophones, comme le voisin allemand de la Belgique. La Belgique est bien placée pour avoir eu l'idée, la première, de l'Union européenne. Elle s'est gardée présente dans nos têtes et sur nos tables grâce à Jacques Brel, à Hergé, le créateur de Tintin, et aux chanteurs populaires comme Annie Cordy, Adamo, Maurane, Philippe Lafontaine et Laura Fabian. Leur bière et leur chocolat sont aussi appréciés chez nous que chez eux. Le Luxembourg, enfin, est un tout petit pays de 500 000 personnes, au sud-est de la Belgique. On y parle le français, l'allemand et le luxembourgeois. La cuisine de ce pays a de fortes racines germaniques, dans les campagnes. Mais sa cuisine contemporiane urbaine est multi-ethnique, donnant beaucoup de place aux pâtes italiennes, au plats de pommes de terre portugais et aux plats libanais. Les tartes salées comme la flammiche aux poireaux et les tartes sucrées aux prunes y sont aussi populaires.

L'Europe de l'Est de mon enfance était sous l'influence dictatoriale de la Russie qui imposait son régime politique et sa culture. L'U.R.S.S. des années 1950 comprenait 15 républiques, 110 ethnies, 11 fuseaux horaires, l'accès à 12 mers, à 250 000 lacs, à 3 millions de kilomètres de fleuves et surtout à une multiplicité de climats et de terres fertiles qui auraient pu lui donner des ressources alimentaires suffisantes pour nourrir ces millions de personnes. Or le régime vivait, par manque d'organisation et de psychologie sociale, de graves pénuries alimentaires. Les épiceries étaient souvent vides, dans les années 1970 où j'ai pu le constater de visu. Seuls les gens près du pouvoir ne manquaient de rien. Beaucoup de gens voulurent se sortir de ce régime et émigrer en Occident. Nous en avons reçus plusieurs, suite à la Révolution bolchévique de 1918 et lors de la dernière guerre mondiale. La cuisine traditionnelle russe dépendait, à l'origine, d'une agriculture au delà du 50ième parallèle ou 75% du pays se situe. On consommait beaucoup d'orge et de seigle qu'on faisait cuire doucement dans des jarres de céramique et qu'on aromatisait de champignons sauvages. Le gibier et le poisson s'ajoutaient occasionnellement au menu frugal des gens ordinaires. Mais la vie des nobles et des tsars était bien différente, alimentée grassement par les importations du Sud et de l'Ouest européen, comme la France ou l'Allemagne. Notre cuisine russe vient plus de l'aristocratie russe que de sa population paysanne; qu'on pense à la salade russe composée de macédoine enrobée de mayonnaise avec des oeufs durs et du saumon ou du jambon, aux zabouski qui comprennent du caviar avec des blinis (petites crêpes), des poissons fumés, marinés, en mousses diverses, en salades à la crème sure, des salades de champignons, de betteraves, de concombre à l'aneth, des pirojki (chaussons), des boulettes de viande ou des abats de gibier en sauce au Madère, des salades d'orge ou de kachas (grains de sarrasin rôtis). Du côté plus populaire, on connait la célèbre soupe aux betteraves, baptisée bortsch, le coulibiac qui est une pâtisserie salée rectangulaire composée de chou haché parfumé ou, les grands jours, de saumon ou d'esturgeon noir. Les desserts russes les plus connus sont le pashka pascal composé de fromage blanc garni de fruits confits, le kissel qui est une purée de fruits locaux et la célèbre charlotte russe qui date du temps du tsar Alexandre 1er, créé pour lui, par le célèbre chef français, Antonin Carême. 

Au sud-ouest de la Russie qui est le plus grand pays du monde, se situent le Bélarus, l'Ukraine et la Moldavie. Le Bélarus est un pays où les habitants ont toujours été occupés par des maîtres lituaniens ou russes. Lors des dernières guerres mondiales, le pays a perdu plus de 2 millions de personnes qui ont émigré en Amérique. Quelques-uns  ont émigré au Saguenay et en Abitibi où ils sont venus nous aider à construire nos barrages électriques et sortir les métaux précieux de nos mines. La cuisine biélorusse a beaucoup emprunté à la Pologne et à la Russie. Aujourd'hui, c'est une grande créatrice et consommatrice de pâtes alimentaires-maison et de pommes de terre. Elle compte au moins 370 recettes traditionnelles et régionales de pommes de terre. Sa vodka accompagne tous les plats, à la place de la bière ou du vin. L'Ukraine est un grand pays de 46 millons d'habitants qui nous a envoyé de nombreux ressortissants, du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. Sa communauté est la plus importante du Canada; elle est principalement installée dans la plaine de l'Ouest parce que ses ressortissants sont d'excellents producteurs de blé, comme dans leur pays natal. Au Québec, ils se sont beaucoup concentrés en Abitibi, dans les Hautes-Laurentides, au Témiscamingue et dans la région de l'Amiante. La cuisine ukrainienne est profondément slave, en ce sens qu'elle repose essentiellement sur la consommation de céréales, en particulier du blé. On consomme donc beaucoup de variétés de pains, selon le moment du jour ou de l'année. Au XIXe siècle, Balzac disait qu'il comtait au moins 70 sortes de pain, un jour qu'il visitait ce pays. Les pâtes alimentaires sont omniprésentes dans les soupes ou les ragouts; je pense aux galouchki (quenelles de pâte) et aux varieniki (raviolis farcis de multiples garnitures). Les kachas d'orge, de sarrasin, de millet et de blé sont consommés, les jours de jeûne orthodoxe. Le sud de l'Ukraine est cependant plus chaud et plus influencé par la cuisine de l'ancien empire ottoman, avec ses aubergines, ses poivrons et ses fromages de chèvre et de brebis. La Moldavie est un petit pays de 450 km de long par 200 km de large. C'est aujourd'hui un pays démocratique, mais ingérable parce que trop composé d'ethnies différentes qui parlent chacun leur langue, La plupart des gens parlent cependant le roumain du pays voisin et le russe, comme au temps de l'U.R.S.S.. Ce n'est que depuis les années 2000 que l'on voit des Moldaves s'installer au Québec, à cause de la situation instable de leur pays natal. Ils étaient plus de 30 000, à Montréal, en 2015. Manger moldave, c'est manger de la mamaliga roumaine (équivalent de la polenta italienne), des feuilles de vigne farcies à la turque ou à la grecque, du mangea bulgare (poulet en sauce) ou des raviolis aux cerises ukrainiens (coljunasi) pour dessert.

La vodka est omniprésente dans les cuisines de l'Europe centrale et de l'Est. Cela me rappelle l'importance aussi de l'alcool fort dans notre culture culianire d'origine française. Au temps de la Nouvelle-France, les hommes déjeunaient avec un morceau de pain trempé dans du "p'tit blanc" qui était un alcool très fort. Comme s'il fallait se prémunir contre le Nord et le Froid. Mais on sait aujourd'hui, que tout cela est une illusion de chaleur! Puissiez-vous trouver dans ce résumé quelques idées pour notre prochain temps des Fêtes.

Je vous souhaite une belle semaine.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec