La cuisine de l'Asie de l'Ouest et de l'Afrique du Nord, chez nous

Voilà deux grandes régions que les médias ont largement fait connaître, ces dernières années à cause des guerres et des bouleversements politico-religieux.

L'Asie de l'Ouest occupe une place considérable dans l'histoire de la cuisine mondiale; elle est le berceau de l'agriculture eurasienne avec la culture des céréales et la domestication des animaux locaux. Aujourd'hui, ces aliments sont les fondements de la plupart des pays du monde entier. D'autre part, l'Afrique du Nord a dû survivre au bord de la Méditerranée, de l'Atlantique, de la Mer Rouge et des rares points d'eau présents dans un paysage complètement désertique. De plus, les Arabes qui ont conquis cette région ont diffusé une culture culinaire marquée par les préceptes de l'Islam. 

Faisons le tour d'abord de l'Asie de l'Ouest  autrefois baptisée "Asie mineure" ou "Moyen-Orient". Elle comprend 4 grandes sous-régions: la Turquie et le Caucase, le Proche-Orient, la Péninsule arabique et le Golfe persique. Chacune de ces régions compte quelques pays. Leur peuplement, selon les archéologues, remonterait à plus de 1.5 million d'années. Ce serait la première région colonisée par les hominidés, à leur sortir de l'Afrique par l'Égypte. 

Le nord de ce grand territoire est occupé par l'actuelle Turquie et la région du Caucase. La région touche à la Méditerranée, la mer Caspienne, la mer Noire et la mer Égée. Plusieurs civilisations ont marqué le territoire au cours de l'histoire, en particulier les Sumériens qui ont inventé l'écriture, les Perses conquis par les Grecs, puis les Romains qui y ont installé l'Empire byzantin chrétien à Constantinople (Istambul, aujourd'hui). Aux XI et XIIe siècle, les Turcs sont arrivés d'Asie Centrale, fuyant les Mongols dirigés par Ghengis Khan. Ils conquirent, tour à tour, les peuples qui occupaient ce grand territoire, en extensionnant leurs conquêtes en Afrique et en Europe du Sud pour établir l'Empire ottoman. La Turquie actuelle est née en 1923, lors du démantellement de l'empire ottoman. À ce moment-là, le Caucase qui appartenait à l'empire ottoman fut partagé en 3 pays: la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan. La région au complet se caractérise par une grande place accordée aux céréales et aux légumes de climat chaud apprêtés avec de l'ail, de l'oignon et de l'huile d'olive. Tout le monde mange du poulet, du boeuf et de l'agneau qu'on prépare en ragouts avec des légumes, en brochettes (kébabs) ou en kofta (boulettes épicées). Les fruits frais, les figues et les dattes sont cuisinéés en dessert. Les nombreuses variétés de noix sont utilisées dans des desserts de descendance ottomane. La Géorgie et l'Arménie ont cependant des différences importantes avec la Turquie parce qu'lles sont plus tournées vers la Russie orthodoxe; on y mange beaucoup de porc au contraire de la Turquie musulmane. Les immigrants arméniens sont probablement ceux qui se sont le plus intégrés à la société québécoise. Plusieurs femmes d'origine arménienne ont publié des livres de recettes adaptés au goût québécois comme celui d'Hélène Nadjar-Dubé, Le délice pour tous, en  1997).

Au sud de ce premier territoire, se situe le Proche-Orient qui comprend 5 pays officiels et deux pays en devenir: la Syrie, le Liban, Israël, la Jordanie, l'Irak sans oublier la Palestine et le Kurdistan qui cherchent à retrouver leur pays d'origine. Parce que ces pays sont en guerre depuis longtemps, leurs ressortissants cherchent à émigrer ailleurs. La Canada et le Québec reçoivent des Syriens depuis la fin du XIXe siècle; ils nous ont aidé, au début, à construire nos voies ferrées, puis nos barrages. Les événements récents en Syrie préparent une immigration importante de Syriens chez nous. Leur cuisine offre les mêmes mezze (entrées) qu'au Liban avec quelques différences comme le makdous (aubergine farcie frite dans l'huile), le manaeesh (pizza de fromage et zaatar ou au boeuf haché et oignon). La cuisine d'Alep est particulièrement intéressante pour les Montréalais proches du marché Jean-Talon qui peuvent fréquenter le restaurant Alep. On peut aussi acheter le livre de recettes écrit par madame Dalal Kadré-Badra et son fils Éric Badra, Saveurs d'Alep:100 recettes délicieuses d'Alep, 2010. D'autre part, la cuisine du Liban fait fureur, chez nous. 250 000 Libanais possèdent un passeport canadien, mais Ils sont plus de 100 000 a vivre en permanence au Québec. Plusieurs ont ouvert des restaurants de sorte que certains éléments de leur cuisine sont repris dans les foyers québécois; je pense au pain pita, au tabbouleh, à l'hummus, au baba ganouj, au fattouche, aux falafels, aux dolmas divers, aux shawarmas, aux shish taouk, aux kibbés. Quant à Israël, sa cuisine témoigne de l'origine variée de ses ressortissants; on y trouve, mêlées, des recettes arabes et de l'ancien Empire ottoman, des plats des Juifs sépharades d'Espagne, des plats d'Europe de l'Est ou même des États-Unis, comme la dinde aux atocas. La Palestine a quelques spécialités que nous commençons à connaître, chez nous, comme leur célèbre boulghour à gros grains, le maglouba (renversé de riz épicé qui recouvre un mélange de boeuf, de pommes de terre ou d'aubergines. Les plats de riz sont nombeux. La Jordanie possède une cuisine semblable, influencée comma la Palestine par l'ancienne cuisine turque de l'Empire ottoman. La cuisine du Kurdistan est méconnue chez nous même si plusieurs Kurdes ont dévedloppé de nouvelles sortes de pizzérias à Montréal (Pizza Welat ou Pizza Med). Quant à la cuisine de l'Irak, elle a hérité de son riche passé persan, moment où sa riche noblesse a développé un art de vivre dont des peuples pourtant avancés comme les Grecs, ont voulu imiter le raffinement. Sa cuisine actuelle est fortement teinté par l'influence ottomane dont nous venons de parler.

La Péninsule Arabique est principalement occupée, au nord, par l'Arabie saoudite, et par Oman et le Yemen, au sud de la Péninsule. Nous ne connaissons pas vraiment la cuisine de ces pays qui ne nous ont pas envoyé de ressortissants, sinon par la recherche sur internet. Ces pays consomment beaucoup de chèvre et de chameau avec lesquels nous ne sommes pas du tout familiers. Le lait de chameau y est particulièrement populaire. Le Yemen possède une cuisine proche de l'Afrique avec sa consommation de sorgho et de millet à la place du riz ou du bulghur. Nous apprenons à remplacer occasionnellement la farine de blé par la farine de sorgho, chez les gens allergiques au gluten.

Le Golfe persique est bordé, au sud, par le Koweït, Bahreïn, le Qatar et les Émirats arabes unis. Ces petits états pétroliers sont très riches et reçoivent plus d'immigrants qu'ils n'en envoient. Leur cuisine traditionnelle est similaire à celle du Golfe persique, mais la richesse du pays fait en sorte que tous les ingrédients et toutes les cuisines du monde y sont présents dans les restaurants et les grands hôtels. Les Québécois qui vont faire des séjours dans ces pays peuvent le constater. La très grande majorité des chefs cuisiniers viennent d'ailleurs que de la région. L'Iran qui occupe la rive nord du Golfe persique nous est plus familier parce que plusieurs étudiants de ce pays sont venus étudier à Montréal et sont restés chez nous, par la suite. Leur cuisine nous est aussi plus familière. On mange beaucoup d'agneau avec du riz qu'on accompagne de légumineuses, de céleri, de tomates et de curcuma. Le poulet se prépare surtout avec des légumes sucrés comme la carotte ou le navet ou des fruits comme des oranges, des abricots ou des cerises aigres. Les crêpes farcies de légumes braisés sont aussi très populaires de même que les salades de légumes verts avec du yogourt et des herbes.

L'Afrique du Nord est très présente chez nous parce que la majorité de ses pays y parlent arabe et français ou anglais, à cause de leur ancienne colonisation par la France ou l'Angleterre. Le Québec reçoit toujours beaucoup de jeunes étudiants de ces pays qui demeurent au Québec, à la fin de leurs études universitaires. Le Maroc, l'Algérie et la Tunisie, à l'ouest, qu'on appelle le Maghreb, parlent arabe et français alors que la Lybie et l'Égypte à l'est, parlent plus souvent anglais. Ces pays étaient surtout peuplés de Berbères qui ont été colonisés par les Arabes au VIIe siècle de notre ère qui voulaient les convertir à l'Islam. Par la suite, la Turquie les conquit pour créer l'Empire otttoman qui imposa sa culture et sa religion. La cuisine ottomane a donc profondément marqué la cuisine berbère d'origine. La Tunisie avec ses 10 millions d'habitants est le plus petit pays du Maghreb, mais non le moindre au niveau de l'histoire; les Phéniciens y ont construit la célèbre ville de Carthages qui faisait l'envie des Grecs et des Romains, 3 siècles avant J.C.. Puis les Romains conquirent le pays en 146 avant J.C. et les Arabes, au VIIe siècle de notre ère. Le pays tomba sous la gouverne de la France, en 1881. En 1956, le pays devenait indépendant. L'Algérie avec ses 35 millions d'habitants est le plus grand pays d'Afrique du Nord. 60 % de la population parle français, vestige de l'occupation du pays par les Français pendant 132 ans. Le Maroc touche à la Méditerranée et à l'Atlantique. Il a eu de nombreux contacts avec l'Europe, au cours de son histoire, particulièrement au Moyen äge lorsqu'il conquit le sud de l'Espagne. Depuis 1991, il occupe le Sahara occidental qui revendique son indépendance. La cuisine maghrébienne a été façonnée, au fil du temps, par 3 climats: celui de la Méditerranée avec sa chaleur et son humidité; celui du désert avec ses contrastes climatiques et ses oasis; et celui de la steppe qui fait le lien entre le désert du Sahara et la forêt tropicale de l'Équateur africain. Le long de la Méditerranée, on sert de nombreuses salades de légumes crus ou cuits liés par une vinaigrette au jus de citron et à l'huile d'olive. On adore les beignets de légumes ou de légumineuses, les chaussons de pâte filo et les nombreuses entrées ottomanes comme les feuilles de vigne farcies, l'hummus, les olives en saumures douces ou piquantes. Les potages préférés se font avec des lentilles, des fouls (gourganes), des gumbos, du riz de l'orzo ou des vermicelles. On les parfume avec des mélanges d'épices, souvent familiaux. Les riverains de l'Atlantique ou de la Méditerranée préparent des poissons poêlés ou grillés avec des sauces tomates épicées, ou encore en tagines avec des pommes de terre, du safran, des tomates, des poivrons, des courgettes ou des citrons confits. L'Afrique méditerranéenne aime beaucoup le mouton ou l'agneau cuit en méchoui, en cubes ou haché, préparé en merguez ou en kofta. Les mélanges d'épices appelées raz-el-hanout parfument tous ces plats d'agneau. Quant aux desserts, qui ne connaît pas les baklavas? S'ajoutent de nombreux autres desserts parfumés au miel, aux pistaches ou aux noisettes, aux figues ou aux dattes. Nous pouvons désormais acheter de nombreux plats ou aliments de cette région dans des épiceries spécialisées, comme celle d'Adonis, dans les grandes villes québécoises et ontariennes de l'Est.

La cuisine de ces régions est entrée chez nous avec l'installation des premiers immigrants syriens dans nos petites villes industrielles, mais elle est aujourd'hui accessible dans toutes les chaines d'alimentation du Québec. On peut y trouver de nombreux exemples de plats méditerranéens qualifiés de plats-santé.

La semaine prochaine, nous parlerons de la cuisine antillaise et latino-américaine.

Bonne semaine, d'ici là.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec