Soumis par Michel Lambert le
Pendant ma prime enfance, mon père a été trappeur au nord du Lac-Saint-Jean. C’est en forêt qu’il a connu un certain Parent et un certain Robertson qui chassaient dans le même coin et qui lui apprirent les rudiments de la chasse à l’orignal. Robertson était innu.
Une fois déménagé à Kénogami, mon père garda l’amour de la chasse et de la trappe. Il prenait ses vacances annuelles au temps de la chasse où il allait nous chercher un orignal dans le Nord du Québec, avec un confrère de travail, Monsieur Boulianne. Puis, comme cet ami dût arrêter de chasser pour prendre soin de sa femme qui était malade, mon père demanda à d’autres membres de ma famille de l’accompagner dans cette aventure annuelle. Il a même initié mes 2 frères à cette chasse difficile qui demandait de la force et une patience inouïe. Quand on tuait, il fallait débiter l’animal sur place, et transporter les quartiers sur son dos jusqu’au campement et à la voiture, à travers la forêt dense, en utilisant le canot pour traverser les lacs avant d’arriver au camp. C’est la raison pour laquelle, il essayait toujours d’appeler l’animal au bord de l’eau. Les dernières années, alors que je commençais ma famille, il y allait en avion ; ce qui lui permettait d’aller encore plus haut dans le nord, au-delà du 52 e parallèle. Mais il était alors soumis aux conditions météorologiques qui empêchent parfois les avions de sortir à cause des brouillards fréquents, en automne. Il y avait, non loin de chez nous, à Shipshaw, une base d’hydravion où nous allions le chercher. C’est la base elle-même qui nous avertissait lorsque mon père était pour arriver. C’était alors la fête. On faisait murir la viande, suspendue au plafond du garage, puis après une dizaine de jours, c’était la corvée du débitage de la viande. Tout le monde participait pour séparer les muscles et les couper en morceaux de steaks, de rosbifs, de cubes et de viande hachée que nous prenions dans les petits morceaux des côtes et des jambes. Mon père partageait toujours la viande en deux ou en trois, selon le nombre de chasseurs qu’ils étaient. C’était une loi apprise des autochtones.
Chasser, était pour mon père, une façon d’apporter à manger à sa famille. Il m’a raconté, que lorsqu’il eut 13 ans, son père lui confia cette tâche de s’occuper de nourrir sa mère, ses frères et sœurs, pendant qu’il allait travailler dans le bois comme bucheron. Chaque jour, quand il revenait de l’école, il allait à la petite chasse pour ramener du petit gibier à la maison, surtout après le temps des Fêtes quand les provisions d’hiver baissaient. La chasse d’aujourd’hui n’a plus rien de commun avec la chasse d’autrefois ; on ne tue plus les animaux pour se nourrir mais pour pratiquer un sport de plein air, sans trop d’effort. Les chasseurs sont munis de 3 ou 4 roues qui transportent l’animal tué à travers la forêt. Mes beaux-frères ont aussi chassé l’orignal et le chevreuil. Mon frère a chassé le caribou au moment où la chasse était encore permise. Ce gros gibier a nourri nos ancêtres autochtones, français et britanniques pendant des siècles et des millénaires, pour les autochtones. Tuer un wapiti qu’on appelait « vache sauvage » au temps de la Nouvelle-France ou bien un gros orignal mâle permettait de nourrir quotidiennement une grosse famille pendant une bonne partie de l’hiver. Il était beaucoup plus rentable pour le fermier de l’époque de tuer un gros gibier, au bout de sa terre de trente arpents, que d’élever un veau pendant 2 ans, le temps qu’il devienne rentable en viande, en l’abritant et en le nourrissant pendant 2 ans ; cet élevage nécessitait une étable et une grange pour entreposer le foin et les céréales complémentaires qu’on devait lui donner pour compléter son alimentation. C’est la raison pour laquelle, on ne mangeait du bœuf que le dimanche, lors des événements importants de la vie ou lors des fêtes religieuses annuelles. Les choses ont changé après la conquête anglaise, dans la Plaine du Saint-Laurent. Le gouvernement anglais confisqua tous les fusils de sorte qu’on n’a pu chasser de gros gibier pendant deux générations. On a redonné des fusils aux paysans lorsqu’on a eu besoin d’eux pour défendre le Canada contre les Américains, au début du XIXe siècle. Ceux qui s’en sortirent le mieux sont ceux qui avaient appris à chasser le gros gibier au collet ou à la battue, avec les autochtones. La chasse à la battue se pratiquait à plusieurs, en construisant des clôtures d’arbres qui forçaient les bêtes à se diriger vers un goulot où on pouvait les abattre à l’aide d’un javelot. Certains de ces chasseurs, comme les Autochtones, d’ailleurs, vendaient ou troquaient ce gibier pour des produits fermiers ou d’importation comme le lard salé, les pois ou les haricots.
Le second sujet de cette semaine me ramène aussi à mon père qui m’a initié à la cueillette des bleuets, dans la friche d’Albanel. Dans ce lieu qui avait connu le grand feu de 1870, la terre acide du coin favorisait la repousse des bleuets. Comme le bleuet était très en demande dans les villes naissantes du pays, plusieurs familles de fermier campaient dans la friche pendant le mois d’août afin de ramasser des bleuets pour vendre. Chaque soir, des acheteurs de bleuets passaient par les campements pour acheter les bleuets ramassés dans la journée. Mon père s’apportait des piles de petites planches de bois, des petits clous pour faire les boites de bleuets et un vent (ventilateur) pour enlever les feuilles tombées accidentellement dans les seaux de cueillette. Ma mère préparait les provisions de base comme de la farine, des haricots, des pommes de terre, du lard salé, du sucre, du thé, du sel, de la viande en conserve, des sardines, etc. pour préparer le repas du matin et du soir. Mon père préparait le feu de camp sur lequel on cuisinait et dans lequel on faisait cuire les fêves au lard, toute la nuit, pour le lendemain matin. Les jours de pluie, on mangeait du pain beurré avec des bleuets. Les bleuets font vraiment partie de l’héritage autochtone algonquien. Ce sont les Innus qui ont initié les Français et les Écossais à la cueillette des bleuets. Ces derniers firent désormais leurs desserts traditionnels avec des bleuets : tartes, grand-pères, cipayes, chalands ou scows, confitures, etc. C'est une autre illustration du métissage de la cuisine québécoise.
Ces denrées de fin d’été m’amènent à vous souhaiter une belle saison colorée et une belle semaine !
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec