Du "bouillon" de 1650 aux bières artisanales de 2020

La bière appartient à notre héritage européen. Dès le XVIe siècle, les autochtones goutèrent à cette boisson amenée par les pêcheurs et les explorateurs européens. Elle était considérée comme la boisson des pauvres ou du quotidien, un peu comme le cidre, alors que le vin était plutôt la  boisson du dimanche, ou bien des riches, des ecclésiastiques et des administrateurs de la colonie. Revoyons son histoire à partir les textes déjà parus sur ce site.

"La bière a au moins 10 000 ans d’existence, du moins en Palestine, en Égypte et en Irak. Les archives découvertes à Sumer en répertorient au moins 10 variétés. Puis celles de Babylone en comptent 34 sortes. Il s’agissait de bières d’orge à fermentation naturelle à laquelle on ajoutait du miel, des herbes ou des épices pour éliminer son gout de levure. La bière était donc un remède qu’on donnait aux gens pour les calmer. 5 000 ans avant J.C., la bière avait atteint l’Europe centrale où vivaient les Celtes, les Slaves et les Germains qui en raffolaient. Chaque peuple avait cependant sa recette; les femmes celtes faisaient fermenter la bière dans des barils de chêne. L’orge malté qu’elles obtenaient s’appelait brace en langue celte. C’est ce mot qui donna naissance aux mots français brassin, brasseur et brasserie. Vers le XIe siècle, on ajouta du houblon au brassin pour enlever le gout de la levure".

Au Québec, c’est Louis Hébert, apothicaire de métier (pharmacien en termes modernes), qui enseigna aux premiers colons à se faire de la bière maison avec leurs restes de pâte à pain. Cette bière maison s'appelait du "bouillon" et ne titrait pas plus que 2% en alcool. En 1646, les pères jésuites construisaient la première brasserie du Québec, à Sillery; c’est le frère Alexandre, convers de la communauté, qui s’en occupait. Il est important de noter, ici, que la bière était connsidérée comme une boisson médicinale calmante. Les religieux se faisaient tous de la bière, en particulier les communautés qui soignaient des malades. C'est la boisson qu'on donnait aux malades, dans les premiers hôpitaux de Québec et de Montréal. En 1669, l’intendant Talon faisait construire une première grosse brasserie pour la population de Québec. Mais celle-ci dut fermer ses portes, faute d’acheteurs de bière. Ce sont les pauvres qui aimaient la bière et ils n’avaient pas d’argent pour en acheter. Ils préféraient s’en faire à la maison, à peu de frais. Cette habitude de bière maison se poursuivit jusqu'à la fin des années 30, au Québec. Lorsque les hommes se réunissaient pour faire des corvées entre voisins, la bière maison faisait partie du plaisir de s'entraider.

"Lorsque les Anglais ont pris le contrôle de la colonie française, en 1760, la bière anglaise prit du galon auprès des Franco-Québécois. Les officiers anglais l’adoraient. C’est d’ailleurs à ce moment-là que sont nées les brasseries. Les soldats anglais avaient le droit de consommer 5-6 pintes de bière par jour. Et cette bière anglaise était beaucoup plus forte que la bière française à 2-3 % d’alcool.

Quant à la cuisine avec de la bière, elle est née sur les bateaux qui traversaient les océans. L’eau potable ne pouvait se conserver longtemps sur ces bateaux qui prenaient en moyenne 3 mois pour traverser l’Atlantique; on avait donc recours aux alcools comme la bière, le cidre et le vin pour se désaltérer et même faire boire les animaux. Les cuisiniers remplaçaient donc l’eau de cuisson par de la bière ou plus rarement, par du vin. Je vous donne cette semaine toute une série de recettes avec de la bière, ramassées dans toutes les régions du Québec.

Je vous invite à utiliser les bières artisanales de nos régions pour les faire. On peut aussi faire des dégustations de bières avec des charcuteries, en été. En espérant qu'on pourra le faire entre parents et amis, avant l'hiver prochain.

Bonne semaine à tous,

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.