Soumis par Michel Lambert le
Parlons d’abord du poireau qui appartient vraiment à notre histoire culinaire. Quand j’étais tout petit, ma grand-mère maternelle demandait à mes jeunes tantes encore enfants d’aller chercher du poireau dans la cave pour finir sa soupe. Je voulais toujours y aller avec elles. On levait la trappe de la cave munie d’un anneau en fer, on descendait un étroit escalier de planches grises, puis on trouvait une chaudière de sable dans laquelle était plantés quelques poireaux. Mes tantes coupaient quelques bouts jaunis de poireau que je remontais prudemment à ma grand-mère.
Elle nous faisait une recette originaire de Kamouraska, le pays de mon grand-père Ouellet, avec du poireau, des pommes de terre en dés et du riz de pâte, (des pâtes alimentaires maison qui avaient la forme des linguini). Ma mère a toujours fait cette soupe de son père, par la suite, et j’ai continué la tradition. Vous la trouverez dans les recettes de cette semaine en cliquant sur ce lien: soupe aux patates des Ouellet de Kamouraska. Quand j’ai fait ma longue enquête sur les aliments préférés des Québécois, dans toutes les régions, je me suis rendu compte qu’au Bas Saguenay et dans Charlevoix, le poireau était moins connu que sur la Côte-du-Sud, l’autre côté du fleuve. Certaines personnes aînées du Bas-Saguenay me disaient ne pas avoir connu le poireau avant les années 1960, lorsque les épiceries remplacèrent les magasins généraux. J’étais vraiment étonné de cela, ayant connu ce légume depuis mon enfance. Les archives confirment le fait que le poireau est présent au Québec depuis le XVIIe siècle. Tout le monde en plantait dans son jardin. Cependant, le poireau vient bien dans les terres argileuses de la plaine du Saint-Laurent. Il est difficile à faire pousser dans les terres trop acides des régions montagneuses. C’est probablement pour cela que les gens de Charlevoix et du Bas-Saguenay en plantaient moins que ceux de la Côte-du Sud. Quoi qu’il en soit, le poireau est cultivé par l’homme depuis 8 000 ans. Il est originaire du Croissant fertile comme le blé, l’orge et les pois à soupe. Tous nos ancêtres européens de culture celtique, gréco-latine et germanique en plantaient dans leur jardin. L’empereur Néron l’adorait. Le poireau est même devenu l’emblème national des Gallois, en Angleterre. Les Gallois sont d’origine celtique, comme les Irlandais et les Écossais. Par conséquent, ce légume est l’un des plus importants legs des peuples européens, fondateurs du Québec, en particulier les Celtes, ancêtres des Français et des Britanniques.
Quant au navet, le légume est l’un des plus anciens légumes du monde comme le poireau et les pois à soupe. Il est originaire du Croissant fertile (Iran, Irak et Turquie actuelles). Il s’est répandu partout dans le monde avec l’agriculture européenne. Les peuples fondateurs de l’Europe l’ont rencontré dans leur expansion vers l’Europe de l’Ouest, il y a 6 000 ans. Les Celtes l’ont donc apporté dans le Nord-Ouest de la France et en Angleterre, 300 ans avant-J.C. . Quand les Français sont déménagés au Québec, ils ont apporté le petit navet blanc qu’ils appelaient navot ou naveau et le navet jaune. Ces deux types de navet ont des feuilles velues qui partent directement de la racine bulbeuse. Dans nos épiceries, nous pouvons acheter du petit navet blanc, mais nous ne trouvons plus de navet jaune. Ce que la plupart des gens appellent du navet n’est pas du navet mais du rutabaga. Ce légume au nom suédois est issu du croisement entre un navet et un chou que les Scandinaves auraient créé, probablement au XVI e siècle. Les jardins royaux de Londres et de Versailles en avaient des exemplaires, au XVIIe siècle, mais ne le consommaient pas vraiment. C’est John Sinclair, un noble écossais, qui l’aurait amené de Suède en Angleterre au XVIIe siècle. Puis le gouverneur anglais du Bas-Canada, Sir Dorchester, l’aurait amené d’Angleterre au Québec en 1792, pour nourrir les animaux. Les Franco-Québécois l’appelèrent chou-siam parce qu'il n'avait pas de feuilles velues comme celles du navet, mais des feuilles lisses comme celles du chou, qui partaient du collet et non du bulbe, comme le petit navet blanc ou le navet jaune. Quand j’étais enfant, mon grand-père semait des champs de chou-Siam pour nourrir ses vaches. Mais je n’aimais pas du tout le lait produit par les vaches qui s’en nourrissaient, car il goûtait le navet cru. Lorsque les épiciers remplacèrent le navet traditionnel par le chou-Siam, on prit un certain temps à s’adapter. Les gens le cuisaient trop longtemps et le légume prenait un gout désagréable qui prenait le pas sur tous les autres légumes du rôti ou du bouilli de légumes. Sachez que pour bénéficier du meilleur du rutabaga, il ne faut pas le cuire avec du sel ou avec de la viande en bouilli, mais juste avec de l’eau, ou mieux, à la vapeur, et l’ajouter aux autres légumes ou à la viande par la suite. La cuisson au micro-onde avec un peu d’eau donne aussi de bons résultats. En soupe, il vaut mieux le cuire à l’eau, puis ajouter le bouillon de viande au navet cuit par la suite. Il se marie bien au sirop ou au sucre d’érable ou aux autres légumes-racines. Quelques recettes traditionnelles vous proposent des applications de ce type de cuisson du rutabaga.
Je vous souhaite une bonne semaine de cuisine d’automne avec du poireau et du chou-Siam
Michel Lambert, historien de la Cuisine familiale du Québec