Soumis par Michel Lambert le
En faisant ma longue recherche en cuisine pour retrouver nos racines culturelles et culinaires, je me suis rendu compte que la cuisine pouvait être une grille d’analyse de notre société et un modèle politique à suivre. Je m’explique.
Les archéologues, les anthropologues, les biologistes et les historiens de toute allégeance ont jeté un œil attentif sur l’histoire de la fréquentation des groupes humains du territoire québécois actuel. Ils ont découvert des choses importantes sur leur façon de survivre dans un territoire nordique comme le nôtre : leurs habitations, leurs façons de se nourrir, leurs outils de pêche, de chasse et de cueillette, leurs moyens de conservation, leurs préférences alimentaires, leur vaisselle, leurs tabous alimentaires découlant de tout un système de croyances révélés par les premiers témoins étrangers des cultures fondatrices de ce territoire. Puis, les Européens ont tour à tour débarqué au Québec en échangeant des aliments et des outils de cuisine. Les Vikings échangèrent du lait avec les Dorsétiens de Blanc-Sablon, au milieu du XIe siècle. Les Basques montrèrent aux Innus de la Côte-Nord à cuire du pain de blé dans le sable ou dans un poêlon de fer noir, à la fin du XVe siècle. Les pêcheurs bretons et normands prirent la relève chez les Micmacs de la Gaspésie avant même la venue de Jacques-Cartier en 1534.
En résumé, notre histoire culturelle et culinaire n’a pas commencé avec la fondation de Québec en 1608. Avant cette date, des Basques, des Gascons, des Normands, des Anglais, des Espagnols, des Portugais et des Français étaient débarqués sur nos côtes pour y passer un été, parfois un hiver, en y partageant des biens avec les autochtones de divers groupes parlant un dialecte algonquien, inuit ou iroquoïen. Le roi de France Henri IV, par l’intermédiaire de Jacques Cartier, décidait d’imiter les autres grands rois européens de l’Espagne et du Portugal, en prenant possession d’un territoire en Amérique. Et l’on sait que le roi d’Angleterre lui disputait le même territoire. Les frères Kirke chassaient les Français installés à Québec, en 1629. Puis les Français revenaient définitivement s’installer au Québec à partir de 1632. Peu à peu, la Nouvelle-France étendrait son influence politique et économique dans la Plaine du Saint-Laurent jusque dans la région des Grands-Lacs, puis de la Baie d'Hudson, puis le long du fleuve Mississippi, jusqu’au golfe du Mexique et en Louisiane. Même si les Anglais refaisaient la conquête de la Nouvelle-France en 1760, les coureurs des bois francophones continueraient d’explorer l’Amérique en parlant leur langue avec leur femme autochtone, et anglais avec leurs compagnons de route écossais, jusqu’aux portes de l’Alaska, de Vancouver et de Seattle, en passant par Chicago et Saint-Louis, au Missourri. Tous ces contacts entre alliés et ennemis continueraient de faire évoluer la culture et la cuisine de chaque peuple de ce grand territoire américain, indépendamment des institutions politiques et religieuses du temps. La cuisine française du Québec a beaucoup emprunté à la cuisine huronne, algonquine et innue du Saguenay comme la cuisine bretonne et normande de la Gaspésie a emprunté à la cuisine des Mig-Mac. Au XIXe siècle, la cuisine métis du Québec a commencé à s’angliciser en empruntant aux Anglais, aux Irlandais, aux Écossais et aux Américains déjà métissés en Nouvelle-Angleterre avant leur immigration, un peu partout dans nos régions. Mais les Métis français marqueraient aussi les cuisines du Yukon, du Grand-Lac-des-Esclaves comme celles de l’Orégon ou de Vancouver. Saviez-vous que les premiers cours de cuisine de Régina, en Colombie Britannique, ont été donnés par des Sœurs de Sainte-Anne de Montréal ? C’est ainsi que la cuisine rapproche les peuples et les familles, quelles que soient leur langue, leurs valeurs et leur options politiques.
La culture d’un peuple se bâtit au fil des rencontres avec les autres peuples. La culture française est le meilleur exemple de cela : les Celtes de la Gaule ont emprunté beaucoup de recettes aux Romains, même s’ils détestaient leur pouvoir politique et militaire. Et lorsque les Francs et les Vikings sont entrés dans le territoire gallo-romain, la cuisine de l’époque se mit à intégrer les dizaines de recettes pratiques de ces gens qui vivaient beaucoup au fil des saisons et non pas seulement sur leurs réserves, comme les Gallo-Romains. Lorsque les Croisés sont allé se battre au Moyen-Orient, contre les Musulmans, pour redonner les terres chrétiennes aux Chrétiens, ils ont ramené en Europe plein de recettes et d'aliments qui sont devenus des emblêmes même de notre cuisine, comme les fameuses galettes de sarrasin et le blanc-manger. Lorsque l’Église catholique eut l’idée d’arrêter les guerres incessantes entre les nations en mariant leurs enfants, les cultures culinaires en place s’enrichirent beaucoup de ces mariages. La cuisine française a beaucoup évolué avec les cuisiniers amenés d’Italie par Catherine de Médicis ou Anne d’Autriche qui avait été élevée en Espagne par un père espagnol et une mère autrichienne. Les guerres dans les autres territoires ont aussi amené les soldats à ramener de nouveaux aliments et de nouvelles recettes dans leur pays, comme on l’a vu, en France, après la Guerre de l’Algérie, ou aux États-Unis, après la Guerre de Sécession. Le couscous et les arachides sont des aliments devenus populaires après ces guerres.
Toute l’histoire des aliments et des recettes est l’histoire de longs voyages à travers notre planète, au fil des siècles. En écoutant la télé hier soir, j’entendais que l’être humain moderne portait en lui plusieurs souches humanoïdes, dont celle de Néanderthal. C’est d’ailleurs cette souche humaine qui nous aurait donné un meilleur système immunitaire. La vie des aliments comme celle de l’homme est en perpétuel combat pour la survie de son espèce. Ainsi le veut la Vie.
Permettez-moi, enfin, de dire que cette vision des choses peut nous donner des pistes intéressantes pour notre vie politique actuelle au Québec : toutes les nations du monde sont des courtes-pointes, des bouquets de fleurs différentes, des mélanges d’épices particuliers dont le mariage est unique. Notre caractère identitaire vient du mariage de nos cultures fondatrices, non d’une seule culture. Un bouquet ne peut avoir qu’une fleur. Notre célèbre Boukar Dhiouf disait la même chose, ce matin, dans la Presse. Salut Boukar!
Profitez des recettes issues de nos diverses cultures et de leurs mariages entre elles, cette semaine. Cuisiner d'hier à aujourd'hui, c'est ça le futur!
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.