Connaissez-vous l'histoire de nos carottes?

Dans les légumes les plus consommés au Québec, la carotte arrive au 3 e rang, après la pomme de terre et l’oignon. Ce sont les Français qui l’ont amenée au Québec, dès leur installation au pays, comme le confirme Pierre Boucher, en 1664. Mais la carotte orange que nous mangeons aujourd’hui n’a presque rien à voir avec la carotte sauvage originaire de l’Afghanistan.

Les peuples de race blanche qui ont fondé l’Europe sont tous originaires de l’Asie centrale où la carotte a été cultivée pour la première fois par l’homme, il y a 5 000 ans. Les peuples fondateurs de l’Europe l’ont amenée avec eux dans le territoire où ils se sont installés par la suite, il y a 3 000 ans. La carotte afghane était rouge bourgogne, mais amère et très fibreuse. Au XVII e siècle, au moment où on l’amena au Québec, les carottes étaient de multiples couleurs, mais principalement jaunes comme les panais et les racines de persil. Mais on ne les distinguait pas vraiment ; on les appelait d’un nom générique : les racines.

La carotte orange est une création des Huguenots français exilés en Hollande pour pouvoir pratiquer leur religion protestante. Leurs jardiniers créèrent une carotte orange plus douce et plus sucrée que les carottes jaunes encore amères et fibreuses pour remercier la Maison Orange de les avoir accueillis, suite aux guerres de religion françaises, au XVIe siècle. Cette carotte orange a suivi l’émigration de ces protestants français, un peu partout dans le monde, entre le XVIIe et le XIXe siècle. La carotte orange est donc venue chez nous par les États-Unis, à la fin du XVIIIe siècle. Les Américains la trouvaient si sucrée qu’ils la traitaient parfois comme un fruit ; ils en faisaient des compotes, des flans, des tartes, des poudings et des gâteaux. Les Écossais et les Irlandais la mélangeaient à la pomme de terre pour en faire des purées qu’ils appelaient des champs ou peeps and tatties. Les Franco-Québécois les imitèrent et baptisèrent ces purées de légumes racines, des mailloches, des vailloches ou des pilotines. Les autochtones québécois adoptèrent la carotte dès le XVII e siècle et les Inuit, dans les années 1940, lorsque l’armée américaine construisit des bases militaires au Nunavik.

Mais je voudrais revenir sur le passé français de la carotte. Au Haut Moyen Âge, la carotte était consommée par les paysans pauvres et non par les riches qui qualifiaient ce légume de « nourriture de la basse classe » parce qu’il poussait dans la terre, comme les navets et les raves (radis). Ce sont les cuisiniers de Louis XIV qui réhabilitèrent la carotte au menu des nobles parce qu’il les adorait depuis son enfance. Les cuisiniers italiens de Catherine de Médicis avaient d’ailleurs commencé à changer les mœurs de la cour française en introduisant d’autres légumes et d’autres herbes pour remplacer les épices et les pâtés moyenâgeux. Nous avons donc subi cette influence italienne, dès le début de la colonie, au Québec, en cuisinant tous les légumes avec du lait, de la crème et des herbes, comme à Versailles. Ce type de cuisine au lait venait de la Normandie, à cause de l’influence de Monsieur Béchamel d’origine normande qui approvisionnait tout Versailles, de produits normands qui arrivaient à Paris par la Seine ou par diligence.

Désormais, la carotte serait le légume des riches et des pauvres qui susciterait de nombreuses recettes dans notre répertoire culinaire. Chaque ethnie qui s’installe au Québec ajoute des manières nouvelles de le préparer. Je vous donne beaucoup de salades de carotte, cette semaine, pour vous inciter à varier vos recettes de carotte en accompagnement des viandes ou des poissons.

Bonne semaine à tous.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec