Les plats les plus typiques du Québec. No 1
Soumis par Michel Lambert le
Quels sont les plats les plus typiques de chez nous que nous faisons avec les produits issus de l’eau de mer ou de l’eau douce?
Notre répertoire culinaire comprend des types de plat que nous faisons lors des fêtes ou des grands évènements de la vie et d’autres que nous gardons pour le quotidien. En faisant le tour de ces types de plat, le régionalisme apparait vraiment dans le choix de l’aliment vedette. Dans les régions maritimes comme la Côte-Nord, le Bas-Saguenay, Charlevoix, les Iles de la Madeleine, la Gaspésie, le Bas-Saint-Laurent, la Côte-du-Sud, la Baie James et le Nunavik, le poisson et les fruits de mer sont à l’honneur. Dans les régions forestières des Laurentides ou des Appalaches de même que dans la Plaine du Saint-Laurent, ce sont les poissons d’eau douce qui le sont. Faisons le tour de nos plats-vedettes.
Les plats traditionnels les plus festifs de notre patrimoine sont les cipailles ou cipâtes ou sea pies, les tourtières, les pots-en-pots, les gibelottes, les bouillottes, les gargottes, les pâtés et les casseroles. Mais depuis les années 1970, se sont ajoutés de nouveaux plats festifs reliés au fait que certains aliments sont devenus dispendieux et rares sur nos tables. On les sert donc seulement dans de grandes occasions de l’année, lors de leur arrivée sur le marché ou lors de festivals qui leur sont consacrés. Voyons comment chaque plat s’exprime régionalement avec nos poissons et nos fruits de mer?
Commençons avec les cipates ou cipailles écrits traditionnellement de plusieurs manières mais tous issus du sea pie, d’origine anglaise. Le plat était fait, en Angleterre de plusieurs poissons et/ou de fruits de mer qu’on empilait dans une casserole tapissée de pâte brisée, intercalés de farine assaisonnée. Lorsque les Anglais émigrèrent en Amérique au début du XVII e siècle, ils apportèrent le plat. Mais au moment où la pomme de terre est vraiment entrée dans les mœurs, à la fin du XVIIIe siècle, ils remplacèrent la farine assaisonnée par des dés ou des lamelles de pommes de terre. Certaines familles ajoutaient même un peu de muscade à ce plat marin. Le plat est traversé au Québec au milieu du XIXe siècle, lors du va-et-vient considérable qui se fit entre le Québec et la Nouvelle-Angleterre pour des raisons économiques et politiques. Depuis ce temps, les régions font des cipailles avec du poisson ou des fruits de mer lors des réunions de famille ou d’amis. Le plat contient toujours au moins un poisson ou un fruit de mer, des pommes de terre et un corps gras comme du lard salé ou du beurre. Certains remplacent l’eau par du lait. D’autres, comme dans le Bas-Saint-Laurent, intègrent des couches de pâte dans le montage du plat. D’autres ne mettent pas de pâte tout autour mais seulement des grands-pères sur le dessus, comme en Basse-Côte-Nord. Faisons le tour de nos cipâtes ou cipailles québécois faits avec du poisson ou des fruits de mer: sur la Côte-Nord, on le fait avec de la morue, du saumon, de la truite de mer ou du hareng; en Gaspésie, on le fait avec des coques, des crevettes, des palourdes, du saumon, de la morue, du flétan du Groenland (turbot) ou du hareng; dans le Bas-Saint-Laurent, on le fait avec de la truite de mer, de la truite mouchetée ou du crabe; dans les Laurentides, on le fait avec du brochet et du bacon.
Parlons maintenant des tourtières. Ces plats festifs appartiennent à la tradition française, encore présente dans le nord de la France. En fait, la tourtière est avant tout une grande casserole de fer ou de fonte noire montée sur des pieds solides destinée à une cuisson sur des braises, dans l’âtre d’un foyer. C’est dans ce plat qu’on faisait les gros pâtés en Europe. En France, on l’appelait une tourtière parce que le plat était destiné à la cuisson des tourtes ou pâtés épais. Le plat a donc été amené de France, au XVIIe siècle. Mais le terme s’est diversifié au Québec. Dans Charlevoix, à la fin du XVIIIe siècle, on a commencé, sous l’impulsion des soldats écossais établis dans la région, à mettre des dés de pommes de terre dans la tourtière traditionnelle – les soldats de l’armée anglaise de 1760 étaient largement nourris aux pommes de terre. Puis, à partir de Charlevoix, la tradition s’est répandue au Saguenay-Lac-Saint-Jean, sur la Côte-Nord et en Gaspésie, avec l’émigration des Charlevoisiens vers ces régions, au milieu du XIXe siècle. Dans l’ouest du Québec, le plat s’est transformé en tarte ou en pâté moins épais, au début du XIXe siècle, et n’a jamais connu l’ajout de pommes de terre, comme dans Charlevoix. Voici à quoi on fait la tourtière, dans les régions concernées : sur la Côte-Nord, on la fait avec des coques (clams), des pétoncles, du brochet, de la ouananiche; en Gaspésie, on la fait avec de la morue et de la purée de pommes de terre plutôt que des dés de pommes de terre; au Bas-Saguenay, on la fait avec de la morue salée ou fraiche, puis du saumon salé ou frais; au Lac-Saint-Jean, on la fait avec de la ouananiche.
Le pot-en-pot appartient essentiellement à la tradition acadienne. Par conséquent, on le trouve principalement où les Acadiens se sont installés après leur dispersion de 1755. Le plat a été amené des régions du Centre-Ouest de la France, comme la Loire. Dans les faits, le plat s’appelait plutôt le pâté-en-pot, à l’origine. C’était un plat contenant un mélange de légumes et de viande ou de poisson couvert d’une seule pâte sur le dessus. La cuisson se faisait lentement dans un plat de céramique rond comme celui d’une jarre à fèves au lard. En Amérique, le plat s’est transformé de façon importante pour devenir un plat plus proche de la tourtière ou du cipâte, mais sans pâte tout autour. On mélange poisson ou fruit de mer avec des pommes de terre en dés et parfois quelques légumes comme des carottes et du céleri, et l’on couvre le plat de différentes sortes de pâte, selon les régions ou les familles. Aux Iles-de-la-Madeleine, on le fait avec de l’anguille, des éperlans, du maquereau, du hareng, de la morue, souvent en mélange avec des fruits de mer comme des coques, des crevettes ou des pétoncles. On les fait aussi juste avec des pétoncles. En Baie-des-Chaleurs, on le fait aussi avec de l’anguille, de l’éperlan ou des coques.
La gibelotte était à l’origine un plat festif que l’on faisait avec de la sauvagine qu’on appelait, alors, du gibier ou du gibier d’eau, d’où le terme de gibelotte. Le plat a été amené par les colons français, au XVII e siècle. Il était extrêmement populaire dans la plaine du Saint-Laurent à cause de la nombreuse faune aviaire du fleuve. Les oiseaux chassés avec des canardières mouraient souvent par centaines à la fois. On en faisait des gibelottes. Au début du XXe siècle, Madame Berthe Beauchemin recevait des gens de Montréal qui venaient chasser les oiseaux dans les iles de Sorel. Mais elle dut changer sa recette de gibelotte lorsque le gouvernement canadien décida, en 1916, de défendre désormais la chasse aux oiseaux migrateurs, en collaboration avec les États-Unis. On ne voulait plus revivre la disparition de nos espèces d’oiseaux comme on l’avait vu précédemment avec la tourte. Elle décida donc désormais de faire des gibelottes de poissons locaux. C’est ainsi que la gibelotte des iles de Sorel est née, mettant en vedette la barbotte et la perchaude cuisinée en sauce tomate avec les légumes du jardin local. Voici d’autres gibelottes de poisson et de légumes, issues de notre territoire: sur la Côte-Nord, on trouve de la gibelotte de morue; dans Lanaudière, on parle de gibelotte de truite mouchetée; dans le Centre-du-Québec, on fait une gibelotte à la barbotte semblable à celle des iles de Sorel ou bien une gibelotte à la perchaude ou à l’esturgeon jaune; dans les Basses-Laurentides et sur l’ile Jésus, on fait de la gibelotte à la perchaude.
La bouillotte est un plat né chez nous. Les coureurs des bois et les missionnaires « mettaient la bouillotte au feu », lors de leurs pérégrinations chez les peuples autochtones d’Amérique. Cela signifiait qu’ils mettaient bouillir, en fin de journée, une partie de leurs provisions avec ce qu’ils trouvaient à manger, en cours de route. Le nom du plat vient du verbe bouillir mais a une connotation, aujourd’hui, un peu négative comme la gibelotte, en ce sens que le plat est un mélange sans cérémonie, de n’importe quoi qui se mange. Les voyageurs français mettaient dans la chaudière suspendue au-dessus d’un feu de camp, de l’eau, de l’oignon, souvent des pois ou du maïs lessivé, des légumes racines en début de voyage et un mélange de gibier et/ou de poisson qu’ils attrapaient, en cours de route. Or, comme ils étaient toujours en canot, le poisson faisait presque toujours partie de la bouillotte. Dans mon enquête, j’ai trouvé plusieurs réminiscences de ce plat créé au XVIIe siècle, dont voici quelques exemples: en Gaspésie, on fait la bouillotte à la morue ou au flétan de l’Atlantique avec des pommes de terre rondes; dans le Bas-Saint Laurent, c’est la bouillotte à l’alose qui est populaire avec des pommes de terre, des tomates et du poireau; au Saguenay, on fait la bouillotte au brochet et aux légumes du jardin; en Mauricie, c’est les bouillottes au doré, au brochet, à la truite mouchetée et au poisson des chenaux qui ont la vedette; dans le Centre-du-Québec, on fait la bouillotte avec des poissons des chenaux; à Montréal, on la fait avec de l’alose, du doré, du brochet ou de l’achigan, combinés avec du poulet, du bœuf et tous les légumes du jardin: sur la Rive-Sud de Montréal, la bouillotte se fait avec de la volaille et du jeune esturgeon jaune combinés aux légumes du jardin; dans le Haut-Saint-Laurent, on la fait avec de la barbotte, de la barbue, de l’esturgeon jaune, du brochet maillé.
La gargotte est un plat moins connu qui se faisait à Montréal, le long des rapides de Lachine avant la construction du canal. Le terme est français et vient du mot cargo. Les ports de mer étaient fréquentés par de nombreux débardeurs qui avaient charge d’embarquer les marchandises sur les cargos. Or ces gens se retrouvaient souvent dans des cabanes tenues par des familles de pêcheurs qui leur offraient à manger. Le restaurant en question s’appelait une gargotte, en France. Le terme est passé chez nous, en particulier au moment où l’on devait charger les grands canots pour la traite des fourrures qui montaient dans l’Ouest canadien ou américain, en amont des rapides de Lachine. Puis la marmite ou chaudrée de poisson locaux servie sur place est devenue une gargotte. C’est un plat qui mériterait de retrouver sa place, sur le menu montréalais.
Le pâté et la casserole sont des plats qui se font non seulement lors des évènements ou des fêtes mais aussi dans le quotidien, lorsqu’on dispose d’un peu plus de temps pour cuisiner. J’en parlerai dans mon prochain blogue.
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À la semaine prochaine
Michel Lambert