Accepter notre nordicité!
Soumis par Michel Lambert le
Le premier homme qui est entré au Québec, il y a, sans doute, plus de 12 000 ans, savait vivre avec le Nord. Les glaciations planétaires successives avaient forcé ses ancêtres à faire des provisions pour survivre. La cuisine des gens du Nord se fonde sur la prévoyance et la sauvegarde des aliments pour les temps difficiles.
Les nations algonquiennes se faisaient, à la fin de l’été, de grandes provisions de poisson séché ou fumé. Ils profitaient de l’abondance des bleuets et des atocas pour se faire des provisions séchées de petits fruits. Les nations iroquoïennes et les nations algonquiennes vivant au sud du Québec se faisaient, en plus, de grosses provisions de maïs séché et de gibier séché, lors des grandes chasses au cerf ou au wapiti de l’automne.
Les Français, depuis l’époque de leurs ancêtres celtiques, savaient conserver les poissons pêchés en été et en automne, par le sel ou par le sel combiné à la fumée. Depuis l’arrivée des peuples germains en Gaule, ils savaient aussi conserver certains aliments dans le vinaigre, l’alcool et la lacto-fermentation. S’ajoutaient, au XIXe siècle, la stérilisation et la conservation d’aliments dans des bocaux de verre ou des boites métalliques. La démocratisation et l’accès facile au sucre permettraient, au XVIIIe siècle, d’ajouter la conservation des aliments par le sucre. L’électrification de nos campagnes faciliterait, au milieu du XX e siècle, la conservation des aliments par le gel. Ce gel était connu aussi de l’homme préhistorique qui profitait de ce dernier pour conserver ses poissons et son gibier abattu ou pêché en hiver. Mais l’arrivée soudaine de dégel, en saison froide, pouvait gâter ses provisions s’il n’avait pas l’astuce de les fumer pour se soustraire à la catastrophe. À la fin du XIXe siècle, on mettait simplement en conserve ce qui dégelait, dans la réserve. Toutes ces possibilités de conserve font partie des habitudes de prévoyance des peuples du Nord.
Mais depuis la découverte de moyens rapides de transport, en particulier des avions supersoniques combinés au refroidissement artificiel dans ces moyens de transport, on peut vivre dans le Nord, comme dans le Sud. En hiver, on va chercher des denrées fraiches dans l’hémisphère sud de la planète comme on va, en toute saison, des denrées de nos régions tropicales.
Cette nouvelle façon de faire a cependant des conséquences désastreuses pour les peuples actuels du Nord. En plus de générer une pollution croissante de la planète par le transport avec des carburants fossiles, les peuples du Nord sont de plus en plus dépendants des peuples du Sud pour survivre. Les populations du Nord n’ont plus la débrouillardise de leurs ancêtres; ils ne savent plus pêcher, plus chasser, plus jardiner, ils ne vont plus cueillir de petits fruits, ne mettent plus rien en conserve; ils ne savent plus comment mariner, fumer ou sécher des aliments. Ils sont complètement dépendants des marchands qui profitent de cette dépendance pour faire de l’argent sur leur dos. Ils perdent, enfin, toutes leurs particularités culinaires, au profit d’une industrie agroalimentaire internationale. Les cultures culinaires sont en train de disparaître de notre planète.
Heureusement, il y a actuellement des peuples nordiques qui se réveillent. Je pense aux Scandinaves dont les chefs sont l’avant-garde sociale d’un retour à la cuisine nordique. Il y a moyen, pensent-ils, de faire de la très bonne cuisine, même quand on n’a pas accès aux produits frais, en toute saison. Ce n’est pas vrai que ce qui est congelé ou fumé est moins bon que ce qui est frais, comme le prétend tout un discours de la haute cuisine française. Il faut simplement apprendre à cuisiner différemment avec ces produits.
Ces temps-ci, je mets beaucoup de provisions dans la liste de mes recettes. L’objectif est de vous inviter à faire des provisions pendant que les légumes ne sont pas chers. Je vous donnerai, au cours de l’hiver prochain, des exemples de recettes que l’on peut faire avec ces produits congelés.
Et je vous souhaite une belle fin d’été!
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale.