Commençons le chapitre des viandes de l’été avec le veau !

Quand j’étais enfant, on laissait la nature suivre son propre rythme. Le printemps était une saison particulièrement active, à la ferme de mon grand-père Lambert et celle du grand-père de ma mère, menée par mon oncle Alexandre Gaudreault. Après la naissance des veaux et des agneaux, on laissait les mamans aux champs avec leurs petits. Quand j’allais aux petites fraises avec mes oncles ou mes tantes, je les voyais se coltailler pour avoir la mamelle de leur mère ! J’aimerais commencer ce chapitre des viandes estivales avec le veau.

 L’élevage du veau se pratique depuis au moins 9 000 ans en Europe, en Asie et en Afrique. On a d’abord attiré les aurochs sauvages femelles et leurs petits, là où ils venaient boire, dans les points d’eau où les humains venaient aussi se rafraichir. L’homme les a attirés avec des céréales qu’il partageait avec eux. Puis, pour les empêcher de s’éloigner, l’homme bâtit des clôtures autour de leurs pâturages préférés. C’est ainsi que commença la domestication du bétail. Plusieurs races de vaches se développèrent dans le monde, suite à cette domestication. Dans le Nord-Ouest de la France d’où viennent la majorité des ancêtres français du Québec, on élevait déjà de l’auroch avant l’arrivée des Celtes. Mais ce sont les Celtes qui amenèrent d’Asie Centrale les ancêtres de nos vaches européennes, il y a 5 000 ans. Nos vaches sont donc d’origine asiatique, comme les Celtes. Chaque printemps, à la pleine lune de mai, les Celtes invoquaient Beltene, leur dieu de la fertilité. On demandait sa protection pour les animaux que l’on venait de mettre en pâturage avec leurs nouveau-nés. À cette occasion, les druides faisaient un grand feu de joie que l’on retrouve encore dans nos mœurs avec le feu de la Saint-Jean-Baptiste. Cette fête soi-disant religieuse est la christianisation de cette fête millénaire de la fertilité. Les fouilles archéologiques pratiqués dans les lieux où se sont établis les Celtes témoignent amplement de la consommation abondante du veau et de ses parents par nos ancêtres européens, du moins jusqu’au Moyen-Âge. Par après, l’Église catholique estima que la surconsommation de viande de bœuf provoquait une surabondance de testostérone qui était la source des nombreux conflits territoriaux et des guerres de l’époque. C’est pourquoi elle finit par imposer des périodes importantes de jeûne obligatoire en obligeant les gens à manger plus de poisson et de légumes. Ce sont les pères de l’Église catholique qui avaient constaté ce phénomène lors de leurs longues périodes de jeune dans le désert où ils pratiquaient une première forme de monachisme. Certains monastères d’hommes du Moyen Age ne consommaient d’ailleurs jamais de bétail afin de contrôler leur libido et leur agressivité. Il est curieux de constater que la même problématique se véhicule, encore aujourd’hui, avec les philosophies orientales et les découvertes scientifiques sur la consommation du bœuf.

Pour revenir à la consommation du veau, en particulier au Québec, elle est issue de la tradition française. Jusqu’à l’arrivée de l’industrie laitière, à la fin du XIXe siècle, les familles avaient peu de vaches sur la ferme et donc, peu de veaux qu’ils gardaient pour le renouvellement du troupeau familial. On consommait du veau lorsqu’on n’avait plus de place pour le garder dans l’étable. C’est ainsi que la plupart des fermiers laissaient grossir les jeunes taureaux et les jeunes taures pendant l’été, dans leurs pâturages, et abattaient les veaux excédentaires, l’automne, pour faire des provisions pour l’hiver. Cette viande était plus tendre que la viande de vache ou de bœuf en fin de vie productive. Lorsqu’il restait des morceaux de veau, lors des longs dégels de l’hiver, on n’avait pas le choix de le mettre en conserve, comme on me l’a souvent raconté, ou de le faire fumer, comme je l’ai vu dans la région de Charlevoix. La consommation de veau a augmenté de façon importante avec l’arrivée de l’industrie laitière. Les surplus de veaux ont généré plusieurs nouvelles recettes qu’on pratique toujours dans nos familles. Le veau de lait a toujours été cependant une viande du dimanche qu’on mangeait particulièrement à l’époque de la Pentecôte, sept semaines après Pâques. Le veau illustrait la jeunesse et le renouveau de la nature, comme la Résurrection de Pâques est le renouvellement annuel du christianisme. C’était une viande tendre et pâle qui se rapprochait du blanc, symbole de la divinité et de la pureté de la jeunesse. La consommation du veau est en fait associée à un rituel humain qu’on rencontre dans la plupart des civilisations qui consiste à sacrifier un être pur pour s’en approprier les vertus : le sacrifice des enfants chez les Mayas, chez les Juifs, chez les Romains ou les Grecs de l’Antiquité illustre ce même phénomène. Dans la culture française, le veau était si précieux qu’on consommait tout du veau : sa cervelle, sa langue, son foie, ses joues, son thymus qu’on appelle plus souvent, le ris de veau, ses jarrets, sa queue, etc.

Aujourd’hui, le veau est une viande dispendieuse réservée aux grands jours. Mais, on peut consommer davantage les parties les moins tendres du veau en veau haché, en veau bouilli ou en ragouts divers, comme je vous le démontre dans mes recettes en vedette, cette semaine.

Bonne semaine !

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec