Soumis par Michel Lambert le
Mon titre vous rappelle certainement cette chanson interprétée par Dalida, mais composée en 1924 par un auteur russe. "Le temps des fleurs" évoque le printemps et la jeunesse romantique de laquelle nos lecteurs peuvent être nostalgiques. Le titre pourrait aussi s'appliquer aux feuilles vertes qui précèdent les fleurs. C'est le retour à la vie, c'est le printemps avec toute sa force symbolique des premiers amours au gout de miel.
Pourtant, en Amérique, chez les peuples d'origine algonquienne, les feuilles vertes n'avaient pas du tout de connotation heureuse, comme en Europe et en Asie. C'était la nourriture amère qui rappelait la maladie, la vieillesse et la mort, parce que les chamans les utilisaient pour tenter de guérir leurs maux. Des témoignages, cependant, racontent que les vieilles s'en faisaient des espéces de purée quand elles n'avaient plus de dents pour manger de la viande, comme lorsqu'elles étaient jeunes. Ce qui était souvent leur cas après avoir passé leur vie à se servir de leurs dents pour préparer les peaux des animaux abattus pour faire les vêtements et les couvertures de leur famille. Les nations de langue iroquoienne étaient plus ouvertes à la consommation des feuilles, selon les archéozoologues - des traces de chénopode sont présents dans les campements des autochtones de le région des Grands- Lacs où l'agriculture est née au Canada. Celle-ci aurait d'ailleurs précédé l'agriculture. Ce qui fait qu'au contact avec les premiers Européens, les peuples agriculteurs de la Plaine du Saint-Laurent ajoutaient plusieurs plantes sauvages à leur menu principal de produits agricoles. Mais ils préféraient toujours les racines, les graines ou les fruits aux feuilles vertes.
En Asie et en Europe, on aimait beaucoup les feuilles vertes qu'on associait au retour de la lumière et de la chaleur du soleil. Mais comment les Européens mangeaient-ils des feuilles? Il faut attendre le début de notre ère pour voir apparaître les premiers témoignages. Il est certain que les feuilles ont d'abord été consommées en soupe avec des grains de céréales. On appelait d'ailleurs les feuilles des "pot'herbes", qu'on traduit par "des herbes à pot" dans lequel on faisait la soupe. - Le mot potage descend d'ailleurs de ce mot. Chez nous, cette soupe s'appelait simplement la "soupe aux harbes" ou la "soupe varte". Par après, sont arrivées les salades. C’est l’empereur Néron qui aurait demandé à ses cuisiniers de lui préparer des légumes-feuilles pour accompagner ses viandes grasses et bourratives, au milieu du premier siècle de notre ère. Les Romains étaient déjà installés dans le sud de la France, à ce moment-là. La recette est montée vers le nord pour atteindre le pays de nos ancêtres normands, vers l’an 300. Mais il est plus que probable, que dans la classe paysanne, on faisait déjà ce plat chez les Celtes de l’Ouest de la France, particulièrement en compagnie de viandes de porc et d’oie, populaires en Bretagne et en Normandie. Les archéologues de ces régions ont trouvé de nombreux vestiges de vase de céramique destinés aux salades et aux plats de légumes. Quoi qu’il en soit, l’habitude d’accompagner les viandes rôties de légumes-feuilles était déjà bien installée, en Nouvelle-France, au XVII e. Les découvreurs les préparaient, en cours de route, avec des feuilles de plantes sauvages, sous le conseil des habitants locaux. Mais il arrivait que des Français cueillent des plantes non comestibles et s’empoisonnent. Ces informations ont été notées par Joutel, témoin, entre autres, des expéditions de Cavelier de La Salle, fondateur de la Louisiane. La tradition des soupes et des salades s'est enrichie au XXe siècle avec des recettes d'origine françaises ou britanniques. Aujourd'hui, on fait des omelettes ou des quiches aux feuilles, comme en France, des Colcannon aux feuilles vertes comme chez les Britanniques, des pâtés au fromage, oeufs et feuilles comme en Grèce ou au Moyen-Orient, des céréales aux feuilles comme en Afrique tropicale, des gombo aux herbes comme en Louisians, etc.
On trouve des herbes comestibles partout, en ville comme à la campagne. Il faut juste être présent à notre environnement, apprendre à les connaître mieux. Ce sentiment de présence à ce qui pousse autour de nous est à la base de cette cuisine des feuilles. Malheureusement, beaucoup de gens sont plus sensibles à ce qui pousse ailleurs dans le monde qu'à ce qui pousse au pied de leur balcon! On ne devrait pas avoit peur de manger des "harbes"! Ce n'est pas du gazon.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec