Soumis par Michel Lambert le
Pour moi, il n’y a pas d’été sans tomate de jardin ou de champ ! Quand j’étais petit, je voyais mes parents et mes grands-parents planter des graines de tomate dans des boites de conserve récupérées qu’ils mettaient sur le bord des fenêtres de la maison, en changeant les boites de place pour ne pas laisser le plein-soleil toujours aux mêmes plants. Puis, je les voyais transplanter les jeunes plants dans une couche-chaude couverte de vieux chassis (fenêtres), montée du côté sud de la maison. Les graines de tomates se plantaient à la Saint-Joseph, chaque année, (le 19 mars), et les plants étaient transplantés dans la couche chaude à la fin avril.
Mais on ne plantait pas les tomates dans le jardin, avant la lune de juin, au Lac-Saint-Jean ou au Saguenay, soit autour du 6 au 10 juin, selon les années, car à la pleine lune de juin, il pouvait encore geler ! Les tomates n’avaient pas toujours le temps de murir sur les plants, car on avait assez souvent des gels hâtifs. Il fallait alors sortir les vieilles couvertes pour abrier les plants pendant la nuit, à partir du 25 août. Mais au début septembre, lorsque les gros gels commençaient, mon père nous faisait ramasser toutes les tomates, y compris les vertes, qu’on enveloppait dans du papier journal et qu’on entreposait, dans la cave. Ma mère s’en gardait toujours pour faire son ketchup vert. On pouvait ainsi manger des tomates de notre jardin, certaines années, jusqu’à la mi-novembre. Lorsque les tomates devenaient rouges en même temps, on les mettait en conserve pour l’hiver et certaines familles, comme ma belle-famille, se faisaient aussi du ketchup rouge et de la sauce chili.
Je vous invite à consulter mon site pour l’histoire de la tomate. On pense souvent que ce sont les Italiens qui nous ont apporté la tomate tellement c’est un fruit qu’on associe à leur cuisine, mais ce n’est pas le cas. La tomate nous est venue des États-Unis de deux façons. Les Américains aisés plantaient des tomates dans des pots, comme des plantes intérieures, à la manière des Anglais, mais n’osaient pas manger les fruits qu’on disait poison. C’est ainsi que les tomates entrèrent dans nos maisons, au début du XIXe siècle. Mais on apprit assez rapidement que les fruits en question étaient comestibles parce que les fermiers du sud des États-Unis, d’origine mexicaine, s’en nourrissaient sans problème. Les Abénaquis de la Nouvelle-Angleterre les connaissaient aussi par la filière autochtone. La popularité des tomates grimpa dans le nord des États-Unis après la Guerre de Sécession, donc après 1860. En 1870, au Québec, on plantait déjà des tomates dans les jardins, même à Chicoutimi et dans la Baie-des-Chaleurs, en particulier chez les familles d’origine basque ou gasconne. Et l’on en mettait en conserve aussi. Les premières tomates en conserve commerciale sont venues des États-Unis, puis, on en mise en conserve, aussi au Québec, pour nourrir nos soldats, lors de la 2 e Guerre Mondiale. Je disais que la tomate était venue aux États-Unis de 2 façons, dont par la voie du Mexique, mais aussi par la France. En effet, le troisième président américain, Thomas Jefferson en avait mangé en France, en 1789, lors de la Révolution française. En 1806, il en mettait sur sa table à Washington. C’est ainsi que certains Américains commencèrent à manger des tomates, comme dans le Sud-Ouest américain et comme en Louisiane. En 1830, on en vendait dans les marchés des villes américaines. Les premières tomates américaines en conserve datent de 1847. Et le jus de tomate en conserve est apparu en 1924, après la découverte d’un appareil pour extraire le jus des tomates mures. La tomate est, selon mes statistiques personnelles colligées à partir d’un corpus de 35 000 recettes, le fruit ou légume le plus présent dans nos recettes patrimoniales. Et c’est un fruit américain qui appartient à l’identité culinaire de nos peuples fondateurs du Canada et du Québec, en 1867.
Un petit mot, en terminant sur les crapets. Je vous invite à lire l’article sur ce poisson d’eau douce, présent dans les Cantons de l’Est, le Centre du Québec et en Montérégie. On ne le trouve pas malheureusement chez nos poissonniers, mais les pêcheurs commerciaux de ces régions en tiennent dans leur réfrigérateur ou leur congélateur. L’idéal est quand même de les pêcher, soi-même, avec les enfants. Ils aiment ces petits poissons colorés qui ont une chair tendre et un gout accessible. Ils font partie du patrimoine culinaire de ces régions et l’on a créé plusieurs types de plats avec eux. Je vous en donne 2 recettes, cette semaine.
Bonne cuisine à tous.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.