Soumis par Michel Lambert le
Quand je suis venu faire mes études à Montréal -- il y a malheureusement bien longtemps—je ne manquais pas de venir acheter mes légumes au marché Jean-Talon. Les nombreux paniers de poivrons de couleur me fascinaient, moi qui venait du Saguenay où l’on avait de la misère à faire pousser des piments doux hâtifs. C’est à ce moment-là que je me suis mis à les cuisiner davantage. Voici donc le résultat de mes découvertes subséquentes.
Vous savez sûrement que les noms de ce légume sont liés au mot poivre, en français, et pimiento, en espagnol qui veut aussi dire poivre. Les piments sont originaires du Mexique, de l’Amérique centrale et du nord de l’Amérique du Sud. Les habitants locaux les consommaient déjà, il y a 9 500 ans. Les archéologues ont trouvé des traces de leur domestication en Équateur, il y a un peu plus que 6 000 ans. Au moment où Christophe Colomb découvrit l’Amérique, les piments étaient cultivés partout au Mexique, en Amérique Centrale, dans les Antilles, en Louisiane et en Floride par les autochtones locaux. C’est un chirurgien qui faisait partie de l’équipage de Christophe Colomb, Diego Alvarez Chanca, qui donna la première recette mexicaine faite avec du piment, dans ses Lettres, en 1494. Ce sont donc les Espagnols et les Portugais qui ont apporté le piment en Europe et qui l’ont diffusé partout dans le monde, là où ils avaient des comptoirs d’épices, en particulier en Inde, en Chine et en Afrique de l’Ouest. Comme le piment était un condiment, il entra dans les mélanges locaux d’épices.
Les colons français qui se sont installés à Québec au XVIIe siècle n’ont pas planté de piment au moment de leur arrivée. La plupart des gens ne le connaissaient même pas. Mais au début du XVIIIe siècle, les jardiniers de Montréal commencèrent à en planter sur l’ile, comme on le faisait déjà couramment dans le sud de la France et dans le pays basque. Les Montréalais commencèrent à ajouter un petit piment dans leurs épices à marinade car on faisait déjà des cornichons dans le vinaigre et les épices, à cette époque. On importait aussi de la Cayenne que les Français cultivaient dans leur colonie d’Amérique du Sud, la Guyane française. Lorsque les Basques se sont établis en Gaspésie, au milieu du XIXe siècle, ils plantèrent leur piment d’Espelette qu’ils utilisaient déjà dans leur cuisine. C’est ainsi que le piment fort est entré lentement dans notre cuisine. Les immigrants italiens, portugais, polonais et hongrois nous ont fait connaître d’autres piments, lors de leurs différentes immigrations, à partir de la fin du XIXe siècle. Le paprika est devenu un condiment incontournable de notre cuisine comme la Cayenne et le Chili. Lorsque les Québécois commencèrent à voyager dans les Antilles et au Mexique, dans les années 1960, ils ramenèrent plusieurs types de piment fort pour commencer à faire de la cuisine piquante, chez eux. C’est ainsi que le jalapeno est devenu très populaire à partir des années 1980.
Quant au poivron qui est un piment doux à 4 lobes, il aurait été découvert au Panama, en Amérique Centrale, par un pirate anglais nommé Water. Ce dernier l’aurait amené à Boston, dès le XVIIIe siècle où l’on commença à le planter dans les jardins familiaux. À cause du climat nordique de la Nouvelle-Angleterre, c’est le poivron vert qu’on réussit à faire pousser. C’est pourquoi on commença à trouver des poivrons verts dans nos épiceries montréalaises et québécoises, dès la fin du XIXe siècle. Et l’on en plantait à La Pocatière en 1924, dans la Baie-des-Chaleurs, en 1930 et à Napierville, en 1940. Le poivron vert s’est installé solidement, chez nous, dans les années 1960, où on le cuisinait en compagnie de tomates ou de champignons dans diverses sauces à la viande, au poisson ou aux fruits de mer. Plusieurs recettes en vedette, cette semaine, illustrent cette affirmation. Ce sont les Néerlandais qui ont développé la culture en serre du poivron de couleur. Tous les pays les ont imités de sorte qu’on en trouve, aujourd’hui, autant qu’on trouve de poivrons verts. Les enfants préfèrent d’ailleurs les poivrons de couleur au poivron vert parce qu’il est plus doux et plus sucré. Il est particulièrement consommé cru, avec des sauces trempettes maison ou du commerce. On en trouve en panier, à bon prix, en ce temps-ci de l’année, et on peut s’en faire des provisions congelées pour les cuisiner en hiver. C'est notre façon de prolonger l'été.
Sur ce, je vous souhaite une bonne semaine.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec