Soumis par Michel Lambert le
ll est important de signaler que la notion de « petit repas » a beaucoup changé au cours des ans, selon nos ethnies fondatrices. Chez les autochtones de la grande famille algonquienne, on ne prenait que 2 repas par jour, un le matin au lever du soleil, et un autre en fin de journée. La grosseur du repas dépendait plus de ce qu’on avait à manger que du moment de la journée.
Par conséquent, la notion même de petit repas n’existait pas, même si plus souvent qu’autrement, on vivait des périodes de famine où la nourriture était rare de sorte qu’on devait partager le peu qu’on avait entre les membres du groupe familial. On vivait plus souvent de petits repas que de gros repas. C’était la même chose dans les groupes de langue inuit. Quant aux peuples de langue iroquoienne, on prenait le petit repas le matin; le déjeuner se composait principalement de sagamité accompagnée de petits fruits sauvages frais ou séchés. Pendant la journée, on prenait plus des collations qu’un autre petit repas. Chez les Français du XVIIe et du XVIIIe siècle, le petit repas de la journée, en excluant le déjeuner, se prenait le soir, particulièrement en hiver. En été, il arrivait qu’on déplace le repas principal du midi, le soir, parce qu’on était loin de la maison, le midi. Dans les familles anglophones, c’était la même chose; le repas principal se prenait le midi et le petit repas, pendant la soirée, avant d’aller dormir, parce qu’on avait une grosse collation en fin d’après-midi. On soupait vers 20.30 h, 21 h, avec des viandes froides et des restes du midi cuisinés en plats froids. Dans les familles francophones, on mangeait aussi les restes du midi qu’on réchauffait sur le poêle à bois, ou l’on se faisait une petite soupe rapide ou du lait bouilli sucré qu’on épaississait avec de la fécule.
Les choses ont changé au milieu du XIXe siècle. L’industrialisation du Québec créa une nouvelle répartition des repas. Comme les hommes travaillaient majoritairement dans des usines toute la journée, ils avaient peu de temps pour manger le midi; ils s’apportaient donc un lunch pour diner. Le gros repas de la journée était pris en famille, après la journée de travail. C’est pour cela, d’ailleurs que l’heure du souper avança au Québec. Lorsqu’on travailla jusqu’à 17 h plutôt que 18 h, on avança le souper aux alentours de 17.30 h. Même chose lorsqu’on arrêta le travail à 16 h, le souper fut avancé à 16.30 dans beaucoup de familles. Ce qui libérait la soirée pour faire du sport ou des activités récréatives quelconques. Cette répartition des repas se perpétua jusqu’à aujourd’hui. La différence, en ce début du XXI siècle, c’est que le repas du midi est désormais appelé » le lunch » parce qu’il s’apporte de la maison, dans une boite à lunch. Dans les grandes industries, dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les centres d’achats, se sont ouverts des cafétérias ou des comptoirs de lunchs spécialisés pour le midi. On parle désormais d’un nouveau type de petit repas : le lunch du midi. Voyons comment cela s’est incarné dans notre histoire récente.
Les lunchs apportés de la maison sont plus économiques que ceux achetés dans les cafétérias. Ils ne sont pas compliqués et sont souvent constitués d’une base glucidique comme le pain, les pommes de terre, les céréales ou une pâte quelconque. Le terme est d’origine anglaise et est traduit par casse-croute, en français. Mais le terme anglais est passé dans notre langue au milieu du XIXe siècle, lorsque les Québécois sont allé travailler aux États-Unis comme bucherons, ouvriers ou ouvrières dans les manufactures de tissage. Faisons le tour des lunchs avec du pain, des pommes de terre, des pâtes et des céréales.
Les États-Unis nous ont initiés à plusieurs types de pains garnis qu’ils ont eux-mêmes empruntés à plusieurs cuisines européennes comme celles de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Angleterre, de la Scandinavie ou de la France. Se sont ajoutés, par la suite des pains d’origine moyen-orientale, indienne et mexicaine. Citons, en exemples, les guedilles ou les fanfans que l’on fait avec un pain à hot dog et que l’on garnit avec une salade de crustacés, les petits pains farcis, les hamburgers, les sandwichs chauds comme le hot-chicken, le club-sandwich, les sandwichs froids nombreux et plus variés dans nos familles que dans les cafétérias, sans oublier les beurrées garnies ou sandwichs ouverts que les Danois appellent des smørbrød qui vient de smør (beurre) og (et) brød (pain).
Les Britanniques nous ont initiés aux lunchs à base de pommes de terre comme les hachis et les fricassées. Ces termes, comme le mot fricot plus connu par les Québécois d’origine acadienne, étaient familiers aux premiers colons français, mais ils ne désignaient pas tout à fait la même chose. Au temps de la Nouvelle France, ces plats ne comprenaient jamais de pommes de terre puisque nous n’en mangions pas. La fricassée se disait pour tout plat de viande ou de légumes qu’on faisait revenir dans un corps gras et auquel on ajoutait, en fin de cuisson un peu d’eau pour faire une sauce. Le hachis était simplement un plat de viande cuite en morceaux hachés au couteau, d’où le terme de hachis. Le mot français connu depuis le début du Moyen Âge est d’ailleurs passé en Angleterre par l’intermédiaire des Normands avant de devenir le fameux haggis écossais ou le hash de la Nouvelle-Angleterre. Les Britanniques, en particulier les Irlandais et les Écossais plus pauvres que les Anglais, se sont mis à faire beaucoup de plats avec des pommes de terre, vers 1730. L’armée anglaise était nourrie aux pommes de terre quand elle a conquis le Québec, en 1760. Mais ce n’est que vers 1830, que la pomme de terre s’est définitivement installée dans toutes les familles de langue française du Québec. Les Acadiens avaient cependant introduit la pomme de terre dans leur cuisine avant les Québécois francophones. Dans les périodes de pénurie ou dans les familles pauvres où la viande était rare, on ne fricassait que des pommes de terre avec de l’oignon. Ce plat des printemps difficiles était souvent servi le midi aux enfants qui revenaient de l’école. Dans Charlevoix, on l’appelait aussi une sauce aux patates ou chiard de goélette ou quioune ou bigoune; on faisait pocher, en été, des petits poissons sur le plat, en fin de cuisson. Les Québécois d’origine écossaise se faisaient des stovies ou des tweed kettles. Ce dernier plat se faisait avec des restes de saumon qu’on pêchait facilement dans les rivières de la Baie-des-Chaleurs ou de la baie de Gaspé. En plus de ces mijotés de pommes de terre en lamelles ou en dés, on faisait des patates au four qu’on coupait en morceaux ou en tranches et faisait cuire sur une plaque ou collés aux parois du four. Ces pommes de terre se mangeaient aussi en petit repas avec du beurre et une salade verte au poisson de saison. Les patates sous le chaudron, cuites directement sur les ronds du poêle à bois, couvertes de chaudrons noirs tournés à l’envers, faisaient aussi tout un repas pour certains. On les mangeait avec du beurre ou certains jours, avec du poisson meunière. Les patates en carriole ou patates de maitresse d’école ou pommes sautées comme disent les Français, faisaient aussi tout un repas. Malheureusement, seules demeurent en lunch ou petit repas, les frites, les frites-sauce et les poutines. Les frites ont été apportées au Québec et à New York, par les premiers immigrants belges, au milieu du XIXe siècle. Ce fut l’engouement général de sorte que tout le monde s’est mis à acheter des frites dans des kiosques amovibles amenés par les immigrants, près des lieux où l’on pratiquait des sports comme le baseball. On a quelques témoignages de gens de la fin du XIXe siècle qui se faisaient des frites maison, en repas, en compagnie de sauce brune au lard salé. On se faisait donc des frites-sauce à Chicoutimi, en 1885! Quant à la poutine, elle est née dans le Centre du Québec, au milieu des années 1950. La recette est d’abord issue du fameux frite-sauce dont je viens de vous parler, auquel un client de la région a demandé d’ajouter une poignée de fromage en grains. Le fromage en grain est l’une des collations préférées des Québécois francophones depuis l’ouverture des fromageries dans les villages, autour de 1865. On en trouvait donc dans tous les friteries et les cabanes à patates frites des années 1950. Les salades de pommes de terre pour le lunch, communément appelées les salades de patates, terminent ce type de lunch avec des pommes de terre.
On fait, en troisième lieu, des lunchs avec des farines de céréales transformées en pâtes diverses qui incluent diverses crêpes, des petits pâtés, des chaussons, des pizzas et de salades de pâtes alimentaires. Parmi les crêpes-lunch, il faut se rappeler les blasphèmes que les bucherons se faisaient sur la Côte-Nord en ajoutant du saumon ou de la truite pêchée par eux, les repas précédents. Ce type de plat se fait au Iles de la Madeleine aussi. On inclut du saumon en conserve dans la pâte à crêpe, puis on la roule et l’arrose de béchamel à la sarriette. Les Atikamekw et les Cris font aussi des crêpes au brochet ou au corégone qui ressemblent plus à des pancakes et qu’ils mangent avec du beurre. Ces crêpes s’appellent des watassés chez les Autochtones et les Métis de la Mauricie. Les chaussons sont des cercles de pâte à tarte pliés en deux, par-dessus une garniture quelconque, en forme de demi-lune. C’est un mets très connu au Québec, spécialement dans le temps des Fêtes. On les garnit principalement de porc, de gibier, de truite ou de palourdes. On les appelle, au Saguenay, des pâtés d'orteils, des petits cochons, des pâtés plissés ou, dans Charlevoix, des pâtés croches. Les Ukrainiens de Rouyn-Noranda se faisaient, dans les années 1940, des pirogies au brochet qu’ils amenaient en piquenique au bord du lac Osisko. Les pizzas sont apparues à Montréal, dans les années 1950, apportées par des immigrants italiens. Mais depuis cette époque, elles se sont énormément diversifiées, prenant racine dans chaque région du Québec. À Sept-Iles, par exemple, on les fait avec des crevettes comme à Rimouski, avec du crabe. Les Italiens nous ont aussi initiés à leurs pâtes alimentaires, dès la fin du XIXe siècle. On leur doit le macaroni au fromage ou aux tomates. Les salades de pâtes alimentaires ne viennent pas cependant des Italiens, mais des Américains.
Les salades-repas de diverses céréales comprennent les salades de riz, de quinoa, d’orge et de couscous. Les salades de riz sont nées un peu comme les salades de légumineuses; on faisait des soupes-consistantes de riz et de viande pour le midi et lorsqu’il faisait chaud, on mangeait les restes de ces soupes, le soir, en les arrosant d’huile et de vinaigre. L’habitude de faire cela serait née sur les bateaux qui traversaient l'Atlantique. Quand le vent se levait, le soir, il arrivait que les cuisiniers ne puissent faire de feu pour le repas. On mangeait alors les restes du midi à la vinaigrette, souvent des pois jaunes ou du riz. Ces salades n’avaient pas grand’ chose à voir avec celles d’aujourd’hui; elles ressemblaient plus à des purées qu’à des regroupements d’aliments distincts et encore croquants, comme aujourd’hui. Ce n’est qu’au XXe siècle qu’on a créé les salades de riz que l’on connait, avec du riz bouilli à point et refroidi lorsque le grain est tendre, mais encore solide. On faisait sans doute la même chose avec les soupes d’orge mais je n’en ai pas de preuve historique. Quant aux nouvelles salades de coucous ou de quinoa, on les fait comme les salades de riz avec des légumes et une protéine quelconque.
Les nouvelles modes alimentaires ont cependant ajouté de multiples autres variétés de lunch venues du Mexique, du Vietnam, de l'Inde, de la Chine, de la Syrie, de l'Arménie, du Liban, du Japon et des Juifs originaires d'Europe de l'Est. Ces lunchs s'ajoutent peu à peu à notre répertoire traditionnel. On ne parle plus de cuisine québécoise mais de cuisine internationale.