1+1=3

L’histoire de notre cuisine n’est pas qu’une addition de cultures et de recettes de diverses cultures. Elle est synergie, création, rencontre, mariage culturel qui crée de nouvelles recettes différentes des recettes-mères.

C’est correct qu’on veuille reproduire les recettes de nos grands-mères, de la Vielle France, voire de nos ancêtres vikings, celtes, romains et germains. C’est notre tradition millénaire. Mais ce qui distingue la France du Portugal ou de la Tchékie, c’est la rencontre des Celtes avec les Romains, les Francs et les Vikings. Ce qui distingue la France du Québec, c’est la rencontre avec les nations algonquiennes et iroquoiennes, de même que la rencontre avec les Anglais, les Irlandais, les Écossais et les Américains de la Nouvelle-Angleterre. Notre cuisine raconte ces rencontres culturelles.

Les plus vieux habitants du territoire québécois, les Premières nations, connaissaient plus les garde-manger locaux que les nouveaux arrivants français. Ils les ont progressivement initiés au territoire d’ici et à ses garde-manger. Ils leur ont montré comment lutter contre les grands froids de l’hiver, comment circuler sur les hautes neiges, comment se nourrir avec les plantes et les animaux au mois de janvier, comment se soigner avec le sapin quand on a la grippe. 

Les Autochtones de la Nouvelle-Angleterre ont fait la même chose avec les pèlerins anglais établis au Massachussetts et les colons hollandais établis à Nouvelle-Amsterdam, devenu New York en 1664. Ces derniers ont appris à cuisiner le maïs et les huitres à leur façon comme les Français ont appris à faire la sagamité et à pêcher l’anguille à la manière amérindienne de Québec.

Mais il y eut une différence dans la façon européenne de réagir à ce partage. Les nouveaux Américains vivaient en société plus refermée sur elle-même que les nouveaux Canadiens. Les Français voulaient tout connaître de leur nouveau pays; leur chef Champlain souhaitait un mariage et un métissage des cultures de ces peuples pour former une Nouvelle-France alors que les chefs anglais préféraient que les communautés vivent chacune, dans leur village, en conservant leurs habitudes culturelles. C’est cette attitude qui est à l’origine du multiculturalisme canadien. Lorsque les Anglais ont conquis le Canada, ils n’ont pas voulu que les Anglais se mêlent aux Français. Ils voulaient éviter les confrontations culturelles. Ils ouvrirent donc des Cantons, comme en Angleterre, pour loger les immigrants britanniques puis Loyalistes, au début du XIXe siècle. 

De leur côté, les Français se sont rapidement mariés avec des filles autochtones du Québec, du Canada et de l’Ouest américain. Et les filles québécoises se sont mariées rapidement avec les Écossais établis à La Malbaie, en Gaspésie ou les irlandais établis dans le Haut-Saint-Laurent ou à Montréal. C’est ce qu’on appelle l’inter-culturalisme, aujourd’hui.

Le modèle français ne se produit pas sans heurts occasionnels entre les cultures; on l’a vu récemment avec les cas d’abus sexuels chez les enfants autochtones par des religieux québécois. L’intimité a quand même ses limites! La proximité et l’intimité doivent se faire avec le respect et le véritable amour de l’autre, non avec pouvoir et violence.  

Le métissage des nations fondatrices du Québec continue de se faire avec les ethnies et les nations qui continuent de s’installer sur notre territoire. Les nouvelles générations issues de ces mariages créeront notre futur, toujours branché sur nos racines culturelles et sur notre territoire et ses garde-manger.  

Ces jeunes gens veulent connaître l’histoire de notre territoire pour mieux construire notre identité collective et leur identité individuelle. Ils ne veulent plus reproduire totalement le modèle parental issu d’ailleurs et du passé. Ils veulent conjuguer tradition et futur; faire une place à leurs racines ethniques et une place à leur nouveau pays. Ils veulent créer une nouvelle cuisine québécoise en mêlant les ingrédients d’ici aux ingrédients d’ailleurs.

Les Premières Nations, les Français et les Britanniques sont appelés à s’ouvrir à ce futur collectif et inclusif en étant fidèle, tour à tour, à leur passé et à leur futur, dans un équilibre satisfaisant pour l’âme et l’esprit. Un filet de porc à la mangue et au sapin illustre, pour moi, la cuisine de notre futur!

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec