Ça fait longtemps qu'on aime le homard!

La consommation de homard est plus ancienne que celle des crevettes et du crabe. Cependant, le homard n'était pas connu des Grecs et des Romains, au temps de l'Antiquité. Ce sont les Vikings qui ont diffusé la consommation de homard dans les pays limitrophes de l'Atlantique-Nord, de la Manche et de la mer du Nord. Le mot "homard" vient d'ailleurs de leur langue, le norrois, dont on trouve encore la trace dans les langues scandinaves, le français, l'allemand et même le russe. Les premiers livres de recettes français et anglais l’appelaient « l’écrevisse de mer ». Ce sont, en fait, les Francs et les Vikings qui nous l’ont fait connaître lorsqu’ils ont immigré en Gaule, au Moyen Âge.  Leurs descendants normands, picards, anglais et saxons l’adoraient et propagèrent sa consommation en France et en Angleterre, au XIIe siècle. Mais comme il ne se conservait pas longtemps, on dut trouver le moyen de l’amener à Paris, vivant, dans des coffres remplis d’eau salée qu’on transportait jour et nuit vers Paris. Seuls les nobles et les riches marchands pouvaient se permettre ce grand luxe.

Au Québec, les pêcheurs français découvrirent rapidement que le homard était abondant dans le golfe Saint-Laurent. C’est Sagard qui en fait l’observation en 1623. Mais comme les Français se sont majoritairement installés loin du golfe Saint-Laurent, le homard ne pouvait pas être conservé adéquatement sur les voiliers qui voulaient remonter le fleuve vers Québec et Montréal. Pehr Kalm, en bon suédois habitué à du beau homard frais, raconte , en 1749 :"Il en va de même pour le homard qui est souvent à moitié pourri lorsqu'il y parvient et qu'un habitant de la province de Bohus (lieu suédois très célèbre, à l'époque) ne voudrait manger à aucun prix". Ce sont les immigrants Loyalistes installés au Québec à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle qui nous réapprirent à manger du homard à leur façon. Ils se faisaient, entre autres en Gaspésie, des sauces au homard avec de la Cayenne et du Porto, pour accompagner le saumon, la plie ou le bar rayé local. Les grands hôtels ont commencé à en mettre sur leur table lorsque les bateaux à vapeur et les trains de Portland-Montréal ont pu transporter du homard frais dans des caisses d'eau salée, à l'intérieur de 24 heures. Cependant, le homard était plutôt un mets recherché des riches britanniques de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal.

Au XIXe et au début du XXe siècle, seules quelques familles franco-québécoises de l'Est, et acadiennes de la Gaspésie, des Iles-de-la-Madeleine et de la Côte-Nord se mettaient du homard au  menu, en le ramassant avec « une salebarde, genre de nasse ou de drague qu’on déposait au fond de l’eau et sur laquelle on mettait la boette (appât) », comme le raconte le père Chiasson, historien des iles de la Madeleine. « Il suffisait de tirer avec une corde pour fermer le piège et y emprisonner le homard que l’appât avait attiré. » Ce sont les Écossais de la Nouvelle-Écosse, venus s’installer aux iles de la Madeleine, qui ont propagé l’industrie de la pêche au homard à la fin du XIXe siècle. Ils ouvrirent les premières conserveries de homard au Québec, entre 1890 et 1915. En 1917, on comptait 14 conserveries de homard en Gaspésie seulement. Les Canadiens-Français de la plaine du Saint-Laurent et de l’Ouest du Québec commencèrent alors à manger des crustacés en conserve. Il était à cette époque beaucoup plus abordable et abondant qu’aujourd’hui. On l’apportait régulièrement en pique-nique pour le consommer dans des salades avec de la crème et de la mayonnaise maison. Le homard est toujours aussi populaire, chez nous, frais en saison, et en conserve, le reste de l’année. On consultera mon deuxième volume sur la mer pour en savoir plus sur la consommation de homard par les autochtones, de la page 714 à 715.

Je vous souhaite, malgré le confinement et le retard de la pêche au homard, l'occasion d'y gouter au moins une fois, malgré son prix extravagant. C'est une façon, quand on le peut, d'encourager notre insdustrie des pêches qui en a bien besoin!

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec