Les tourtières
Beaucoup de choses ont été dites sur l’origine de la tourtière qui s’avèrent fausses, aujourd’hui. On a dit que la tourtière était faite de tourtes ou pigeons sauvages encore accessibles, au début du XIX e siècle, d’où son nom de tourtière ou « pâté de tourtes ». Certaines gens du Saguenay–Lac-Saint-Jean ont prétendu qu’ils étaient les inventeurs de ce plat maintenant connu partout au Québec au point qu’on l’appelle la tourtière du Lac-Saint-Jean pour la distinguer de la tourtière de la grande région de Montréal qui ne lui ressemble pas beaucoup.
Permettez-moi, ici, de faire appel à mes connaissances professionnelles. Le mot tourtière est composé du mot tourte et de la terminaison –ière. En français, cette terminaison désigne instrument ou appareil ou contenant ou lieu. Pensez aux mots glacière, sablière, tarière, chaudière, etc. Par conséquent, le premier sens du mot tourtière désigne un instrument, un outil de cuisine pour cuire une tourte. Et une tourte est un mot qui correspond à un pâté généralement plus épais qu’une tarte.
Les deux mots tarte et tourte viennent du latin tortus qui désignait, dans l’Antiquité, une variété de gros pain. Ce pain est à l’origine de nos pâtés. On l’évidait pour le remplir de viande en sauce épaisse. La tourtière amenée au Québec était un pâté particulièrement populaire dans le nord de la France, en particulier en Picardie et en Champagne d’où sont originaires plusieurs de nos ancêtres, en particulier Marguerite Bourgeois, née à Troye, en Champagne. On trouve des tourtières en fonte noire dans certains musées du Québec. Elles sont ovales, sur 4 pieds qui les éloignent un peu de la braise au-dessus desquelles elles cuisaient les pâtés. Elles étaient aussi munies d’un couvercle enfoncé vers l’intérieur qui permettait de mettre d’autres braises pour cuire le dessus du pâté. Jusqu’au début du XIXe siècle, les tourtes ou pâtés chauds étaient constitués de plusieurs viandes qu’on disposait en rangs, intercalés de farine assaisonnée d’épices et d’aromates. Ces plats épais étaient cuits doucement pendant toute la nuit, dans les maisons québécoises d’autrefois munies d’un âtre. On se levait pendant la nuit pour s’assurer que le feu était présent et pour renouveler les braises sur la tourtière. Lorsque les soldats anglais de Murray se sont installés dans la région de Charlevoix, à la Malbaie, au-delà de la seigneurie de Baie-Saint-Paul, ils amenèrent la pomme de terre avec eux. – On nourrissait l’armée anglaise, entre autres, avec des pommes de terre et du gibier local. Les gens de Charlevoix, en particulier les femmes qui ont épousé ces soldats d’origine écossaise, se sont mis à cuisiner la pomme de terre. Qui a eu l’idée de remplacer la farine traditionnelle assaisonnée par des dés de pommes de terre entre les rangées de viande? Les nouveaux Charlevoisiens ou les Américains de la Nouvelle-Angleterre qui venaient chasser et pêcher à la rivière Malbaie, hébergés dans les familles de guides charlevoisiens qui parlaient l’anglais? Car, les historiens américains disent que ce sont les gens de la Nouvelle-Angleterre qui ont introduit les pommes de terre dans le traditionnel Sea Pie anglais. Comme le Sea Pie et la tourtière se ressemblent beaucoup, il pourrait y avoir eu influence américaine. Quoi qu’il en soit, enfin, le contenant tourtière a passé son nom au nouveau type de plat, dans Charlevoix. Et les gens de Charlevoix ont apporté ce plat au Saguenay et au Lac-Saint-Jean, après 1838. Dans la région montréalaise, l’appellation tourtière est demeurée pour désigner ce qu’on appelle un pâté à la viande, ailleurs au Québec et en Acadie. En résumé, la tourtière montréalaise n’a plus rien à voir avec le contenant d’origine qui portait ce nom mais le plat montréalais est plus proche de la recette de la tourte d’origine qui utilisait de la viande, des aromates, des épices et un épaississant comme de la chapelure ou de la farine pour empêcher le jus de la viande de couler, lors du service.
Voir les recettes de tourtières du Québec.