La morue
La morue est le poisson le plus important de notre histoire culinaire. Il est à l’origine d’au moins 7 régions du Québec, situées dans l’estuaire et le golfe Saint-Laurent. On peut même dire que la morue a permis la découverte du Québec par les Européens. Ce sont les Basques, à la poursuite de la baleine, au XIe siècle, qui ont découvert l’abondance de la morue sur les bancs de Terre-Neuve et dans le golfe Saint-Laurent. Ils furent suivis de pêcheurs bretons et normands, dès le milieu du XVe siècle. En 1579, le golfe Saint-Laurent accueillait 150 bateaux français, 100 espagnols, 50 portugais et 50 anglais, venus pêcher la morue. Par conséquent, dès 1560, des pêcheurs européens débarquaient sur les plages gaspésiennes et de la Côte-nord pour saler et sécher la morue sur des claies de sapin, au soleil. Ce sont les nombreuses querelles entre les pêcheurs qui voulaient choisir les plus belles plages pour faire sécher leur poisson qui incitèrent le gouvernement canadien à obliger les pêcheurs à s’installer en permanence sur nos côtes s’ils voulaient profiter de nos plages. C’est ainsi que, au milieu du XIXe siècle, s’ouvrirent nos régions maritimes, au Québec. On vit, entre autres, des pêcheurs normands, bretons, jersiais, anglais, irlandais, écossais, basques, gascons, américains et acadiens s’établir sur nos côtes de la baie des Chaleurs et sur la Pointe de Gaspé. Quelques jeunes gens de la Côte-du-Sud et de Charlevoix les rejoignirent. Les îles de la Madeleine, la Côte-Nord de Tadoussac à Blanc-Sablon, le Bas-Saint-Laurent, la Côte-du-Sud et Charlevoix contribuèrent à construire l’industrie de la pêche à la morue commencée en Gaspésie.
Toutes les parties de la morue étaient utilisées. Les familles des pêcheurs se nourrissaient essentiellement de ce qui restait du poisson après l’avoir préparé pour le saler et le sécher au soleil : on gardait les têtes avec les bajoues et la langue, de même que la chair qui entourait l’arête centrale qu’on appelait la nauve. L’estomac de la morue qui s’accroche à l’arête s’appelait le got; celui-ci était farci de pain ou de pommes de terre en purée, cousu et cuit dans un plat familial appelé une cambuse. En vidant le poisson, on gardait aussi le foie de la morue qu’on mettait dans la farce du got ou qu’on faisait pocher sur la cambuse, en fin de cuisson. Le foie était aussi mis à chauffer pour récupérer l’huile qu’on vendait ensuite, en tonneau, pour des raisons de santé. L’huile de foie de morue était donnée aux enfants comme un fortifiant. Certaines gens en mettaient en conserve. On sortait ces foies sur des biscuits soda, en collation, quand on avait de la visite ou dans le temps des Fêtes. Toute une cuisine régionale est née avec les bajoues, les langues, les nauves, le got, le foie et les têtes de morue.
Les filets de morue salée étaient vendus partout dans le monde. Mais chaque nation avait ses préférences. La petite morue pêchée au début de l’été et séchée longtemps en juin et juillet était la morue préférée des Basques et du sud de l’Europe. C’est aussi celle-là qu’on envoyait dans les Antilles. On faisait une 2ième pêche à la morue, du début septembre au mois de novembre. Cette morue, appelée la morue verte, était plus grosse et salée dans des barils, sans la faire sécher. C’est celle-là qui était la préférée des Français et des Québécois qui en achetaient tous un baril, par famille, pour passer l’hiver. Même les pauvres pouvaient se payer ce poisson.
Malheureusement, la morue est presque disparue de nos côtes à cause de la surpêche et d’autres phénomènes liés aux changements climatiques et au déséquilibre entre les espèces, comme la surabondance des phoques, selon certains pêcheurs. La morue salée vendue sur le marché contemporain provient souvent d’autres poissons apparentés à la morue. En Gaspésie, cependant, on peut se procurer de la véritable morue moins salée qu’auparavant et pouvant reproduire une bonne partie de notre patrimoine culinaire consacré à la morue verte. Comme les Portugais, nous comptons au moins une recette différente de morue par jour. Mais peu de Québécois urbains les connaissent. Je vous invite à lire les textes consacrés à la pêche et à la cuisine de la morue dans mon 2e volume, Histoire de la cuisine familiale du Québec, la mer, ses régions et ses produits, de la page 495 à 530.