La cuisine du Témiscamingue
On associe toujours, aujourd’hui, le Témiscamingue à l’Abitibi, parce que ce sont des régions voisines de l’Ouest québécois, mais dans les faits, il s’agit d’entités géographiques très différentes à plusieurs égards, y compris au niveau culinaire. C’est la même problématique que le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Il faut passer par l’Abitibi pour atteindre les Témiscamingue par une voie québécoise, sinon on doit obligatoirement longer la rivière Outaouais du côté ontarien, car il n’y a pas de route qui longe la rivière, du côté québécois. Le lac Témiscamingue est le centre attractif de la région, et ce depuis l’occupation humaine du territoire. Situé au nord-ouest de la région, il a par la suite, attiré les Amérindiens de toutes origines, les premiers trafiquants de fourrure, les missionnaires, puis les premiers colons canadiens-français. C’est la richesse argilo-sableuse de son sol environnant et la douceur de son climat qui ont complété le coup de cœur de tous ceux qui l’ont découvert pour la première fois, aux siècles derniers. Le lac Témiscamingue a toujours été la grande voie de circulation entre la Baie James (le Nord) et le fleuve Saint-Laurent (le Sud). Plusieurs villages quadrillent la plaine située à l’est du lac Témiscamingue, Cette grande plaine fertile est un vestige du grand lac post-glaciaire Barlow-Ojibway qui recouvrait toute la région, il y a 8 000 ans AA. Le lac Témiscamingue est le dernier refuge des eaux de ce grand lac qui s’égouttait par la baie James et par le fleuve Saint-Laurent, via la rivière Outaouais. L’agriculture a pu se développer grâce aux deux conditions favorables ci-dessus mentionnées : richesse de la terre et douceur du climat. Ce sont les employés du Poste de traite de Fort-Témiscamingue qui se sont, les premiers, rendus compte de la richesse du sol de la région attenante au lac, comme nous le verrons plus bas. Enfin, à l’ouest et au sud de la région, on trouve de nombreux lacs où se sont installés les Anishnabek, à la suite des événements qui ont marqué leur histoire.
Son peuplement et ses ethnies fondatrices
Commençons par parler des premiers hommes à parcourir le territoire. Après les Proto-Amérindiens, on s’attendrait à trouver des Archaïques du Bouclier, dans ce territoire. Or, ce n’est pas le cas, pour l’instant. Les seules preuves répertoriées au Lac Abitibi et au lac Témiscamingue parlent plutôt de la présence des Archaïques laurentiens, venus des forêts de feuillus du Sud. Et l’on a pu situer leur présence entre 7 000 ans et 2 000 ans avant J.C. Ceux-ci seraient probablement montés par l’Outaouais pour camper au bord des lacs poissonneux de la région, puisqu’on sait que les Archaïques laurentiens adoraient le poisson et qu’ils s’en nourrissaient largement pendant l’été. Les visites de plus en plus fréquentes dans la région auraient fini par susciter leur installation définitive au Témiscamingue et en Abitibi. Ce qui ne les empêchait pas, cependant, de garder des contacts étroits avec la culture Meadowoods de la plaine du Saint-Laurent, qui utilisait la poterie pour cuire ses aliments. Les Archaîques laurentiens étaient des chasseurs de cervidés, d’ours et de castor pendant l’hiver, et pendant l’été, ils consommaient beaucoup de poissons et de moules d’eau douce de même que des écrevisses. Par contre, à l’origine, la chasse au gros gibier semble avoir eu beaucoup plus de place que la pêche pendant l’été. C’est du moins ce que tentent de démontrer les fouilles archéologiques. De plus, on mangeait peu d’oiseaux. Quant aux plantes, on imagine que les petits fruits devaient être un apport alimentaire complémentaire en saison. La région étant largement fournie de rivières et d’axes de communication avec l’ouest, ils auraient reçu l’influence de la culture Laurel du III e au IX e siècle.
Cette culture qui utilisait la poterie pour cuire ses aliments serait née, vers l’an 200 avant J. C., à la frontière sud-ouest de l’Ontario, serait montée vers le Manitoba, aurait voyagé vers l’est, au nord du lac Supérieur, pour atteindre l’Abitibi-Témiscamingue, vers l’an 250 de notre ère. Les derniers vestiges de la culture Laurel dans la région dateraient des années 800-850 environ. Par la suite, s’installerait une nouvelle culture d’origine essentiellement algonquienne, appelée Blackduck du Bouclier canadien, caractérisée par une poterie décorée par des points bosselés à l’intérieur du pot, des impressions décoratives faites avec de la corde et surtout un fond sphérique plutôt que conique, comme c’était le cas au temps de la culture Laurel. Ce qui est surprenant pour beaucoup de mes lecteurs, c’est le fait de rencontrer de la poterie chez un peuple d’origine algonquienne. Or, on sait qu’à l’arrivée des Français, les tribus algonquiennes n’utilisaient jamais de la poterie pour cuire leur gibier ou leur poisson : on les faisait bouillir dans des plats d’écorce en mettant des pierres bouillantes dans l’eau de cuisson. La découverte des poteries de culture Laurel ou Blackduck dans des foyers essentiellement algonquiens faits de carrés de sable ou de pierres surélevées prouvent qu’il s’agit bien d’instruments culinaires utilisés par des Algonquiens. — Les Iroquoiens creusaient toujours la terre pour faire leur feux de cuisson; c’est ce qui permet d’ailleurs de distinguer les deux cultures. Il est normal que les Algonquiens nés au nord du lac Ontario, à l’est de la Baie Georgienne, aient eu des contacts fréquents avec leurs voisins iroquoïens de la région des Grands-Lacs : quelques tribus algonquiennes du sud ont pratiqué l’agriculture, tout comme les tribus iroquoïennes. Cette influence dura de façon certaine du XI e au XIV e siècle.
Lors de la Guerre des Sioux, dans le pays de leurs voisins du Sud-Ouest, les Ojibwés se sont rapprochés d’eux et ont ainsi apporté leur savoir-faire et leurs aliments préférés comme le célèbre riz indien (zizanie aquatique). Lorsque le Poste de traite s’installa au Fort Témiscamingue, ils vinrent plus souvent encore et fraternisèrent avec les Algonquins du Témiscamingue. D’ailleurs, les tribus algonquines du Sud-Témiscamingue parlent une langue très proche de l’ojibwé alors que ceux du nord et de l’ouest parlent un algonquin différent. Les Cris de la Baie James vinrent aussi les visiter, par les hautes terres de l’Abitibi, en remontant tout simplement les rivières. Ils apportèrent leurs spécialités avec eux, leur goût pour les oiseaux migrateurs et les perdrix blanches. Ils furent, de plus, les premiers ambassadeurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson avec tous ses produits d’importation européenne, avant l’installation même des trafiquants français dans la région. La cuisine algonquine a donc été marquée par toutes ces influences amérindiennes et européennes.
Au XVI e siècle, au moment des premiers contacts avec la culture européenne, les Algonquins de l’Outaouais fréquentaient abondamment les Hurons de la Baie Georgienne. C’était un commerce avantageux pour les deux cultures qui se poursuivait. Les Algonquins échangeaient leurs fourrures, leurs viandes fumées, leurs écorces de bouleau contre du maïs, du tabac et des filets de pêche hurons. Même si les Algonquins de l’Outaouais inférieur pratiquaient eux-mêmes l’agriculture, ceux de l’Outaouais supérieur, du Témiscamingue et de l’Abitibi, ne le faisaient pas. Mais ils consommaient tous de la semoule de maïs et du maïs lessivé. Le principal de leur alimentation était fait de protéines : orignal, cerf de Virginie (chevreuil), caribou des bois, en hiver, poisson au printemps et en été, oiseaux et œufs au printemps, ours, castor, rat musqué, lièvre, gibier à plumes en toutes saisons, et beaucoup de bleuets frais et séchés. Les familles se regroupaient d’ailleurs, en saison, dans les anciens brûlés, pleins de bleuets, où ils montaient leur tente sur place pour mieux profiter de la manne. Ce sont les femmes et les enfants surtout qui faisaient la cueillette avec des paniers d’écorce. — Les Québécois les ont d’ailleurs imités dans plusieurs régions colonisées au XIX e siècle.
Les hommes pêchaient les gros poissons d’automne avec des filets pour faire les provisions de corégone ou de touladi fumé pour l’hiver. On pêchait aussi l’esturgeon, le maskinongé, le brochet et le doré, au printemps, avec un nigog. On profitait toujours de la fraie pour les attraper plus facilement. Et les femmes et les enfants pêchaient les poissons plus petits comme les achigans, les truites mouchetées, les perchaudes et les laquaiches, avec une ligne et un hameçon, tout au cours de l’été. Le gros gibier était tué avec un arc et des flèches au début de l’hiver et plutôt avec une lance au cœur de l’hiver quand les hautes neiges permettaient de se rapprocher davantage de l’animal. Une famille élargie d’une trentaine de personnes avait besoin d’une soixantaine d’orignaux adultes d’au moins 340 kg pour vivre, au cours de l’hiver. — Certains chasseurs français en tuaient tout autant sous le Régime français et sous le Régime britannique, jusqu’à l’ouverture des régions aux premiers colons, vers 1825. Beaucoup d’autres petits mammifères étaient occasionnellement consommés comme l’écureuil et le porc-épic, mais les carnivores comme le loup, la loutre, le renard, le vison, la martre, la belette, l’hermine et le pékan étaient utilisés seulement pour la fourrure sinon exceptionnellement en temps de famine. Seul le lynx demeure une exception chez certaines tribus puisque c’est un carnivore qui faisait les délices de plus d’un chasseur. Les fouilles archéologiques qui nous permettent d’identifier les animaux et les poissons consommés à l’époque ne démontrent pas de traces de feu, de dépeçage ni de rongement; ce qui pourrait signifier que le petit gibier était principalement bouilli ou cuit entier, à l’étouffée, entouré d’écorces mouillées ou de glaise, puis déposé dans le sable bouillant et les cendres chaudes du feu. On sait aussi que les Algonquins faisaient avec le bouillon de cuisson de leur gibier ou poisson, des soupes épaissies avec de la farine de maïs, à la manière huronne. Ce plat s’appelait sagamitew, à l’époque. Les plantes, comme chez les autres Algonquiens, étaient davantage une nourriture de survie qu’un régal alimentaire; elles étaient toujours associées à la maladie tout comme les champignons à la mort.
Au début du XVII e siècle, les Algonquins étaient au moins 4 500 autour du lac Témiscamingue. Les premiers textes européens qui parlent des amérindiens de la région sont les Relations des Jésuites en 1660, le Journal du sieur du Lhut de la Compagnie de la Baie d’Hudson, en 1684, et le Journal du chevalier de Troyes qui se rendit à la Baie d’Hudson par l’intérieur des terres, en 1686. Lors de la Guerre des Algonquiens et leurs alliés français, vers 1650, contre les Iroquois, plusieurs Algonquins du Témiscamingue furent massacrés et les autres se sont réfugiés chez les Objiwés, d’autres chez les Cris, d’autres chez les Métis et les Français ou les pères Jésuites ou Sulpiciens, à Oka. Par la suite, plusieurs se sont même alliés aux Iroquois pour faire la traite des fourrures jusque dans les Montagnes Rocheuses. Et quelques-uns sont revenus au Lac Témiscamingue ou aux lacs où ils allaient passer l’hiver autrefois, comme au Grand Lac Victoria. Mais le recensement de 1735 dit qu’à la tête du lac Témiscamingue, vivaient une vingtaine de Têtes-de-Boule : on ne parle pas spécifiquement des Algonquins ni des Témiscamingues. L’hypothèse la plus couramment acceptée serait que les Têtes-de-Boule originaires du Nord-Ouest ontarien auraient remplacé les Algonquins et les Attikamèques éliminés par les Iroquois. Cette note précise vient confirmer l’idée exprimée par certains anthropologues que tout le nord du Québec était parcouru par des groupes d’origine algonquienne, mais dont la notion de nation serait très difficile à appliquer. Les nombreux déplacements des familles, les mariages fréquents entre groupes divers, font en sorte que les Jésuites, puis les administrateurs français ont remplacé les noms Attikamèque et Algonquin par une appellation générale «les gens de l’intérieur des terres».
Quant aux Amérindiens campés à la tête du lac Témiscamingue, ils se métissèrent avec des Écossais et pratiquèrent un peu l’agriculture pour alimenter les premiers camps de bûcherons de la région et le Poste de traite. Certains ont même fait de la pêche commerciale d’esturgeons sur le lac. Aujourd’hui, plusieurs familles algonquines continuent d’aller chercher leur orignal chaque année pour se faire du pagwadj aïaâ (steak) ou du pagwadjawessi (cipâte). Les Algonquins du Lac Barrière sont aujourd’hui installés au Lac Rapide, près de la route 117, et sont considérés comme faisant partie de l’Outaouais. Les Algonquins de Kipawa ont obtenu leur réserve en 1973 : elle s’appelle Kebaowek. Enfin, la famille algonquine qui habitait autrefois Long Point ou Sand Point et qu’on appelait les Wanawaian, habite depuis 1950, à l’embouchure de la rivière Winneway, sur le lac Simard.
Pour terminer mon résumé du peuplement algonquin au Témiscamingue, je vous donne un extrait du livre Le Témiscamingue, son histoire, ses habitants, où l’auteur, Marc Riopel, résume le témoignage de l’une des meilleurs chasseurs de la région, Mme Agnes Reynolds-St-Denis-Hayman : «Agnes se souvient avoir été trapper avec sa mère à Grassy Lake lorsqu’elle n’était qu’une enfant (elle est née en 1908). Elles trappaient le castor, le vison et le rat musqué ainsi que des lapins (lièvres) aux collets. Il y avait beaucoup de chevreuils dans ce temps-là et très peu d’orignaux. Il y avait beaucoup d’ours et de loups, mais personne n’avait d’ennui avec eux. Les fourrures étaient vendues à un “non-indien”, Watson Young, qui avait un magasin au lac des Loups. Une peau de rat musqué se vendait 10 cents. Quelquefois, ils prenaient l’argent comptant de leur vente, mais, la plupart du temps, ils échangeaient contre des denrées principales, comme la farine, le sucre, le thé, le lard, etc. Les ustensiles pour manger, fabriqués de métal, étaient également achetés au magasin, tout comme le coton fromagé, le coton à la verge et les articles de chasse et pêche. Agnes avait la réputation d’être l’une des meilleurs trappeurs de la région. Elle dit avoir abattu tant de chevreuils qu’elle ne se souvient plus combien. Ils n’ont jamais tué d’animaux simplement par plaisir mais pour la nourriture et leur propre survivance. L’animal abattu était partagé avec leur famille immédiate. » Cette façon de faire existe depuis toujours dans la culture algonquienne.
Les premiers colons canadiens-français qui se sont établis à Notre-Dame-du-Nord, près de la réserve de la Tête-du-Lac, en 1896, ont eu l’occasion de le constater à plusieurs reprises puisque les Algonquins les ont aidés à s’installer. Mon beau-père est né au Témiscamingue en 1914. Son père avait quitté son village natal de Sainte-Anne-du-Sault (Daveluyville aujourd’hui) avec sa jeune petite famille pour s’établir à Guérin, à l’automne 1908. Sa femme, une Monfette de Sainte-Sophie-de-Lévrard, était apparentée au célèbre frère Joseph Moffet, considéré comme l’un des principaux fondateurs du Témiscamingue. Ce dernier était arrivé, en 1872, pour aider les prêtres missionnaires de sa communauté à bâtir une mission auprès des Amérindiens et une ferme de subsistance pour la communauté. Déjà, en 1836, des Sulpiciens venaient faire la mission sur le bord du lac. Mais à partir de 1854, la mission chez les Amérindiens du Québec serait confiée aux Oblats de Marie-Immaculée. Ceux-ci arrivèrent au lac Témiscamingue en 1863, à peu près en même temps que les premiers colons du Témiscamingue. Des bûcherons et des anciens employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson avaient commencé à s’installer en permanence avec leurs familles, des deux côtés du lac, à partir de 1860 : Isaac Bonin, William et James Burns, Adam Burwash, la famille Caya, John England, Jean-Thomas Hébert, James Kelly, G. Landry de la région de Sorel, Camille Latour, Moïse Lavallée de Lavaltrie, M. Lavigne, Rémi Martel, la famille McMartin, Alfred Miron, Joseph Miron de Papineauville, Édouard Piché de l’Île-aux-Allumettes et James Quinn. Le recensement de 1871 mentionne qu’on trouvait, du côté est du lac Témiscamingue, 269 Algonquins, 46 Français, 7 Anglais, 19 Écossais, 4 Scandinaves et 1 Allemand. Cela annonçait donc un mélange culturel intéressant pour la cuisine témiscamienne. Le côté ouest du lac accueillait, en plus de la liste précédente, des Irlandais, dont certains descendants traverseraient au Québec, par la suite. En 1886, le père Calixte Mourrier qui faisait le recensement de la région précisait que les Scandinaves étaient des Suédois et des Norvégiens qui habitaient au sud du lac.
Après une installation sommaire pendant une dizaine d’années, la communauté des Oblats décida de mieux s’organiser pour subvenir à ses besoins et pour en même temps susciter la sédentarisation des Algonquins qui se tenaient autour de la mission et du Poste de traite local. En 1871, 3 pères séjournaient dans la mission : Jean-Marie Pian, Jean-Pierre Guéguen et Urgel Poitras. On fit venir le frère Moffet pour s’occuper du projet de la ferme. Celui-ci commença à faire du défrichement en 1874. Puis, il s’établit à Baie-des-Pères à partir de 1879. L’endroit deviendrait en 1886, Ville-Marie. Devant les résultats fantastiques qu’il obtenait à cultiver la terre, il décida de faire venir un premier groupe de colons de Nicolet, sa région natale. Sage conseiller, habile négociateur, les colons se référaient toujours à lui, tant pour les semences que pour les récoltes. Il devint vraiment le père de la colonisation du Témiscamingue. Les Algonquins l’appelaient d’ailleurs Maisokisis, l’homme levé avant le soleil : ce qui donne une idée de son horaire chargé à aider ainsi tout le monde! Le frère Moffet passa le reste de sa vie au Témiscamingue; il aimait ce pays plat qui lui rappelait le Centre du Québec. Avec le Père Charles-Alfred Paradis qui se joignait à lui en 1882, puis le Père Pierre-Édouard Gendreau, il s’occupa de faire venir des colons au Témiscamingue. Les premiers vinrent de la région de Nicolet en 1883, pour s’établir dans le canton de Duhamel. Depuis 1880, le lac voyait circuler des navires qui appartenaient aux compagnies forestières : ceux-ci servaient à la drave des billots bûchés sur le pourtour du lac de même qu’au transport des denrées, des animaux domestiques, des bûcherons et des premiers colons du territoire. Si la circulation se faisait facilement sur le lac Témiscamingue, il n’en était pas de même pour la rivière Outaouais qui conduisait à ce lac. Le rapide de Long-Sault représentait un obstacle majeur pour la colonisation de la région, à partir du sud. C’est pourquoi la communauté des Oblats décida de fonder une société de colonisation. Après une visite attentive des lieux, le père Paradis faisait un rapport à ses supérieurs qui démontrait qu’on pouvait établir une quarantaine de paroisses agricoles à l’est du lac Témiscamingue. Avec le père Gendreau, il commença à recruter des familles de la région d’Ottawa; il leur organisa même une visite de reconnaissance en octobre 1884. Et la Société de colonisation du lac Témiscamingue était fondée le 12 décembre 1884. Dès l’année suivante, la société avait une subvention du gouvernement fédéral pour construire une petite voie ferrée qui permettrait de transporter les gens, les bestiaux, les meubles et les équipements agricoles à côté des rapides du Long-Sault. En 1886, on fondait une compagnie pour gérer ce train et le navire qui ferait le transport des colons sur le lac.
Par la suite, la colonisation du Témiscamingue se ferait en 3 étapes, comme le signale Riopel dans son livre mentionné plus haut. Les premiers agriculteurs s’en sortiraient très bien à cause de leur relation étroite avec le monde de la foresterie. Les camps de bûcherons et de drave allaient acheter tous leurs surplus de céréales, légumes et bestiaux. Plusieurs colons passeraient aussi l’hiver dans le bois à bûcher pour ainsi compléter leurs revenus. De 1886 à 1916, on assisterait à la naissance des premiers villages agro-forestiers du Nord-Ouest québécois : Ville-Marie, Fabre, Saint-Bruno-de-Guigues, Témiscaming, Laverlochère, Tee Lake, Lorrainville, Notre-Dame-du-Nord, Saint-Édouard-de-Fabre, Béarn, Fugèreville, Guérin, Latulipe, Saint-Eugènes-de-Guigues, Saint-Louis-de-Nédelec verraient, tour à tour, arriver près de 9 000 personnes dans leur territoire pendant cette période. Les derniers arrivés, entre autres quelques Franco-Américains venus s’établir à Latulipe en 1913, profiteraient du train Canadien Pacific arrivé dans la région en 1896, lequel remplaça le tronçon construit par la SCLT, 10 ans auparavant, pour sauter le rapide du Long-Sault, de Mattawa à Lumsden’s Mills (Témiskaming).
La deuxième période de colonisation se ferait de 1917 à 1928. Cette fois-ci, c’est l’industrie du bois de même que les mines de Belleterre qui amèneraient les gens. C’est le prolongement de la voie ferrée qui susciterait la construction de Laniel en 1922 et d’Angliers, en 1923. Ce dernier village deviendrait la plaque tournante du commerce de bois de pulpe coupé dans le secteur du lac Des-Quinze. Le bois serait désormais acheminé par train jusqu’au moulin de Témiskaming. Beaucoup de fils de fermiers se tourneraient vers cette industrie à cette époque. Et quelques-uns iraient aux mines de Belleterre, puis de l’Abitibi. La route entre Rouyn-Noranda et Guérin, ouverte en 1927, favoriserait largement le départ de ces jeunes Témiscamiens. Au moulin de Kipawa (Temiscaming), l’administration faisait le relevé en 1940 de la provenance de leurs ouvriers et cela est très révélateur sur la composition ethnique du Sud-Témiscamingue. Sur les 183 employés de l’usine, 36% étaient Canadiens-Anglais, 14% Canadiens-français, 10% Anglais, 8 % Yougoslaves, 7% Suédois, 4% Norvégiens, 4% Polonais, 3% Tchèques, 3% Ukrainiens, 2% Danois, 2% Hongrois, 1% Écossais, 1% Roumains, 1% Américains, ½% Russes, ½% Irlandais et ½% Allemands. C’est la crise économique de 1929 qui a freiné ce deuxième volet de la colonisation du Témiscamingue : on avait à peine de quoi vivre sur les fermes. Les moulins à scie ou à papier fermaient l’un après l’autre et le salaire des bûcherons baissait sans qu’on ne puisse rien faire. Beaucoup quittaient le Témiscamingue! Cette situation catastrophique était généralisée au Québec.
C’est alors que le Gouvernement québécois instaura le Plan Vautrin dont nous avons déjà parlé dans plusieurs autres régions. Ce plan permit l’ouverture de 8 autres villages au Témiscamingue. Il faut noter, cependant, que beaucoup de colons venaient du Vieux-Témiscamingue même, pour bénéficier de l’aide gouvernementale. Signalons toutefois que Moffet fut fondé par des gens de Saint-Zacharie de Beauce en 1931, Rémigny par des gens de Joliette en 1935 et Laforce par des gens d’un peu partout au Québec, en 1937. Ce renouveau de la colonisation dura jusqu’en 1944. Pour tous ces gens, la forêt a joué un grand rôle dans leur vie : elle leur a permis de vivre en leur donnant un salaire et elle les a nourris très souvent avec ses poissons, son gibier et ses petits fruits locaux.
Ses activités forestières en relation avec l’alimentation
La première activité forestière nourricière a, bien entendu, été la traite des fourrures. Des coureurs des bois français, Pierre Lamoureux (Sieur de Saint-Germain) et des gens de la famille Charles d'Ailleboust, décidèrent d'intercepter les Algonquins du Témiscamingue qui voulaient commercer avec les Anglais de la Baie d'Hudson. Des marchands montréalais s'associaient à eux pour fonder le premier Poste de traite de Témiscamingue, en 1679, sur le bord de la rivière Montréal. En 1682, la Compagnie du Nord est fondée; elle achète le poste de traite. Mais celui-ci est brûlé par les Iroquois en 1688. Les Français et les Algonquins doivent quitter la région. Beaucoup d'Algonquins sont assassinés à cette occasion tout comme des Hurons et des Français le furent entre 1650 et 1700. Il fallut attendre la signature de la Paix des Braves en 1701, pour voir la traite se réinstaller au lac Témiscamingue. C’est le gouverneur Vaudreuil qui envoya une équipe hiverner dans la région en 1720 pour reconstruire le poste de traite. On le construisit, cette fois-ci, sur le bord du lac Témiscamingue où l’on peut encore visiter le site, aujourd’hui. Quelques Algonquins dispersés revinrent, alors, peu à peu dans leur territoire ancestral pour y faire la trappe des fourrures. Désormais, les biens et aliments européens importés par les autochtones seraient plus nombreux et variés. Leur cuisine changerait par la même occasion. De 1720 à 1760, le commerce des fourrures du Témiscamingue était tenu par la famille de Paul Guillet. Ce dernier possédait un permis de traite émis par le Gouverneur de la Nouvelle-France. Il équipait les canots qui se rendaient au Témiscamingue 3 fois par été (mai, juillet, septembre). Chaque équipe comptait 3-4 canots chargés de marchandises de traite. Ils ramenaient en retour à Montréal de 27 à 36 kg de peaux de castors. En 1757, le Poste de Témiscamingue produisait 120 ballots de fourrures, soit 2% du total troqué en Nouvelle-France.
Après la conquête anglaise, le poste resta ouvert avec des commis britanniques comme Richard Dobie qui tint le poste jusqu’en 1776. On continua le même genre de vie que les Français avaient au poste. Voici ce qu’un voyageur rapportait de sa rencontre avec Dobie, en 1776 : «We had Cattle, Hogs and Poultry, in Plenty, and Plenty of Cabbages & other kind of Garden Stuff. He said, dat is very fine Country” (...) they have about a dozen small Cabbage Plants, and about the same Number of lettuces». Donc, on se faisait un jardin, on élevait du bétail et de la volaille qu’on devait certainement manger avec beaucoup de salades de laitues ou de chou, comme le laisse entendre le texte puisqu’on sait par d’autres textes, que les salades au vinaigre étaient largement répandues aux siècles derniers. Le voyageur raconte aussi qu’il y avait près du poste, de nombreux champs de pommes de terre qui venaient facilement et dont les employés se servaient pour la cuisine des gens du fort, pour donner aux Amérindiens. Il mentionne aussi qu’on se nourrissait de tourtes qui étaient dans les parages au moins trois semaines par année, qu’on cuisinait le lièvre, le brochet et la perche (doré), sans oublier les aliments amenés de Montréal comme le maïs, le lard salé, les pois, le porc, la farine de blé, le sel, etc. Enfin, il raconte que le gérant du Fort lui a offert du Madère et du Porter, ce qui semblait le comble du raffinement pour un Anglais du XVIII e siècle. C’est la Compagnie du Nord-Ouest qui reprit le contrôle de la traite des fourrures dans la région. En 1795, elle rachetait le Poste de traite de Témiscamingue et en faisait son centre régional de traite des fourrures, subordonnant 6 autres Postes de traite ouverts dans le Nord-Ouest. En 1806, 6 postes de traite lui étaient rattachés : Abitibi, Waswanipi, Grand Lac, Frederick House, Matawagamingue et Flying Post.
Fort Temiscamingue était bien équipé en canots de Montréal : ceux-ci mesuraient un peu plus de 10 m de long par un peu plus de 1 m et demie de large et 75 cm de profond. Ils pouvaient accueillir un équipage de 10 hommes et un chargement de 4 à 5 tonnes, constitué d’une centaine de ballots de fourrure de 40 kg et plus. Ils servaient sur les grandes étendues d’eau comme l’Outaouais et le lac Témiscamingue. Pour amener la fourrure par les plus petites rivières, on se servait des canots du nord plus petits, pouvant contenir un équipage de 4-5 hommes et une tonne et demie de ballots de fourrure, soit plus d’une trentaine. Les hommes qui travaillaient sur ces canots étaient appelés des engagés. Lorsqu’ils ne ramaient pas, on les occupait à toutes sortes de tâches comme la réparation des canots, la coupe de bois de chauffage et la préparation du maïs lessivé qui était l’aliment dominant de la diète des canotiers. Pour ce faire, les hommes préparaient un feu à l’extérieur sur lequel ils suspendaient un gros chaudron de fer noir avec lequel on faisait la lessive, et ils le remplissaient d’eau, ajoutaient de la cendre de bois franc posée dans un nouet de tissu et ils ajoutaient le maïs séché en grain. La cuisson durait 2 h et le maïs gonflait peu à peu laissant aller l’écorce du grain. Il fallait ensuite bien rincer le maïs gonflé avec beaucoup d’eau froide, l’égoutter, le faire sécher puis le mettre dans des sacs de toile pour le conserver pendant le voyage. Il cuirait encore 1 h à 3 h pour faire des préparations diverses avec du petit gibier, de la soupe aux pois ou des espèces de poudings épais faits avec des grillades de lard salé ou du gras. Le maïs continuait de grossir à la cuisson. C’est pourquoi les engagés devaient calculer au moins 1 gallon d’eau pour 1 litre de maïs. La recette principale de pouding de maïs, donnée par Sir Alexander Mackenzie, était qu’on ajoutait à la recette donnée ci-haut environ 60 ml de graisse de gibier fondu ou 2 onces de suif d’orignal ou de caribou et un peu de sel. Certains engagés aimaient tellement ce plat qu’ils en mangeaient 7 jours sur 7.
Au début du XIX e siècle, les employés du Fort occupaient leur printemps, entre autres, à préparer les jardins : on semait du chou, des navets, des pommes de terre, des oignons, des carottes, des fèves, des pois, des légumes verts (?) et de la laitue. Ils semaient également un peu d’orge pour la soupe. Les commis, quant à eux, recevaient les Algonquins qui venaient troquer des fourrures ou des aliments sauvages contre des outils, des tissus, des articles de chasse et pêche et des aliments de base. Parfois, les commis leur faisaient goûter des aliments nouveaux, des épices ou leur faisaient des cadeaux pour les attacher au Poste, pour ainsi les empêcher de troquer leurs fourrures avec les nombreux trafiquants indépendants de l’époque, et surtout avec le Poste de la Baie d’Hudson situé au lac Abitibi. Mais, les deux compagnies décidaient de se fusionner en 1821. Par la suite, la Compagnie dut s’adapter à la transformation majeure de l’économie de la région. La coupe du bois tout le long de l’Outaouais faisait un tort irréparable à la traite des fourrures dans l’Outaouais; on dut fermer les Postes de traite près de l’Outaouais, les uns après les autres. La Compagnie de la Baie d’Hudson décida de suivre les Algonquins dans leur retranchement forestier. Vers 1870-1875, elle ouvrait de nouveaux postes de traite à Kipawa, Hunter’s Point et Wolf Lake. En 1879, elle opérait même une ferme à Kipawa. Mais en 1902-1903, elle déménageait tout le matériel de traite du Fort Témiscamingue à Haileybury, en Ontario. C’en était fait de la traite des fourrures au Lac Témiscamingue! Puis vers 1950, les autres postes de traite fermaient leurs portes à leur tour. C’est désormais l’arbre qui devenait la richesse de la forêt!
La coupe du bois commerciale au Témiscamingue a commencé pendant l’hiver 1799-1800, au bord du lac Témiscamingue. Par la suite, elle fut pratiquée par des bûcherons voyageurs qui venaient de partout au Québec comme du Lac-Saint-Jean ou la Gaspésie, de Mattawa en Ontario et même de Caraquet au Nouveau-Brunswick. La moitié était catholique et l’autre moitié protestante. Les bûcherons étaient surtout des Algonquins, des Canadiens-français, des Écossais et des Irlandais. Mais il y avait aussi d’autres nationalités comme on l’a vu plus haut. Ce sont les frères McConnell qui ont ouvert les premiers petits chantiers sur la rive ontarienne du lac Témiscamingue, en 1836, sur la pointe Opémica. Entre 1840 et 1850, la Compagnie de la Baie d’Hudson décidait d’ouvrir ses propres chantiers sur les rives du lac Témiscamingue de même qu’au bord du Grand lac Victoria. Puis Charles-George Meech ouvrait un plus gros chantier en 1853 sur les rives du lac Kipawa. En 1863, des marchands de bois venus de l’Outaouais ouvraient cinq chantiers sur les rives du lac Témiscamingue. En 1873, était construit le premier moulin à scie de la région par M. Latour : son moulin faisait des rames qui servaient aux draveurs pour diriger le bois coupé sur le lac. Cette première période d’exploitation forestière qui dura jusqu’en 1873, un an après l’arrivée du frère Moffet, a eu peu d’impact sur la flore et la faune locale. On l’a dit plus haut, quelques bûcherons en ont profité pour se construire dans quelques premiers hameaux, des deux côtés du lac. Ils pratiquaient un peu d’agriculture et vendaient leurs produits aux premiers chantiers du lac. Le poste de traite servait de magasin général pour tous ces gens.
Les choses changeraient cependant beaucoup de 1874 à 1917. Les grandes compagnies de l’Outaouais, dont nous avons déjà parlé précédemment, avaient obtenu du Gouvernement provincial, de grandes concessions forestières qui leur donnaient le droit exclusif de la coupe du bois dans une bonne partie du Témiscamingue. Même les colons qui obtenaient la permission de s’établir dans la région, ne pouvaient bûcher le bois de leur terre sinon pour construire leur maison et leurs bâtiments fermiers. Le reste de leur terre appartenait à ces compagnies. On comprend que cette situation engendrait de nombreux conflits entre les contremaîtres des chantiers forestiers et les premiers colons de la région. Cependant, les colons s’installaient généralement sur des terrains déjà bûchés de sorte qu’ils étaient prêts à semer plus tôt qu’ailleurs. Tous les excédents de leur production agricole étaient vendus aux chantiers, autant les légumes, les pommes de terre, la viande que le foin et l’avoine pour les chevaux. Une dizaine de moulins à scie desservaient les premiers colons et les chantiers spécialisés dans le bois d’œuvre ou le bois de sciage. Jusqu’en 1890, la très grande majorité des bûcherons viendraient de l’extérieur de la région. Après cette période, avec la pénurie de travailleurs, les marchands de bois chercheraient plus à engager les fils des agriculteurs locaux.
En 1885, 16 marchands de bois installés principalement autour du grand lac Kipawa, accueillaient 2 000 bûcherons répartis dans 36 chantiers. En 1887, le père Mourier recensait autour du lac Kipawa une dizaine de marchands de bois, une trentaine de camps de bûcherons et 1 344 hommes. Dès 1889, on avait épuisé le pin blanc par une coupe intensive; à titre d’exemple, on avait sorti entre 20 000 et 30 000 pieds de bois de sciage, juste autour de la rivière La Loutre. À la fin de ce siècle, on trouvait toutes sortes de chantiers qui pouvaient compter aussi peu que 5 hommes jusqu’à une centaine d’hommes même. Au début, le bois de sciage était transporté dans des cages de bois qu’on faisait flotter sur le lac puis sur l’Outaouais. On devait démonter la cage à chaque fois qu’on arrivait à une chute et la refaire une fois que les poutres avaient sauté librement la chute. C’était compliqué parce qu’il faut dire que les conducteurs du radeau habitaient dans des tentes montées sur cette cage de bois et qu’ils y faisaient même la cuisine sur une cambuse placée au centre de la cage. Par conséquent, il fallait reconstruire tout cela à chaque fois. On laissait le courant conduire la cage si le temps était calme en la dirigeant avec des rames et on utilisait une voile pour aller plus vite quand le vent était favorable. La première cage de bois avait quitté le lac Témiscamingue en 1837. Et la dernière répertoriée le fit en 1906. Entre temps, la compagnie McLaren avait commencé à laisser son bois flotter librement, à partir des affluents de l’Outaouais supérieur.
C’est la construction du premier moulin utilisant du bois de pulpe qui provoqua l’arrivée, en 1917 d’une troisième période d’exploitation forestière au Témiscamingue. On avait besoin désormais d’ essences de bois davantage présentes au nord de la région, comme l’épinette noire, l’épinette blanche et le sapin. C’est donc autour des lacs Simard et Des-Quinze que l’on bûcha ce bois de même qu’aux frontières de l’Abitibi, sur les bords de la rivière Kinojivis et la source de la rivière Outaouais. La cuisine pratiquée dans les chantiers de l’époque ressemblait à celle des autres régions forestières du Québec. À titre d’exemple, je vous donne le récit d’une journée de cuisinier par lui-même, tiré du livre de Mme Jeanne Pomerleau, Bûcherons, raftmen et draveurs 1850-1960 : «C’était le cuisinier qui se réveillait le premier, le matin. J’allumais les poêles et je réveillais les cookies une demi-heure après moi.(...) À six heures, on sonnait pour le déjeuner; trois-quarts d’heure plus tard, les hommes partaient travailler. Après le déjeuner, les show boys desservaient les tables; je commençais à boulanger. Ensuite, je préparais mes viandes vers sept heures trente, et la soupe, quand c’était pas une sorte, c’était une autre. Il y avait aussi les pâtisseries, cinquante à soixante tartes par jour, des galettes à la mélasse ou des beignes; vers onze heures je faisais cuire mon pain. Je mettais les tables vers onze heures. Les hommes arrivaient pour dîner vers midi moins dix; et l’on mettait alors les plats chauds sur la table. (,,,) Ils prenaient environ une demi-heure pour dîner. Personne ne parlait aux tables, c’était un règlement qui existait partout pour ne pas que ça prenne trop de temps. Le cuisinier et les show boys mangeaient après le départ des hommes, au bout d’une table. Après dîner, on fumait une cigarette. Les showboys dégrayaient les tables et lavaient la vaisselle. Durant ce temps, je préparais mon souper. Quand j’avais des restes. Je préparais un hachis ou des patates jaunes avec du rôti de porc frais. L’après-midi, après avoir préparé les viandes, j’allais me reposer une heure. Vers 3 heures, je mettais tout ça au feu. Je faisais réchauffer la soupe aux pois; j’en avais pour la journée. On préparait les tables et vers six heures, on sonnait le cloche. Après le souper. Je commençais à refaire mes fèves au lard, mon gruau. Je tranchais mon pain pour les toasts, je mettais ça à la fraîche sous des serviettes pour ne pas que ça sèche.»
Vous aurez sans doute remarqué que les menus de chantiers changeaient quand même légèrement d’une région à l’autre, selon la provenance du cuisinier. Mais revenons à notre coupe du bois qu’il fallait draver vers le moulin à papier. La transformation du bois au moulin ne nécessitait plus qu’on le transporte délicatement pour éviter de la briser comme on faisait pour le bois de sciage puisqu’il serait de toute façon brisé à son arrivée au moulin. Par conséquent, c’est en billot de 4 pieds qu’il était mis à l’eau et ramassé par des draveurs spécialisés qui conduiraient tout ce bois au nouveau moulin à scie situé dans le sud de la région à Témiscaming, précisément au ruisseau Gordon, au Lundsden’s Mills. La pulpe du bois servait à faire de la pâte de sulfite destinée aux U.S.A. qui la transformeraient en rayonne, en plastiques et ou films de cellulose transparents. En 1925, la compagnie produisait 136 tonnes de pâte à sulfite par jour.
Pour revenir au transport du bois de pulpe (la drave), il faut dire que l’arrivée de ce moulin augmentait la demande en bois qu’il fallait amener à bon port. Cela nécessitait l’arrivée d’un camp de draveurs, appelé La Gap, qui s’occupait du transport de tout ce bois, dès 1918. En 1932, le camp de la Gap avait plusieurs bâtiments : un bureau, la cuisine, la salle à manger, une remise pour la nourriture sèche, un hangar à bois pour le poêle, une glacière pour la viande, le poisson, les œufs et les produits laitiers, un caveau à légumes, un dortoir, un magasin, une écurie, une boutique de forge, 2 hangars pour l’huile et un quai. Le bois bûché dans le nord était envoyé à la tête du lac. Des petits remorqueurs regroupaient les billes à l’intérieur d’une estacade. Celle-ci était faite de plusieurs pièces de bois équarri de un demi-mètre carré par 10 m de long, attachées entre elles avec des chaînes. On refermait l’estacade et on allait la vider dans une estacade plus grande attachée puissamment à des piliers de ciment disposés autour de l’île du Chef. C’est là qu’un remorqueur plus gros venait chercher l’estacade pour la descendre au moulin de Témiscaming. Les billes qui s’étaient échouées dans le fond des baies étaient récupérées par des petites équipes de draveurs qui, à l’aide de leurs bateaux plats appelés alligators, construisaient une petite estacade pour l’amener dans une plus grande estacade coincée dans une baie du lac. Le grand remorqueur l’attachait en passant. Les grandes estacades pouvaient contenir 100 000 billes. En 1940, le grand remorqueur pouvait traîner 3 estacades à la fois, sans oublier le chaland qui servait de cuisine aux draveurs ni les 2 chalands qui servaient de dortoirs. Cela prenait 3 jours à un bateau pour conduire le bois de l’île du Chef à la pointe Opemica. De là, un autre navire plus petit conduisait le bois jusqu’à Témiscaming, Par conséquent, les draveurs mangeaient et dormaient sur l’eau. Chaque bateau avait donc son cuisinier. Le genre de nourriture qu’on y servait était semblable à celui des chantiers pour la même époque, excepté qu’on servait généralement 4 repas sur les chalands plutôt que 3. Les journées de travail étaient aussi plus longues puisqu’on travaillait généralement jusqu’à la noirceur, c’est-à-dire vers 21 h où l’on servait le 4 e repas. Qu’on se réfère à la description de la drave en Mauricie pour le genre de cuisine qu’on servait sur ces bateaux. La cuisine variait peu d’une région à l’autre; elle variait plus d’un cuisinier à l’autre!. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y avait une cuisine québécoise commune faite d’un amalgame de plats d’origine française, britannique et américaine, et quelque fois, une cuisine plus créative faite un cuisinier talentueux et débrouillard plus que les autres.
Le garde-manger sauvage
L’exploitation forestière intensive pratiquée lors de la 2 e période décrite, de 1874 à 1917, avec les nombreux feux de forêt qui ont accompagné les feux d’abattis lors de l’arrivée des colons, ont chassé du territoire deux belles bêtes qui faisaient le délice des premiers arrivants : le chevreuil a fui la région pour l’érablière à bouleau jaune de l’Outaouais et le caribou des bois est remonté vers la Baie James. Seul l’orignal s’est senti à l’aise dans les nouvelles forêts témiscamiennes. Comme je l’ai dit dans la description du paysage, la nouvelle forêt habitée par des essences nordiques attirent davantage les orignaux que les caribous qui préfèrent des vieilles forêts tapissées de lichen. Quant au chevreuil, comme ce dernier est davantage soumis à l’épaisseur de la neige pour sa survie, le réchauffement du climat depuis quelques années, le ramène tout doucement vers le Témiscamingue. Pour ce qui est des autres gibiers de la région, il est toujours possible de chasser l’ours noir, la gélinotte huppée, le lièvre, le tétras du Canada, le canard noir et la bécasse dans les pourvoiries de la région. Les Algonquins et quelques familles métis consomment de temps en temps du rat musqué, de l’écureuil roux, du porc-épic, de l’outarde et de l’oie blanche. Autrefois, on mangeait aussi du huard et de la loutre, comme le rapportent les textes. Les poissons les plus estimés par les Algonquins étaient le corégone, le maskinongé, le touladi, l’achigan à petite bouche, l’esturgeon jaune, le doré de toutes les sortes et le brochet, en abondance dans la région. Ce sont des poissons aussi estimés par les pêcheurs blancs. Les pourvoiries offrent, par ordre décroissant de lieux de pêche, la possibilité de prendre du brochet et du doré jaune, du touladi, du corégone, du doré noir, de l’achigan à petite bouche et de la truite mouchetée, de la perchaude et du doré bleu, du cisco, de la truite moulac et de l’esturgeon jaune. Les petits fruits sauvages les plus abondants demeurent les bleuets. Au temps des pionniers, plusieurs familles allaient aux bleuets, comme au Lac-Saint-Jean. Un aîné de Fabre, raconte que du temps de ses parents, «les bleuets étaient payants, plus que les chantiers. La plus grosse partie des bleuets était vendue dans les hôpitaux et les hôtels. Un été de bleuets rapportait de 400$ à 500$.» La plaine et ses nombreux fossés le long des pacages, étaient très favorables à la venue des petites fraises des champs. La nouvelle agriculture a malheureusement éliminé ces récoltes connexes! D’autre part, les champignons sauvages sont de plus en plus populaires auprès des jeunes naturalistes et des chefs cuisiniers. Certaines familles ont commencé à en intégrer dans leurs ragoûts de gibier. Mais la cuisine avec les produits sauvages demeurent malheureusement l’exception, au Témiscamingue. Elle se rattache aujourd’hui aux événements et aux grandes fêtes de l’année, celles qu’on partage avec la visite ou les enfants qui reviennent en visite au bercail.
La ferme
La cuisine de la ferme reste encore la cuisine la plus populaire au Témiscamingue parce que presque tout le monde est originaire d’une famille d’agriculteurs. Le jardin potager, les champs de céréales comme le blé, l’orge et l’avoine, le verger, la basse-cour et l’étable ont nourri les familles dès leur arrivée dans la région. C’est sans doute pour cette raison que la plupart des recettes qui m’ont été données venaient de ce garde-manger. C’est la pratique de l’agriculture par les Oblats, en particulier par le frère Moffet, et par le personnel du Poste de traite, qui convainqua les arrivants que la terre était bonne sur les rives du lac. Depuis les tout débuts de l’installation française, on plantait les légumes du bouilli : chou, carottes, haricots, navets, oignons. De même que de la laitue, des raves (radis), des concombres pour accompagner les viandes et les poissons. Sans oublier les céréales majeures pour faire le pain. Le maïs, les pois faisaient partie des récoltes annuelles aussi. Les Anglais et les Écossais avaient par la suite amené les pommes de terre et d’autres céréales populaires chez eux comme l’orge et le gruau d’avoine. En 1869, un Métis de père irlandais et de mère algonquine, Angus McBride, né au Fort-Témiscamingue, décidait de se lancer en agriculture avec ses enfants à la Tête-du-Lac. James King, né d’un père anglais et d’une mère crie, venait rejoindre la famille McBride pour aussi pratiquer l’agriculture. Et quelques Anishnabek (Algonquins) se faisaient des jardins pendant l’été, même s’ils partaient pour le bois en septembre. Ils intégraient de plus en plus de légumes racines et de pommes de terre à leurs abwi (soupes ou ragoûts) et plats de viande. Même ceux qui ne se faisaient pas de jardin allaient se chercher des pommes de terre au Poste de traite. Enfin, tout le monde connaissait les essais horticoles de M. Fahr, commis du poste de traite. En 1887, il montrait à tout le monde ses belles tomates rouges. — Les tomates de Saint-Bruno-de-Guigues ont donc toute une certification régionale avec ce fait historique!
Les premiers colons, quant à eux, achetaient leurs semences du frère Moffet et ce dernier s’occupait d’aller vendre les produits fermiers aux chantiers du Témiscamingue et même, à partir de 1904, aux premières villes minières du Témiscamingue ontarien comme New-Liskeard, Haileybury et Cobalt. Au mois de juin, il faisait le tour des cultivateurs pour leur demander combien ils avaient semé de foin, d’avoine et de pommes de terre, il faisait un estimé des récoltes et il s’en allait ensuite rencontrer les dirigeants des compagnies forestières ou minières pour négocier un prix. Lors des premières neiges, les colons transportaient leur foin dans des granges bâties au bord du lac, faciles d’accès pendant l’hiver; on viendrait le chercher sur le lac gelé à mesure de ses besoins. Les autres denrées qui gelaient étaient conservées dans des caveaux à légumes aussi faciles d’accès. Cette pratique perdura jusqu’à la fin des années 1910. Chaque cultivateur possédait, dans son étable, une quinzaine d’animaux, soit 3-4 vaches pour les produits laitiers et la reproduction, et des animaux de boucherie comme des veaux, des porcs, des agneaux, sans oublier une douzaine de poules. L’excédent de ces produits étaient aussi vendu aux chantiers. Le marché avait lieu habituellement à la fin de l’automne, avant que la neige prenne. Après les récoltes, on battait les céréales avec un fléau, on labourait la terre pour la préparer pour le printemps suivant, puis on mettait le stock à vendre dans des boîtes ou des poches de jute, On allait porter les provisions au bord du lac pour le traverser en bateau ou on attendait que la terre gèle pour les transporter plus facilement dans les chantiers de bûcherons. Si besoin est, on faisait boucherie avant de partir, en même temps qu’on préparait les viandes pour le temps des Fêtes, soit autour du 8 décembre. Cette coutume d’aller vendre ses produits en Ontario allait perdurer jusqu’au XX e siècle. J’ai relevé le témoignage de Mme Fleur-Ange Lachapelle qui raconte son enfance et l’aide qu’elle apportait à son père lorsqu’il allait vendre les produits de la ferme à Rouyn en passant par l’Ontario : «En hiver, j’attelais un seul cheval sur un cutter, les samedis; c’était plus léger et plus vite. J’avais de grosses responsabilités pour mon âge mais j’étais sérieuse. Maman, qui venait des États et qui avait passé son enfance au couvent pour ensuite aller travailler dans les manufactures, en connaissait beaucoup moins que moi sur la marche de la ferme; et même si elle essayait de faire sa part, elle avait aussi sa maison et sa famille à entretenir. Quand l’hiver prenait, on traversait directement sur la glace du lac Témiscamingue pour nous rendre au train, en Ontario. Nous avions un staige, sorte de voiture aux murs de... coton, avec toit de tôle. Il était chauffé par un petit poêle dans un coin non loin du charretier, la cordée de bouleaux tout près. On brûlait d’un côté et on gelait de l’autre. On mettait également dans cette voiture les aliments périssables : les œufs, la crème, le beurre. Suivait une sleigh attachée au stageoù se trouvaient les carcasses de viande. Rendu à Haileybury, mon père devait embarquer tout son stock dans le wagon de fret, acheter son billet et prendre le train ensuite pour Rouyn. Moi je prenais le chemin du retour.» «Pour organiser le marché, au début, nous faisions boucherie chez grand-père Lachapelle, à Guigues, soit à une dizaine de milles de chez-nous. Il avait monté un abattoir dans son sous-bassement. Ils étaient trois, chez lui, qui faisaient le marché : grand-père, oncle Edgar et oncle Édouard. Grand-mère Lachapelle s’occupait de la fabrication du boudin. Tante Nolia et moi, on grattait, lavait et nettoyait les tripes. Nous préparions d’autres petites choses pour la vente. Pour la boucherie, il s’agissait de tuer des boeufs, des veaux, des cochons, des moutons, etc. Les carcasses étaient enveloppées “tout rond” dans de grands sacs de coton faits avec des poches de farine de cent livres cousues solidement les unes aux autres.» «À partir de la fête de l’Immaculée Conception, on arrêtait de traire les vaches jusqu’au printemps lors du vêlage. Là, le travail changeait d’allure mais c’était très occupant. C’étaient les naissances des veaux, les moutons, les cochons, les poussins, etc. J’ai même aidé une vache à mettre bas, en l’absence de mon père. Quand à maman, elle était bien plus ignorante que moi et elle savait que “la p’tite y allait.” Pour les veaux, on sauçait une main dans la chaudière de lait chaud et on faisait goûter, puis on leur mettait la tête dans le sceau pour les habituer à boire au sceau. Ça ne faisait pas toujours du premier coup. Parfois, on devait entrer les poussins et les mettre derrière le poêle pour leur donner une chaleur plus sûre.» Le soin qu’on apportait à l’élevage des animaux et à la préparation des aliments donnait un goût familial aux aliments. J’en ai pour preuve le témoignage bien senti de ce vieux monsieur d’Angliers : «On ava’ du beau lard en quart, de la m’nasse (mélasse). Je sais pas si dans ce temps-là, le monde avait plus d’appétit qu’astheure mais aujourd’hui, y a trop de toutes sortes de choses de mélangées au travers de la nourriture. Dans ce temps-là, c’était pur. Le lard était engraissé avec de la moulée tandis qu’aujourd’hui, c’est engraissé avec toutes sortes d’affaires chimiques. C’était du lard salé. Ça pouvait se conserver d’un mois à l’autre. Fallait aller le renverser de temps en temps... »
En 1908, cependant, les choses allaient rapidement changer. Les chantiers plus gros, d’une part, l’arrivée du train dans la région, d’autre part, allaient faire en sorte que les entrepreneurs forestiers allaient s’approvisionner à meilleur compte dans le sud. Désormais, les cultivateurs du Témiscamingue ne seraient plus sollicités de la même façon. Ils pourraient garder plus d’animaux chez eux parce qu’ils disposeraient de plus de foin. Stimulés par l’agronome Stanislas Simard, les cultivateurs passeraient peu à peu à l’industrie laitière. On essayerait de répondre à la demande de plus en plus grande de produits laitiers transformés comme le beurre ou le fromage cheddar. Dès 1930, chaque village avait sa beurrerie ou sa fromagerie quand ce n’était pas les deux à la fois, comme à Nédelec. Le fait qu’on ramenait le petit lait à la maison permettait d’élever des veaux et des porcs en même temps : ce qui fournissait un apport financier important pour l’époque. En 1951, on produisait 4 fois plus de lait qu’en 1931. Et certains réussissaient particulièrement la grande culture légumière. En 1953, comme le rapporte L’Abitibi-Témiscamingue, terre de bâtisseursdes auteurs Richard Dubé et Paul Trépanier, publié chez Gid, M. Albert Rannou de Ville-Marie plantait sur sa terre de sept à huit âcres, «des fraises, des tomates, des concombres, des choux, des betteraves, des rutabagas, du maïs sucré et quelques autres cultures.» La même année, M. Gabriel Rivard de Guérin avait ses grands champs de pommes de terre. En 1956, on élevait plus de 2 000 dindons dans la région. Ce dernier élevage commercial est aujourd’hui complètement disparu. Je vous donne ces détails pour vous rappeler que la cuisine familiale d’une région doit d’abord se bâtir à partir de sa production fermière au cours des âges, de même que de ses cueillettes sauvages et de la chasse et pêche pratiquées au cours de son histoire. La production des années 50 au Témiscamingue a été dynamique et l’on peut s’en inspirer pour continuer d’alimenter l’imaginaire culinaire d’aujourd’hui. Mais revenons aux années 1950!
L’industrie laitière témiscamienne va bien : beaucoup de fermiers sont passés par l’École d’agriculture de Ville-Marie. Et beaucoup de filles de la campagne ont fréquenté les Écoles ménagères des Soeurs grises à Ville-Marie, ou des Soeurs de l’Assomption à Saint-Bruno-de-Guigues. De plus, quelques-unes sont allé suivre des cours d’été à l’École moyenne d’agriculture Moffette à Ville-Marie, fondée par les Oblats, laquelle école enseignait aux garçons les rudiments de l’agriculture pendant l’hiver. En plus des cours de cuisine, les filles suivaient des cours d’horticulture, d’aviculture, de couture et de tissage. Des notions de gestion de base leur était données aussi. Aujourd’hui, l’industrie laitière et l’élevage demeurent les principales activités agricoles de la région. On élève en premier des bovins, puis des agneaux et du porc. Quelques-uns élèvent de l’émeu, de l’autruche, du nandoux, du sanglier, du bison et du cerf rouge. Cela dit, il y a quelques éleveurs de lapins, de chèvres, de cailles et quelques apiculteurs, sans compter quelques agriculteurs qui s’élèvent du canard, de la dinde et de l’oie domestique pour la famille et les amis. Quelques éleveurs font du fromage fin comme Capri-O-Lait à Nédelec qui fait du fromage de chèvre au lait cru et Le Fromage au village de Lorrainville qui fait le Cru du Clocher jeune et vieux (cheddar). D’autre part, les fourrages et les céréales occupent plus de 30 000 hectares, aujourd’hui. Blé, soya, orge, canola, pois à soupe, maïs sucré occupent les plus grands espaces après les fourrages. La pomme de terre occupe une place particulière au Témiscamingue, en particulier à Saint-Eugènes-de-Guigues : le village profite de l’une des plus grandes usines de transformation de la pomme de terre au Québec. Le climat doux de la région permet d’y planter des bleuets cultivés, des poiriers, des pruniers et même des vignes en plus des pommiers, des fraisiers et des framboisiers. Les herbes potagères y viennent aussi très bien comme la menthe, en particulier. Les recettes suivantes s’inspirent de ces garde-manger décrits.
Ses recettes
La cuisine témiscamienne est beaucoup plus internationale que je ne l’aurais cru à prime abord. Le fort pourcentage de la population d’origine francophone m’orientait vers une cuisine marquée par la Plaine du Saint-Laurent d’où sont venus les fondateurs de la région. Cependant, quand ils sont arrivés au Témiscamingue, ces gens avaient déjà été influencés par les cultures amérindiennes et britanniques. De plus, la fréquentation régulière du Nord de l’Ontario et de l’Abitibi peuplés par beaucoup d’immigrants d’Europe du Nord et de l’Est a laissé des traces culinaires évidentes. De plus, j’ai aussi constaté, comme je l’avais fait pour le Lac-Saint-Jean d’où ma famille est originaire, que les régions isolées sont souvent plus à l’affût des nouveautés qu’on l’est dans les grands centres urbains, plus conservateurs. Comme si on avait peur, collectivement, de ne pas suivre la parade! Or, force est de constater que ces régions éloignées sont souvent choisies par les compagnies de marketing pour expérimenter des nouveaux produits parce que les gens sont plus ouverts à la nouveauté que dans les régions centrales. Il y a de plus, un esprit d’aventure plus grand transmis par les ancêtres locaux qui n’ont pas eu peur d’aller vers l’inconnu pour fonder une région. Par conséquent, je sens ce type d’esprit dans la cuisine témiscamienne. Elle a tout ce qu’il faut pour devenir une région garde-manger pour le Québec, avec les changements climatiques qui s’annoncent. Mais, il faut dire que c’est encore vers l’agriculture que l’avenir se dessine et non du côté forestier. La cuisine forestière du Témiscamingue est peu présente dans l’ordinaire des familles actuelles. Les recettes sont surtout issues du monde agricole.
Code d’identification
AG - Algonquin
BR - Îles Britanniques
EC Écossais
FR Franco-québécois et français
IT - Italien
JR- Îles anglo-normandes
NA - Nouvelle-Angleterre
Les spécialités du déjeuner
Confiture aux framboises non cuites
Fèves au lard à la perdrix
Gelée aux bleuets
Miel de trèfle mauve - FR
Muffins au gruau, lait évaporé et sirop d’érable - NA
Pain indien - AG
Quiche au brocoli, jambon et Cru du Clocher - FR
Quiche aux champignons Opasatika et au jambon - FR
Les entrées, collations et petits repas
Brie fondant aux poires et aux canneberges séchées
Caviar de corégone du lac Témiscamingue sur une compote d’oignons à la crème sûre, moutarde de Dijon et miel étalée sur un croûton
Chaussons de pâte filo aux œufs de caille de Fugèreville avec du fromage Cru du Clocher de Lorrainville, des feuilles d’épinards et de la truite en conserve
Crème brûlée au foie gras et au sucre d’érable des Lapierre de Saint-Édouard de Fabre
Crêpes garnies de béchamel au jambon et aux champignons d’Opasatika
Croûtons au cheddar de chèvre, champignons et miel de trèfle
Doré ou brochet en conserve en salade verte
Œufs farcis à la truite et mayonnaise - FR
Pains fourrés à l’orignal haché - FR
Salade de légumes cuits à l’huile d’olive avec un peu de vinaigre balsamique pour accompagner des tranches de corégone fumé
Soufflé au vieux cheddar Cru de Clocher de Lorrainville
Terrine d’orignal servie sur une compote de tomates au basilic et à l’ail et du pain baguette
Timbale de corégone fumée enroulé sur lui-même et déposé sur une sauce tomate parfumée au basilic, estragon et aneth
Tomates garnies de truite ou corégone fumé, œufs dur, cerfeuil, persil, estragon, menthe et œufs dur
Les potages
Soupe à la catalognede Mémère Cayouette (lanières de pâte à l’œufs battu, cuites dans un bouillon de œufs ou de poulet avec carottes et oignons)
Soupe au poisson du Vieux-Fort (brochet, doré, etc. avec carottes. Céleri, beurre, lait et persil) - JR
Les plats principaux
De la forêt
Les poissons
Assiette de macaronis longs entourés de laitue hachée, sur lequel on met du brochet poché, d’autres macaronis, de la béchamel liquide, et qu’on recouvre de boulettes de purée de pommes de terre
Casserole de riz au doré, brocoli et cheddar fort
Chaudrée de légumes à la truite grise (touladi) - FR
Cigares au chou à la lotte du lac Témiscamingue
Filets de gros touladi badigeonnés de mayonnaise au curry et cuits au four à 450° F, 7-8 m, et servi avec un riz aux légumes et une salade d’épinards
Filets d’achigans à petite bouche ou de perchaudes recouverts de crème de champignons, d’oignons verts, de persil, sauce Worcestershire et sauce Tabasco
Fondue au doré en cubes, saucés dans une pâte à frire à la bière, et servis avec une sauce tartare ou une sauce cocktail à la sauce chili
Loche à la Marcotte d’Angliers (poisson saupoudré d’épices à poisson et mariné 24 h, puis enrobé d’une pâte faite avec 1 t de préparation à crêpe Aunt Jemima et une bière Molson Export)
Macaroni au touladi ou saumon avec pois verts, oignons et œufs durs
Morceaux de maskinongé cru en crème de champignons ou de poulet
Pain de brochet au pain, jus de citron, lait, persil et moutarde sèche - FR
Pain de barbotte ou de carpe (meunier) pochée à la purée de pommes de terre, jaunes d’œufs battus, persil, ail, oignon et blancs d’œufs battus en neige
Papillotes de filets de doré avec courgettes en allumettes, oignons, tomates en dés et olives noires
Filets de brochet sans arête frits dans une pâte à la bière saupoudrée de chapelure de Corn Flakes- NA
Pouding au pain au touladi cuit à la vapeur - BR
Roulé de pâte à tarte à la truite mouchetée ou au saumon en conserve servi avec une sauce blanche - FR
Touladi glacé au sirop d’érable et moutarde sèche sur une planche de cèdre, cuit à four chaud, servi avec du riz vapeur aux beurre et oignons verts
Les oiseaux
Canard sauvage farci aux biscuits soda, raisins secs et pruneaux, liés à l’œuf
Perdrix au four aux noisettes, crème et ail
Perdrix farcies au pain, oignon et feuilles de céleri, entourées de chou haché - FR
Perdrix rôties au four, badigeonnées de moutarde et beurre à l’intérieur, couvertes de bacon et lard salé, arrosées de vin rouge, carottes et persil, gelée de raisins en finale – FR
Le gibier
Cipâte algonquin à la viande sauvage (pagwadjawessi) - AG
Cipâteau poulet, canard sauvage, lièvre et lard salé avec épices et herbes comme persil, céleri et sarriette
Œufs d’orignal braisé - AG
Courgettes farcies à l’orignal haché et biscuits soda, servies avec une sauce tomate - IT
Gibelotte du Nord au gibier avec porc, agneau et poulet - FR
Orignal bourguignon - FR
Pain d’orignal roulé au fromage cheddar râpé
Pain de viande à l’orignal et au porc avec ail et poivron vert haché
Pouding de blé d’Inde lessivé à la graisse d’ours ou au suif d’orignal - AG
Saucisses d’orignal et de porc aux biscuits Village et épices
Steak d’orignal avec une sauce crème parfumée au sirop de bouleau de Fugèreville, à la manière de Bernard Flébus et Line Descoteaux
Steak de gros gibier algonquin (pagwady aïaâ) - AG
De la ferme
Concombres en sauce blanche avec graines d’anis - FR
Feuilleté de pommes de terre en purée avec des fromages du Témiscamingue, servi avec une salade verte du jardin ou des tomates
Pilons de poulet à l’érable
Poulet au miel, moutarde et curry
Poulet lustré au miel et beurre de pommes de Ville-Marie
Les desserts
Carrés aux framboises - NA
Carrés originaux au sirop d’érable
Charlotte à l’érable - FR
Choux à la crème et aux framboises de Ville-Marie - FR
Clins d’œufsaux framboises (biscuits encavés fourrés de confiture) - FR
Crêpes aux pommes ou aux bleuets frais - FR
Croustade aux framboises ou bleuets - EC
Croustade de pommes à l’érable - EC
Croustillant aux bleuets - EC
Dessert vite fait aux bleuets avec crème fouettée mélangée à du fromage blanc sur une croûte de chapelure de biscuits Graham, des bleuets et du sucre en poudre - NA
Fondue à l’érable aux fruits frais
Gâteau aux bleuets à l’essence d’amande - NA
Gâteau blanc au miel
Pain aux noix et aux bleuets - NA
Patienceaux framboises (blancs d’œufs battus avec des fruits frais)
Petits sapins aux atocas pour Noël (moulés dans des cônes de papier ciré et décorés de fromage à la crème avec une douille)
Pouding à l’érable aux dattes - NA
Pouding aux framboises - BR
Quiche aux pommes et sirop d’érable
Tarte aux bleuets - FR
Tarte aux bleuets à la crème glacée, jello à l’orange et noix de coco
Tarte aux bleuets frais avec crème fouettée (croûte pré-cuite)
Tarte aux fraises à la crème fouettée ajoutée en finale
Tarte aux pommes au sucre d’érable - FR
Les boissons
Vin de bleuets
Vin de bleuets et de framboises
Vin de cerises à grappes
Vin de patate
Vin de pissenlits et oranges