La cuisine de Charlevoix

Son peuplement et ses origines ethniques

Il y a 10 800 ans, la rive nord du Saint-Laurent, de Petite-Rivière-Saint-François à Saint-Siméon, était recouverte d’une toundra herbeuse alors que le Saguenay-Lac-Saint-Jean croulait toujours sous le poids du glacier. 1 000 ans plus tard, cette toundra herbeuse était devenue une pessière à cladines, ou si vous préférez, une taïga. Les premiers Québécois y arrêtèrent sûrement dans leur périple vers l’Est

Par la suite, des fouilles archéologiques et des textes nous démontrent que la région a souvent été visitée, de l’an 1 000 à 1 600,  par les Iroquoiens de Stadaconé (Québec) qui venaient capturer le béluga à l’île-aux-Coudres et à Baie-Sainte-Catherine, et pêcher le saumon à la rivière Malbaie. Ils campaient même des étés de temps à Baie Sainte-Catherine où les fouilles ont révélé qu’ils y pêchaient la morue, y chassaient aussi le phoque tout en mangeant leur maïs séché, si typique. Des tessons de poterie datant de 700 ans démontrent qu’ils prenaient le temps de cuisiner! Au XIII e siècle, les fouilles du site Ouellet, à Baie-Sainte-Catherine, en face de Tadoussac, faites par l’équipe de Michel Plourde, révèlent qu’ils se nourrissaient principalement de phoque commun, phoque gris et phoque du Groenland. La consommation de moules bleues et de petits fruits sauvages comme les cerises à grappe et les pois de plage devaient probablement compléter le menu. 

Mais ceux qui se considéraient comme les véritables pêcheurs et chasseurs du territoire, étaient les Algonquiens. On a trouvé des traces régulières de ces peuples dans la région, à partir du XII e siècle. Mais Charlevoix n’était qu’un lieu d’installation temporaire pour une chasse ou une pêche saisonnière. Le saumon, la truite de mer, et même le hareng et la morue y étaient abondants. 

Puis, les premiers Européens à avoir fréquenté la région furent sans doute les Basques du côté espagnol. On pense qu’ils seraient venus à chaque année de 1580  à 1630. Ils pêchaient de la morue et la faisaient sécher sur les grèves où il y avait des galets (graves). Et ils construisaient aussi des échafauds pour suspendre les grands chaudrons de fer dans lesquels ils faisaient fondre le gras de baleine ou de béluga. Le lieu appelé l’Échafaud-aux-Basques, situé à mi-chemin entre Baie-Sainte-Catherine et Saint-Siméon, peut témoigner de cette époque. Voici ce qu’en dit Champlain en 1626 : «À trois quarts de lieue de la pointe aux Alouettes et à une bonne lieue et davantage au Chafaut des Basques, laquelle est abondante en poisson en son temps comme truites et saumons; quantité d’éperlans très excellents s’y prend; le gibier s’y retire en grand nombre.»

Il faut attendre le XVII e siècle pour voir s’installer de façon permanente les premiers habitants du lieu, des Français de la Côte de Beaupré. À ma connaissance, la première seigneurie de Charlevoix est concédée à l’ingénieur du roi, Jean Bourdon, en 1653. Elle commence à Cap-aux-Oies, s’étend sur 10 arpents à l’est de la rivière Malbaie, et mesure 4 lieues de profond. Mais, Bourdon ne l’a jamais habitée. Ce sont les Pères Jésuites qui sont à l’origine de l’intérêt des Ecclésiastiques et des autorités civiles de Québec pour Charlevoix. Lors de la description des conséquences qu’a eu, dans Charlevoix, le gros tremblement de terre de 1663, ils crurent découvrir des mines de fer importantes sur place. L’intendant Talon y vit une occasion d’affaires. D‘autre part, le besoin en terres agricoles des gens prolifiques de la Côte de Beaupré incita Mgr de Laval à acheter les deux seigneuries de la région en 1662: celle de Beaupré et celle de l’île d’Orléans, parce qu’il soupçonnait pouvoir en retirer un certain profit pour faire vivre le Petit et le Grand Séminaire de Québec. Or la seigneurie de Beaupré s’étendait jusqu’à Baie-Saint-Paul, incluant la rivière du Gouffre où il y avait supposément du fer. Cependant, les fouilles pour trouver du fer à Baie-Saint-Paul s’avérèrent vaines. C’est ainsi qu’on dut trouver une autre façon d’exploiter la région.

Après l’épisode de la goudronnerie de Baie-Saint-Paul, Mgr de Laval invite alors  l’un de ses employés, Claude Bouchard, à venir  bâtir maison à Petite-Rivière-Saint-François en 1675, sur la propriété commencée par Jean Serrau de Saint-Aubin. Bouchard arrive donc avec sa famille en 1676 pour commencer à y faire de l’agriculture. Et Mgr de Laval continue à concéder des terres à des gens de la Côte de Beaupré pour qu’ils développent la seigneurie, comme censitaires. En 1677, il fait la même chose avec Noël Simard, dit Lombrette, qui a alors plus de cinquante ans. L’année suivante, Pierre Tremblay, (le fils du père de tous les Tremblay d’Amérique) vient le rejoindre. Il a 19 ans. Il va épouser Marie-Madeleine, la fille aînée de Noël Simard, à Saint-Anne-de-Beaupré, en 1683, et s’installera définitivement à Baie-Saint-Paul, l’année suivante. Les autorités royales continuent de concéder des seigneuries à l’est de la seigneurie de Beaupré. La seigneurie des Éboulements est concédée aux frères Lessard en avril 1683, celle de La Malbaie aux frères Hazeur en 1685 et  celle de l’Île-aux-Coudres est rachetée par Mgr de Laval en 1689. 

Le XVIII e siècle a vu la région de Charlevoix mieux s’organiser au plan économique; ce qui fit qu’elle ne manqua jamais de manger sur la table! Mgr de Laval et les messieurs du Séminaire de Québec commencèrent à permettre que des gens s’installent à l’île-aux-Coudres : ils choisirent Joseph Savard, François Tremblay, réputés pour leur habileté à chasser le marsoin parce qu’ils estimaient que ces gens réputés comme «pêcheurs de marsoins» ramèneraient de bons dividendes au Séminaire en vendant de l’huile. D’autres pêcheurs viendraient les trouver en 1728.

Après la Conquête, les jeunes Écossais eurent la mission de maintenir l’ordre dans la ville de Québec pendant 3 ans. Leur relation avec les citadins de la ville était bonne. Il n’a jamais vraiment été difficile pour un Écossais d’aimer un Français parce qu’il avait été son allié pendant des siècles!  On raconte que même les Ursulines de Québec eurent pitié de ces jeunes hommes, qui se promenaient l’hiver, les cuisses à l’air sous leur kilt. Elles leur tricotèrent des bas longs pour lutter contre les froids plus grands que ceux de leur pays natal. Après ces 3 années, les autorités britanniques du Canada décidèrent de démobiliser leurs soldats. Ceux qui le voulurent, purent obtenir gratuitement des terres au Québec, selon leur grade militaire. Un officier supérieur avait droit à 5 000 âcres et un simple soldat à 50. C’est ainsi que le capitaine John Nairne, devenu plus tard, major, et l’enseigne Malcolm Fraser, devenu plus tard, lieutenant, vinrent s’installer sur l’ancienne seigneurie de La Malbaie. Nairne prit le côté ouest de la rivière Malbaie et Fraser son côté est. Nairne s’y installa en permanence pour y vivre et y élever sa famille alors que Fraser y fit des séjours temporaires, assez fréquents. Les deux officiers invitèrent des soldats de leur régiment à venir s’installer dans Charlevoix. C’est ainsi que les jeunes Harvey, Hervett, Hovington, MacLeod, Murdock, Murray, Thomson, Warren et Wells se retrouvèrent pères d’une nombreuse descendance écossaise dans Charlevoix, au Saguenay, sur la Côte-de-Gaspé et sur la Côte Nord. Ils épousèrent de jeunes Charlevoisiennes et leurs descendants s’intégrèrent complètement à la société francophone.

En 1775, 15 ans seulement après la Conquête, le Québec anglais doit se défendre contre ses propres congénères qui ont décidé de faire l’indépendance de leur nouveau pays, les États-Unis. Le gouverneur Carleton demande alors à ses anciens soldats d’essayer de monter des milices avec les nouveaux sujets anglais. Mais les gens de Charlevoix n’ont pas oublié les exactions de Gorham. Seuls les anciens soldats retournent à Québec faire leur part en se joignant au 84 e régiment des Royal Highland Emigrants, dirigé par Allan Maclean. Nairne offre ses terres à Carleton pour y construire un camp de prisonniers américains. Ces derniers doivent même participer à la construction de celui-ci. Pendant l’hiver, plusieurs groupes de soldats réussissent à s’enfuir par le fleuve gelé. Mais ils sont refaits prisonniers sur la rive sud. Devant le danger grandissant, pour les gardiens, de devoir tirer sur des membres de leur propre famille, on décide de faire appel à un régiment allemand venu prêter main forte à l’Angleterre à l’occasion de cette guerre de l’Indépendance américaine. C’est ainsi que les Allemands viennent surveiller les camps de Cap-à-l’Aigle. Plusieurs soldats du 84 e régiment se joignent à ceux du 78 e déjà installés dans Charlevoix. De plus, on connaît au moins un Allemand qui est venu s’installer au même endroit qu’eux. Mais contrairement à la croyance populaire, il ne s’agit pas de Hans Georg Bhürer venu défendre Québec en 1776. Ce dernier est retourné chez lui avec ses camarades après la guerre. Mais il est toujours resté en contact avec la famille Nairn. Et c’est plus un membre de sa famille que les Nairne accueillirent en 1812. Les Bhürer sont devenus les Bérher que nous connaissons tous maintenant dans Charlevoix et au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Leur influence a été marquante dans la région au plan architectural et agricole, et sans doute au plan culinaire aussi, puisque la femme de Bhurer était aussi allemande de la région de Bade.

Nairne et Fraser donnèrent plusieurs concessions aux gens originaires de l’Île-aux-Coudres, de Baie-Saint-Paul et des Éboulements, à l’étroit chez eux. On commença en 1764, par Saint-Urbain, derrière La Malbaie. Cap-à-l’Aigle se peupla à partir de 1794 et en 1892, on y construisit la première chapelle protestante de Charlevoix : Saint-Peter on the Rock. En 1830, un groupe d’immigrants écossais venaient s’établir à Sainte-Agnès. Cela renforça l’influence de cette ethnie sur la cuisine régionale : l’orge, le gruau d’avoine, l’agneau, le saumon, le concombre prirent beaucoup d’importance sans oublier les pommes de terre à partir du XIX e siècle.

Les gens de Charlevoix se sentaient de plus en plus pris au piège, à la fin du XVIII e siècle. On n’a pas eu le choix de s’éloigner du bord de la mer pour essayer de trouver de bonnes terres sur les plateaux de l’intérieur : ainsi, se sont ouverts plusieurs villages forestiers, comme Sainte-Agnès,  jusqu’au pied des monts abrupts, mais la terre était la plupart du temps pauvre et surtout pleine de cailloux. Le climat y était aussi beaucoup plus froid qu’en bas et l’on ne pouvait plus faire les mêmes jardins, ni planter des pommiers, ni même soutirer de la sève d’érable. On dut faire appel beaucoup plus à la truite, aux petits fruits, au petit gibier, et au gros gibier heureusement encore très présent à cette époque. L’orignal et le caribou constituaient une grande part du menu d’hiver tout comme la truite n’était pas que mangée le vendredi, pendant l’été. La quioune de truite appartient bien au folklore culinaire de cette époque et des hauts plateaux de Charlevoix. Voici, à titre d’exemple, le témoignage de Mme Marie Néron de Sainte-Agnès : «Le lait, le pain, la soupe aux pois, les cailles et la viande étaient la nourriture de mon temps.» «Je me souviens qu’une fois, environ une couple de mois après la mort de mon mari Joseph Simard, je fus bien mal prise avec mes huit enfants sur les bras. Ma huche était vide, il ne me restait plus une graine de pain dans ma huche. Alors on se met à chercher partout dans la maison pour voir si on ne trouverait pas quelque chose à manger. Enfin, après avoir longtemps cherché, je finis par trouver une couenne de lard salé dans un petit baril. Je graisse le poêle le mieux que je peux avec ma couenne, puis je fais rôtir des galettes de pâte là-dessus.» Ces galettes de pâte étaient connues des Français et des Écossais qui les appelaient des bannok.

Mais avant d’ouvrir ces villages, on commença par finir d’occuper toutes les petites anses et les plages de Charlevoix. Plusieurs événements et circonstances ont fait de Charlevoix un pays d’émigration. Lorsque les gens n’eurent pas le choix de quitter les Éboulements ou Baie-Saint-Paul parce qu’il n’y avait plus de terre de disponible pour aller s’établir sur les terres plus froides des plateaux, comme à Sainte-Agnès, en plus de rencontrer un climat plus froid, une terre plus ingrate, s’ajoutèrent des épidémies qui attaquèrent la pomme de terre et le blé qui étaient les deux principales sources alimentaires de la population. Plusieurs se découragèrent et décidèrent d’aller tenter leur chance ailleurs. Beaucoup sont partis pour le Saguenay, le lac Saint-Jean, la Gaspésie et la Côte-Nord. D’autres quittèrent la terre pour les grands centres urbains québécois et pour la Nouvelle-Angleterre. Le Massachussets reçut beaucoup de gens des Éboulements à Hochelaga, U.S.A.

Mais, c’est au Saguenay-Lac-Saint-Jean que la plupart sont partis. Desgagniers raconte dans Charlevoix, Pays enchanté, qu’en 1869, les gens de Charlevoix constituaient 68% de la population saguenayenne. Entre 1842 et 1910, 29 000 personnes avaient quitté Charlevoix pour le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Ce qui fait que la cuisine de Charlevoix est l’une des cuisines les plus connues du Québec. Par exemple, la tourtière du Lac-Saint-Jean telle qu’on l’appelle un peu partout au Québec, aujourd’hui, est dans les faits, originaire de Charlevoix et non pas du Lac-Saint-Jean. Même chose pour la tarte aux bleuets et la soupe aux gourganes. Même si je suis saguenayen d’origine, je n’ai pas le choix de mettre les pendules à l’heure! La cuisine est une grande voyageuse!

Ceux qui restèrent dans les villages de l’intérieur des terre réussirent à survivre en pratiquant une cuisine beaucoup plus frugale que celle pratiquée au bord du fleuve. Les hommes passaient une grande partie de l’année dans les camps de bucherons. La nourriture servie dans ces camps était plus que frugale : pain fait sur place, lard salé, beans, soupe aux pois, quioune ou sauce aux patates (fricassée de pommes de terre), morue salée pour le vendredi, mélasse et thé noir. Tous les camps cependant n’avaient pas cette frugalité. Certains cuisiniers prenaient le soin d’avoir un peu plus de variété, en particulier dans les desserts. Ils se montaient des raisins secs, des pommes séchées, de la cassonade pour faire de la tarte au sucre ou du pouding à la mélasse ou à la cassonade. Ils servaient aussi beaucoup de gibier, en hiver, la plupart du temps pris en contrebande, et du poisson l’été, aussi pris en contrebande. Les chantiers de la région de Charlevoix consommaient aussi des catalognes, c’est-à-dire des crêpes dans lesquelles on mettait des petits morceaux de grillades de lard salé. Mais déjà, à la fin des années 1930 début, des années 1940, les choses avaient beaucoup changé. Dans certains chantiers, on pouvait manger du bœuf deux fois par jour comme on voulait, en rôtis ou en bouillis avec beaucoup de pommes de terre et du navet, du chou et des carottes. On faisait des tartes avec de la confiture de pommes, de fraises et de framboises. Mais les tartes préférées étaient les tartes au sucre et les tartes à la pichoune (à la mélasse avec ou sans raisins). 

De cette industrie forestière, est née la construction de goélettes. Plusieurs charlevoisiens devinrent d’habiles capitaines de goélette. L’été, la famille du capitaine vivait sur le bateau. J’ai le souvenir, dans ma jeunesse, d’avoir vu ces goélettes charger du bois de pulpe. Ça sentait le bois frais coupé et l’on pouvait voir la femme du capitaine en train de préparer son souper sur le petit poêle de la cabine de pilotage. On mangeait souvent du chiard de goélette fait avec des pommes de terre en lamelles revenues avec de l’oignon dans de la graisse de lard salé, saupoudrées d’un peu de cassonade et couvertes d’eau. Quand les enfants du capitaine étaient là, pendant l’été, ils mettaient leur ligne à l’eau pour mettre de l’éperlan ou de la truite de mer sur le chiard. On ajoutait un couvercle pour les cuire à la vapeur. Le midi, on se faisait des sandwiches aux bananes, aux tomates, aux cretons, au baloné (saucisson de Bologne) acheté chez le marchand du village où l’on accostait. Et l’on apportait de la confiture pour manger avec des biscuits au thé. Chaque famille de marin avait ses plats préférés, mais la cuisine y était toujours simple parce qu’elle devait se faire avec des aliments faciles à transporter et à conserver. Le spectacle du chargement d’une goélette avec des pitounes d’épinettes et de sapins attirait toujours les gens du village et les touristes de passage. Car il y avait de plus en plus de touristes dans Charlevoix!

Ce sont les invités du capitaine Nairne de Murray Bay qui, venant d’Angleterre ou des garnisons de Québec et de Montréal, ont découvert les richesses de Charlevoix: la pêche et la chasse. Les promenades en forêt et au bord du fleuve les ont conquis. C’est la pêche au saumon qui avait la vedette dans la rivière Malbaie : le poisson était si abondant que les quelques paysans du coin pouvaient en prendre 300 à 400 par marée, avec un flambeau! Le capitaine Nairne dut d’ailleurs imposer des restrictions pour ne pas vider la rivière. Au début, les villageois accueillaient les touristes dans leur propre maison, souvent pour une bonne partie de l’été. On avait donc le temps d’aller marcher en forêt, d’aller pêcher, d’aller se baigner ou de ramasser des coquillages ou des petites fraises des champs. Souvent les papas retournaient travailler à Québec ou à Montréal et laissaient leur femme et leurs enfants en pension. Ils revenaient les voir de temps en temps par bateau. Mme Yvonnette Cimon-Desgagnés de Saint-Joseph-de-la-Rive m’a raconté comment les choses se passaient. Son grand-père paternel avait construit un premier hôtel, au pied de la falaise où il recevait des Américains. C’est sa grand-mère qui cuisinait. Mais lorsque son père s’est marié, sa mère, la cuisinière de l’hôtel, est décédée, de sorte que c’est sa jeune femme qui a dû prendre la relève et s’occuper de l’hôtel de ses beaux-parents. Les 14 enfants qu’elle a eu à travers sa tâche de maîtresse de l’hôtel, lui ont évidemment donné un bon coup de main. En 1925, il y eut un tremblement de terre qui mit l’Hôtel Cimon en danger; c’est alors que M. Cimon fils fit construire un autre hôtel, éloigné de la pente, plus proche de la mer. Cet hôtel existe toujours sous le nom de l’Hôtel Beauséjour. Mme Cimon-Desgagné avait à peine 7-8 ans lorsque son père ouvrit cet hôtel, un certain 24 juin. Elle a donc appris le métier d’hôtelière avec sa mère. Son père, quant à lui, s’occupait de la ferme et du verger. Il fallait bien alimenter l’hôtel. Pour ce, il élevait du porc, du bœuf, du veau et de la volaille. Il faisait son lard salé, fumait son jambon. Il avait planté des pommiers de pommes vertes, de McIntosh, d’Antique, de Lobos, de Cortland, de Fameuse, etc. Les prunes de Damas et des prunes jaunes faisaient aussi partie des provisions. Les excédents étaient vendus par train à Québec après avoir été classés et préparés par les filles de la maison. Le voisin avait même des poires dans son verger. Tout cela était donc mis sur la table pour les pensionnaires. On achetait aussi, à peu de frais, du poisson ramassé dans les fascines du village : l’éperlan, le capelan, la loche (morue ogac) et la plie étaient le plus souvent mis sur la table. «La morue salée venait d’ailleurs. On mangeait aussi de l’anguille qui était difficile à écorcher. On mangeait beaucoup de viande en conserve et du pâté de foie mis en boîte.» (…) «Il n’y avait pas de fromage aux Éboulements ni à St-Joseph. On l’achetait en meule et on le conservait en chambre froide avec des blocs de glace pendant l’été.»

Certaines familles de touristes louaient des maisons et préparaient eux-mêmes leurs repas. Le boulanger, le boucher, des fermiers des alentours passaient chez eux pour leur vendre la nourriture pour la semaine. De plus, les petits garçons allaient offrir de la truite mouchetée ou des noisettes alors que les petites filles allaient offrir des petites fraises des champs, des framboises ou des bleuets dans des casseaux faits en écorce de bouleau. Et les papas revenaient parfois l’automne avec des amis pour chasser le gros gibier dans l’arrière pays. L’orignal et le caribou des bois y abondaient au tournant du siècle. Thomas Fortin qui fut le gardien des Grands jardins pendant plus de cinquante ans raconte qu’il y avait près de 2 000 caribous dans Charlevoix, en 1895. Les registres du Château Beaumont qui accueillait les chasseurs des grands centres urbains parlent éloquemment des nombreux caribous rencontrés dans les Grands-Jardins. 

Ses garde-manger

Le garde-manger sauvage

Parlons donc du premier garde-manger de la région : celui de la forêt. Vous avez pu constater qu’après la Conquête anglaise, celui-ci attira de nombreux chasseurs et pêcheurs dans la région. Mais la population locale connaissait déjà la richesse de ce patrimoine forestier; on peut dire, sans vexer ses descendants, qu’elle en a même abusé, par moments, quand elle braconnait et faisait sauter des frayères de truite à la dynamite ou qu’elle pêchait avec un flambeau, comme je l’ai mentionné plus haut. Heureusement, la prolifique truite mouchetée (omble de fontaine) et la truite rouge (omble chevalier dulcicole) n’ont jamais manqué à l’appel pour ne pas dire à la ligne à pêche. Ni le  gibier comme l’orignal, l’ours noir, le castor, l’oie blanche, l’outarde, le canard noir, le caribou, le cerf de Virginie, le lièvre, la gélinotte huppée, le tétras du Canada, la bécassine et la bécasse. Ce gibier est souvent allé dans la tourtière ou le ragoût, et même dans une espèce de mélange des deux appelé la tourtière tout ensemble à Sagard et Saint-Siméon. Quant aux nombreux petits fruits de la région, on en faisait des confitures, des gelées, des tartes, des poudings ou des grands-pères à la manière des Écossais. C’était le cas du sureau, des baies d’amélanchier (petites poires), des gadelles, des bleuets, des raisins sauvages, des graines (airelles vigne d’Ida), des plaquebières (chicoutés), des cerises à grappes, des merises, des fraises des champs, des framboises, des bleuets, du pimbina, des cenelles (baies de l’aubépine), de la vigne sauvage aperçue par Cartier et Pehr Kalm et des baies d’églantier (rosiers sauvages). Certaines plantes sauvages servaient plutôt d’assaisonnement complémentaire dans certaines familles : je pense aux baies de genévrier et au myrique baumier au goût bien caractéristique qui remplaçait le laurier dans les bouillons de gibier. D’autres petits fruits plus rares étaient considérés comme de véritables bonbons par les bûcherons ou les pêcheurs, comme le chiogène au goût de menthe ou le thé des bois. Et enfin, il ne faut pas oublier le sirop d’érable produit encore de nos jours dans quelques érablières de Petite-Rivière-Saint-François.

Le garde-manger de la ferme

On pratique l’agriculture depuis le XVII e siècle dans Charlevoix. C’est Pehr Kalm qui nous en donne un premier témoignage en 1749. Il observe, dans les jardins, des choux, des oignons rouges, des betteraves, des carottes, de la laitue, des panais, des topinambours, des navets, des radis, des concombres, des melons et des courges; mais pas de pommes de terre à cette époque. L’inventaire que le notaire Michel Lavoye fit le 4 avril 1737, à la suite du décès de Pierre Tremblay, à Petite-Rivière-Saint-François, nous renseigne sur les viandes consommées à l’époque :

«Dans un bas-côté s'est trouvé

un tierson de lard de 300 livres    60 livres

un baril de 30 livres de graisse       9 livres

neuf terrines                                    2 livres 5 sols» (…)

«Dans la grange s'est trouvé

deux cent vingt-trois minots de blé froment, vingt minots d'avoine, (…)

sept cochons                                  48 livres

deux poules dindes et leur coq         3 livres

deux oies                                           1 livre 10 sols

treize poules et un coq                       5 livres 4 sols »

Et l'inventaire ajoute que, dans l'étable, il y a, en plus, 2 bœufs de plus de 5 ans, 3 jeunes taureaux et 7 vaches. La quantité importante du blé qu'on trouve dans l'inventaire ne fait qu'illustrer combien le pain dominait la cuisine charlevoisienne. On adopta la pomme de terre dans la région, seulement au début du XIX e siècle, lorsqu'on a commencé à cultiver les terres plus pauvres des hauts plateaux de Charlevoix; auparavant, on donnait les pommes de terre aux cochons. Les pois, le porc, le pain, le chou dominaient la cuisine d'hiver. Les légumes avec ses bouillis et ses salades, le poisson et les petits fruits sauvages dominaient celle de l'été. L'anguille, le gibier, la citrouille, la pomme dominaient celle de l'automne. Et le printemps, on se contentait de viandes et de poissons salés avec des légumes mis dans le vinaigre, et de sucre d'érable qu'on mangeait avec de la crème sur du beau pain de ménage! Voilà à quoi ressemblait la cuisine de Charlevoix au moment de la Conquête.

Parmi les viandes préférées, c’est le porc qui prenait la première place, avec son lard salé, ses jambons fumés, son bacon et ses gourganes (bajoues de porc fumées). Voyons un joli extrait de Menaud Maître draveur de Félix-Antoine Savard qui en témoigne : «Vers les cinq heures, il se leva tout d'une pièce, en un tour de mouvette, prépara la pâtée de ses cochons, fit son ménage, et, de retour, à la mesure de son appétit, tailla dans le plein gras d'une bajoue. C'est le régal du printemps, le lard odorant et brun qui se fume dans la boucane des cheminées et ressemble, sur les toits, à une corneille suspendue par les pattes.»

N’oublions pas de citer les autres charcuteries faites tout de suite après la boucherie, comme les cretons, les saucisses, les boulettes pour le ragoût, la tête fromagée, le boudin, la picoune avec le foie, la langue dans le vinaigre, etc. Dans la région de la Malbaie, on élevait beaucoup de moutons, comme en Écosse. Et l’on ne se gênait pas pour en manger en soupe avec des pommes de terre, en ragoût ou en rôti. Sans oublier les côtelettes qu’on cuisait au four et le fameux sang qu’on préparait en sauce béchamel. Enfin, Charlevoix a toujours élevé des canards, des oies et de la dinde en plus des poules pour les œufs et la viande. On vendait les plus beaux spécimens aux estivants et l’on gardait les moins beaux pour consommer chez soi. 

On peut dire que l’agriculture a commencé à devenir commerciale après qu’on eût expérimenté la vente des produits fermiers aux estivants. La première fromagerie aurait été ouverte à Saint-Fidèle-de-Mont-Murray, en 1850. Mais l’industrie laitière, à proprement parler, aurait débuté après 1880. En 1890, Charlevoix comptait 11 fromageries, et 7 ans plus tard, elle en avait 23.  Baie-Saint-Paul en avait 7 à elle seule en plus de sa beurrerie. Même les villages de l’intérieur avaient les leurs comme Saint-Urbain (1890), Saint-Placide (1890) et Saint-Hilarion (1894). Entre 1921 et 1927, la demande importante en lait de consommation et en beurre dans la région fit en sorte qu’on manqua de lait pour alimenter les fromageries. Celles-ci commencèrent à fermer. Mais une entreprise de Saint-Urbain voulait développer un nouveau produit malgré la pénurie croissante du lait : le fromage de gruyère. La  production de ce type de fromage dura malgré tout 7 ans. La production laitière existe toujours dans Charlevoix pour alimenter les fromageries locales qui ont ajouté au cheddar en grains et vieilli, des fromages fins comme le migneron, le bleu ciel et le bleubry. Et l’on continue d’élever du bœuf de boucherie, du veau qu’on connaît maintenant, partout au Québec, sous l’appellation de «veau de Charlevoix». On continue d’élever du porc dans une quarantaine de fermes porcines, de l’agneau, dont un certain nombre d’agneaux de Pré-salé, dans plus d’une vingtaine de fermes ovines. Dès 1920, Damase Potvin rapportait que Charlevoix était réputé pour la qualité de ses poulets. Il n’y a pas si longtemps, les fermes avicoles de Charlevoix produisaient plus de 5.7 millions de poulets à griller. Dès la fin du XIX e siècle, Charlevoix était aussi réputé pour ses dindes. On les expédiait par bateau, en automne, aux New-Yorkais sous le nom de Murray Bay Turkey pour leur permettre de célébrer le Thanksgiving Day. Ces dindes étaient même en partie nourries au petit lait.

La région de Charlevoix a longtemps été réputée comme une terre à blé. En 1861, c’est la région qui en produisait le plus au Québec avec ses 84 949 minots. On cultivait, en plus, de l’avoine et de l’orge que les descendants des Écossais appréciaient particulièrement, et le sarrasin qui permettait de faire les crêpes et les galettes. On comptait 7 moulins à farine dans la région de La Malbaie seulement, en 1852. Deux moulins à farine témoignent encore aujourd’hui de cette époque où chaque cultivateur allait faire moudre son grain. Ne manquez pas d’aller vous chercher de la farine fraîchement moulue à l’île-aux-Coudres et aux Éboulements, si vous allez dans cette région. Une bonne galette de sarrasin avec de la gelée de prunes ou de pommes de la famille Pednault vaut vraiment le détour! Et tant qu’à y être, goûtez à la bière locale appelée La Cotteilleuse faite avec de l’orge du coin. Je vous répète que le pain a longtemps été l’aliment principal du repas jusqu’à ce qu’une maladie du blé oblige les gens à se tourner vers la pomme de terre, jusque-là boudée, pour la consommation humaine.

Lorsqu’on commença à s’intéresser aux pommes de terre, on le fit en grande. Les gens de l’Île-aux-Coudres réussissaient bien en engraissant leur terre avec du varech qu’ils ramassaient au bord de l’eau. Les gens de Petite-Rivière, de Saint-Joseph-de-la-Rive et de Cap-aux-Oies se servaient aussi du capelan lors des marées de capelan, le printemps. C’était un excellent engrais pour la pomme de terre. Et chaque famille s’en gardait une bonne quantité, car lorsque la viande arrivait à manquer à la fin de l’hiver, on ne mangeait souvent que des pommes de terre pour se dépanner. La sauce aux patates est une réminiscence de cette époque. Traditionnellement, on cultivait des carottes, des fèves à rames (haricots jaunes et verts), des oignons, du navet, des gourganes, du chou, des betteraves, des concombres qu’on aimait beaucoup, tranchés dans de la crème pendant l’été, et marinés dans du vinaigre pendant l’hiver. L’excédent des gourganes était mis à sécher pour l’hiver dans le grenier. Certains s’en faisaient sécher au four pour les moudre comme du café; on s’en faisait une boisson chaude. Il arrivait aussi qu’on fasse sécher les excédents des fèves (haricots) pour en faire de la soupe, de la purée ou de la fricassée pendant l’hiver. Mais celles-ci eurent plus de succès lorsqu’on s’est mis à les préparer comme dans les chantiers, avec de la mélasse. En 1819, on commença à cultiver les fèves dans les champs, comme les pois. 

 Avant de vous parler des jardins contemporains, je voudrais vous donner en rafale, quelques témoignages de dames de Charlevoix qui donnent un exemple de ce que leur famille plantait au temps de leur jeunesse jusqu’à tout récemment de même que du genre de cuisine qu’on y faisait: «Les légumes qu’on avait dans le jardin: chou, carotte, navet (chou-siam), petits navets blancs, poireau, haricots jaunes ou verts, tomates. -Une année, j’ai mis 85 pintes de fèves jaunes et vertes en conserve pour ma famille. Je mettais aussi des carottes en conserve de même que des tomates, de la soupe aux gourganes, de la truite.» (Mme Jeanne-D’Arc Tremblay des Éboulements) «Chez nous, on avait 125 pommiers, des pommettes. Ma mère faisait des beignes à l’année, un peu comme des galettes. Ma mère faisait sécher des bleuets sur des serviettes à vaisselle dans les chambres. -On vendait nos pommes et nos prunes dans les rangs à l’intérieur des terres. -Dans le jardin, on avait des pommes vertes qui n’étaient prêtes qu’en février et mars. On avait la McIntosh, la Fameuse, la Lobo, la Blanche, la Sucrée, des pommes À coeur d’eau, etc. On avait aussi des prunes bleues et des jaunes. les jaunes étaient plus grosses que les bleues. Il fallait les ramasser pas trop mûres pour les conserver longtemps en caveau. On ramassait les prunes bleues encore rouges et les jaunes quand elles passaient du vert au jaune, avant le gel. On laissait toujours les noyaux aux prunes bleues pour faire les confitures mais on devait enlever le noyau des jaunes. Les pruniers étaient plus au bord de la mer. On faisait aussi un jardin en bas parce que ça gelait moins vite qu’en haut. On avait nos pommiers plus haut que nos pruniers. -Dans le jardin, on avait du céleri, des carottes, de l’oignon, des échalotes, du navet, du chou d’été, du chou d’hiver, du rutabaga, du navet blanc pour la soupe aux gourganes, des tomates, du concombre, du blé d’Inde, des haricots, des betteraves. (Mme Émilienne Deschênes des Éboulements) «Jardins: on avait des gourganes, des grands champs de haricots secs pour les beans qu’on livrait 2 fois par semaine chez la soeur de ma mère qui avait un magasin général à St-Urbain. -On avait un grand caveau à légumes avec planches et glacière. -On plantait de la bette à carde, des betteraves, du chou d’été et du chou d’hiver, du chou-fleur, du céleri, du blé d’Inde, des champs de blé d’Inde, du concombre  (des grands longs qui ressemblent au concombre anglais), du poireau (on faisait un beau potage avec cela), de la laitue en feuilles et de la pommée, les dernières années, du brocoli, les dernières années, des oignons rouges, jaunes, blancs, des échalotes pour la salade, beaucoup de rangs de pois verts, du navet, des fèves. -On ne cultivait pas de pois à soupe, on les achetait car on n’avait pas la terre pour cela. -On avait de la citrouille grosse et petite, des radis. -Les tomates étaient parties en couches chaudes dans une chambre qui ne servait pas, comme le tabac qui était aussi parti en couche chaude dans un autre appartement, -On avait de la ciboulette pour la salade, de la sarriette pour les bouillis, du persil. -On ramassait de l’anis sur le bord des clôtures qu’on vendait à la poche pour faire des remèdes (on vendait cela par poches de 125 lbs). -Mes enfants ramassent des champignons mais nous, on n’en n’avait pas dans notre temps. -On avait des groseilles vertes, des gadelles rouges et blanches. -On ramassait aussi beaucoup de mûres dans un rang de St-Urbain. -On faisait de la confiture et de la gelée avec des pommes McIntosh, des pommes Blanches, des pommettes. On faisait de la confiture avec les prunes et on les mangeait avec du gâteau. -On ramassait des cerises à grappe pour faire du vin et de la gelée. -Les petites poires étaient ramassées et mangées nature. Le pimbina était ramassé lorsqu’il avait gelé.»(Mme Angèle Bouchard de Saint-Urbain)

Aujourd’hui, Charlevoix fait des légumes de culture biologique, des mini-légumes pour la restauration de fine cuisine, des pétales de fleurs comestibles, des gourganes pour la transformation, des concombres et des tomates de serre, et des pommes de terre bleues. Et des jardiniers, passionnés de beaux et bons légumes, font honneur à Charlevoix par leurs produits. Je pense ici aux célèbres sœurs Gilbert de Pointe-au-Pic qui attiraient les estivants passionnés de cuisine et de beauté, au siècle dernier, de même qu’à M. Jean Leblond de la Métairie du Plateau, aux Éboulements, qui a travaillé avec les plus grands chefs du Québec.

Quant aux fruits, ils ne sont pas en reste. Saviez-vous que dès 1720, il y avait des pommiers dans Charlevoix? Et qu’en 1920, il y en avait 20 000 sur l’Île-aux-Coudres? Avec le temps, les prunes, les poires, les cerises se sont ajoutées à Petite-Rivière-Saint-François, à Saint-Joseph-de-la-Rive et à l’Île-aux-Coudres. On a même commencé, depuis quelques années, à ajouter de la valeur à ces cultures en créant des confitures, des gelées, des sirops, et même du cidre, du cidre de glace et de la mistelle. Les Pedneault ont même fait une boisson intermédiaire entre la mistelle et le cidre de glace qui s’appelle tout simplement le Pedneault

Le garde-manger de la mer

En plus du béluga, on chassait aussi le phoque à Baie-Sainte-Catherine  et à l’Île-aux-Coudres. J’ai recueilli deux témoignages de gens de ces endroits qui m’ont dit qu’ils en mangeaient régulièrement autrefois. Le Dr Matte de l’Île-aux-Coudres raconte que lorsqu’il est arrivé à l’île, la femme du maire lui avait servi un steak de loup-marin. Et un M. Ouellet de Baie-Sainte-Catherine m’a raconté que sa mère en faisait cuire en même temps qu’un rôti de porc, autrefois. Pour passer aux coquillages, on ramassait tous ceux qu’on trouvait autrefois. M. Albert Carré de Port-au-Persil disait qu’on ramassait de grandes quantités de moules autrefois avec des cages. La cueillette durait à peine un mois et demi principalement au mois de juin. M. Jacques Tremblay de La Malbaie étendait ses filets (pêche à fascine) à Cap-à-l’Aigle. Il y ramassait de l’éperlan, du hareng, de la sardine et du saumon. En juillet 1976, il avait ramassé 8 saumons de 10 livres, et quelques jours plus tard, un bon 100 livres de harengs. Sa cueillette d’anguilles du mois de mai au mois d’octobre tournait autour de 1 800 livres d’anguilles par année. La plupart étaient consommées localement, car on sait que les gens de Charlevoix étaient de grands amateurs d’anguille, comme leurs ancêtres de la Côte-de-Beaupré. M. Gaudiause Mailloux de Baie-Saint-Paul pêchait le bar avec des comparses de Cap-au-Corbeau, pendant les 3 mois de l’été. En 1950, on prenait 150 bars rayés par pêche, dans des filets longs de 60 pieds et de 8 pieds de haut. Chaque bar pesait 20 livres et mesurait un mètre. C’est l’entrepôt frigorifique de Baie-Saint-Paul qui les achetait, les congelait et les vendait sur le marché de Montréal. M. Louis Dufour de la Baleine, à l’Île-aux-Coudres, pêchait la sardine au mois de juillet. Il fallait du temps très chaud et de l’eau calme pour que les sardines s’approchent du bord. On les pêchait à 300 pieds du bord, à l’aide de cages qu’on déposait directement sur un fond de roche, avec un leste de roches et de vieux fer pour que la cage ne bouge pas. Dans les années 40, M. Dufour raconte qu’il en prenait jusqu’à 100 chaudières par pêche. En 1976, il en ramassait seulement 7-8 chaudières. La sardine était l’un des poissons préférés des aînés de Charlevoix. On mettait les excédents dans le sel pour en avoir tout l’hiver. Quant à la pêche à l’anguille, on la pratiquait partout où il y avait des fascines,  puisqu’on ramassait tout ce qu’on pouvait y trouver, mais on en faisait une spécialité à Petite-Rivière-Saint-François et à Saint-Siméon. On la pêchait du 20 septembre au 20 octobre, dans des nasses installées pendant les deux semaines précédentes. Les anguilles étaient ensuite mises dans des poches de jute bien attachées qu’on plongeait dans de l’eau douce. On pouvait les conserver vivantes très longtemps. On les écorchait à mesure qu’on les mangeait. La façon la plus habituelle de les manger, était de les mettre enroulée sur elles-mêmes dans un chaudron noir, de les saler et poivrer et les recouvrir de rondelles d’oignons. À Petie-Rivière, on ajoutait un ou deux jets de vinaigre sur l’anguille et on l’envoyait au four. Elle cuisait dans le gras qu’elle rejetait. Les familles Côté, Bluteau, Bouchard et Lavoie de Petite-Rivière étaient réputées pour cette pêche. En 1960, on pouvait capturer 1 500 anguilles par marée de nuit, qu’on allait vendre à l’entrepôt frigorifique de Baie-Saint-Paul, le lendemain. Les fascines de Charlevoix avaient leurs poissons typiques. À Baie-Saint-Catherine, par exemple, on ramassait en plus du capelan, de l’éperlan et du hareng, de la plie, de la poule d’eau (lompe), des sardines et de la truite de mer. On installait même des pêches pour le saumon près du quai. À Cap-à-l’Aigle, on prenait du capelan, de l’éperlan, de la plie et de la loche. À Port-aux-Quilles, on prenait du lançon. Devant Petite-Rivière jusqu’à Baie-Saint-Paul, on pouvait prendre de l’esturgeon noir, de l’alose et même du petit poisson des chenaux. À la rivière du Gouffre, à Baie-Saint-Paul et à celle de Port-au-Saumon, le saumon est encore présent. À certains endroits comme Baie-Sainte-Catherine et Petite-Rivière, on se construisait sur la roche du rivage, des petites cabanes avec un bed, une tablette pour manger son lunch, un crochet pour le fanal, où l’on pouvait mieux surveiller la pêche de nuit. Je voudrais aussi vous rappeler qu’au XIX e siècle, beaucoup de jeunes hommes de Charlevoix sont allé faire la pêche à la morue sur la Côte-de-Gaspé et sur la Côte-Nord. 

Pour terminer le garde-manger maritime, je voudrais vous signaler que la grève de Charlevoix présente plusieurs variétés d’algues que les connaisseurs peuvent ramasser, comme la main de mer palmée, les grandes flammes (laminaires), le varech à cloches (fucus vésiculeux), etc. Les aînées connaissent toutes aussi les herbes qu’on mettait dans la soupe à l’herbe ou la soupe varte : passe-pierre (plantain maritime), persil sauvage (livèche écossaise), chou-gras de mer (arroche astée), et les petits fruits qu’on ramassait sur les rochers, pas loin de l’eau comme les camarines et les graines (airelles vigne d’Ida) avec lesquelles on faisait de la confiture ou des tartes. 

Ses recettes

La cuisine de Charlevoix est tributaire de la France et de l’Écosse. Mais elle s’est ouverte très tôt, dans son histoire, à la cuisine américaine. Les quelques traits germaniques de ses recettes avec le goût pour les choses vinaigrées sont difficiles à attribuer. Je ne peux dire si c’est dû à l’arrivée des Allemands dans la région en 1775 et 1812 ou s’il a été amené de France par les ancêtres. Je crois qu’il faudrait plutôt parler d’un accent déjà présent, qui a été renforcé par la présence allemande par la suite. Mais passons au répertoire, l’un des plus riches du Québec. 

Les spécialités du déjeuner

Catalognes( crêpes aux lardons)  

Confiture aux bleuets séchés, mis dans un sirop 

Confiture de cerises de France de Saint-Joseph-de-la-Rive  

Confiture de groseilles 

Confiture de mûres sauvages 

Confiture de pommes 

Confiture de prunes des Éboulements ou de l’Île-aux-Coudres 

Crêpes au gruau avec sirop d’érable 

Crêpes aux lardons au four 

Crêpes aux miettes de pain 

Crêpes aux pommes incorporées à la pâte 

Galette à la branche (genre de beignet) servi avec sucre en poudre 

Gelée de cerises à grappes 

Gelée de groseilles vertes 

Gelée de petites poires 

Gelée de pimbina 

Gelée de pommettes 

Omelette et gourgane(bajoue de porc fumée) coupée en tranches et frites dans le beurre

Les entrées, collations et petits repas

Bâtons de cheddar doux mariné au vinaigre blanc 

Canapés de sardine sur fromage à la crème 

Champignons sauvages marinés gratinés au fromage

Chapeaux de champignon farcis au veau fumé de Charlevoix, poires et fromage suisse

Croustillant de truite fumée au fromage migneron 

Éperlans panés, arrosés de beurre, cuits au four 

Éperlans salés, marinés aux oignons avec huile et vinaigre 

Fessede fromage cheddar salé et poivré 

Filets d’éperlans à l’ail

Fromage migneron enrobé de pâte filo et cuit au four, sur une salade verte 

Hareng érinché(dépouillé de ses arêtes) sur canapés 

Hareng mariné 

Mousse de truite tartinée sur des biscuits 

Pailles au fromage cheddar orange 

Pain à l’oignon, fromage et bière 

Pâtés crochesau porc et boeuf hachés (chaussons en demi-lune de l’Île-aux-Coudres)

Petits feuilletés au saumon et au fromage 

Salade de chou, oignon, céleri et persil aux cailles (yogourt) 

Salade de fromage fesse mariné aux tomates et oignons en rondelles 

Salade de gourganes à la sarriette et ciboulette sur laitue

Sandwiches mystères au saumon, céleri, pommes et amandes au fromage ricotta 

Soufflé au fromage à l’ancienne avec mie de pain, lait bouillant, cheddar et oeufs 

Terrine de porc et lièvre aux noisettes et au cognac 

Truite fumée sur biscotte 

Les potages

Crème de gourganes, pommes de terre et céleri, parfumée à la sarriette 

Soupe aux capelans, carottes et lait 

Soupe aux cosses de gourganes, orge et carottes 

Soupe aux fèves rouges et au lait (héritage huron du XVII e siècle)

Soupe aux gourganes, chou, haricots jaunes et carottes 

Soupe aux gourganes à la graisse d’oie rôtie 

Soupe aux gourganes et au navet blanc 

Soupe aux gourganes et feuilles de siam 

Soupe aux gourganes, carottes et haricots verts ou jaunes avec boeuf et lard salé 

Soupe aux herbes: avec des épinards, du chou-gras, des feuilles de siam, queues d’oignon, des nouilles ou des alphabets ou du riz 

Soupe aux peteuses(haricots rouges) et lard salé (héritage huron du XVII e siècle)

Soupe de lard salé aux gourganes, feuilles de betteraves, carottes, fèves jaunes et gruau 

Soupe de malade ou soupe blanche avec parfois du pain déchiqueté plutôt que du riz ou des nouilles cuites dans un bouillon de poule 

Soupe de mouton aux patates

Les plats principaux

De la forêt

Les poissons

Bigoune ou bouillote à la petite truite (fricassée de pommes de terre au beurre avec tomates et petites truites pochées sur le dessus) de Saint-Siméon

Blanquette de petites truites aux jaunes d’œufs et jus de citron 

Boulettes de purée de pommes de terre à la truite, panées aux biscuits soda et frits dans l’huile 

Brochet aux oignons rôti au four 

Gibeloteà la truite, grillades de lard salé et lamelles de pommes de terre 

Pâté à la truite en sauce faite avec le bouillon de cuisson et de la crème 

Sauce blanche à la petite truite et ciboulette 

Truite au four en papillote avec herbes et feuilles de céleri, servie avec légumes 

Truite farcie au riz ou au pain au four 

Truite mouchetée poêlée servie sur patatesrôties 

Truite rôtie aux petits lardons 

Truites  aux herbes salées arrosées de vin blanc et de jus de citron, au four 

Les oiseaux

Oie blanche du Cap Tourmente farcie au pain, pommes de terre, curry et céleri 

Oie blanche marinée aux épices et herbes, farcie aux pommes, raisins et pain grillé 

Perdrix au chou parfumées au clou de girofle 

Perdrix au lard salé, feuilles de céleri et chou, cuites au four, servies sur pain hamburger rôti 

Perdrix au vin rouge 

Le gibier

Civet de lièvre 

Cuisses de lièvre rôties au four avec lard salé et morceau de porc 

Fèves au lard au lièvre  

Fondue chinoise à l’orignal  

Lièvre mariné sauté au lard salé et cuit avec du chou 

Ragoût de lièvre et lard salé aux pommes de terre, couvert de biscuits à la poudre à pâte 

Steak d’orignal avec une purée de chou-siam (rutabaga)

Tortue d’eau douce de Cap-aux-Oies (recette interdite aujourd’hui) 

Tourtière au lard salé haché et lièvre 

Tourtière de gibier (lièvre, perdrix, porc et bœuf) servie avec légumes et salade à la crème

Tourtière de porc, lard salé et orignal 

Tourtière tout ensemblede Sagard et Saint-Siméon (mélange de tourtière et ragoût, au porc et à la viande sauvage) 

De la mer

Anguille au four aux herbes 

Anguille avec sauce au pain faite avec le gras de cuisson 

Anguille bouillie 2-3 fois, puis rôtie doucement dans du lard salé ou du beurre et huile 

Anguille rôtie au four, servie avec une sauce au pain et aux tomates 

Beignets de morue frits dans la graisse de marsoin(béluga) de l’ïle-aux-Coudres 

Casserole de filets de morue aux légumes, croûtons et crème de tomates, gratinée au cheddar

Casserole de nouilles, champignons et pétoncles gratinée aux biscuits soda 

Casserole étagée de morue, pommes de terre et tomates au four 

Chiardde goélette aux éperlans (fricassée de pommes de terre avec éperlans pochés sur le dessus) 

Croquettes de morue salée à la chapelure, frites dans l’huile 

Éperlans à l’ail cuits au grill ou barbecue 

Éperlans au bacon à la manière de Charlevoix 

Éperlans farinés rôtis 

Filets de morue aux bleuets 

Filets de morue aux gros oignons au four 

Filets de plie aux amandes et jus de citron 

Filets de plie avec une béchamel au fromage cheddar 

Flétan au four à la sauce au fromage et moutarde 

Harengs rôtis au beurre 

Loche (morue ogac ou petite morue) en sauce blanche au fromage 

Loche (ogac) rôtie dans le beurre 

Pâté au saumon de l’ancien temps en sauce blanche, recouvert de purée de pommes de terre à la ciboulette 

Pâté aux éperlans à la crème épaisse et oignons 

Pâté d’éperlans au lait avec pommes de terre en dés et épices à poisson 

Pâté d’éperlans en sauce blanche à l’oignon 

Roulades de saumon en pâte, arrosées de sauce tomate ou sauce aux œufs 

Roulés de crêpes aux crevettes de la Côte-Nord, gratinés au cheddar 

Sardines salées cuites sur une sauce aux patateset grillades 

Sardines salées mangées crues avec pommes de terre ou sauce aux patates

Sauce béchamel au saumon au cerfeuil du jardin 

Saumon poché au lait et persil 

Saumon poché aux oignons et citron avec sauce aux oeufs en dés 

Soumis de poisson (filet de morue) de grand-mère Lauretta (genre de fricassée de poisson cuite 4 h) 

Steak de loup-marin de l’îÎe-aux-Coudres 

Steak de saumon sur barbecue avec sauce tartare 

Tronçons d”anguille aux oignons, arrosés de vinaigre et jus de citron, bouillis puis rôtis au four à la manière de Petite-Rivière-Saint-François

De la ferme et du jardin

Babiches(nouilles maison) aux lardons, tomates, pois verts et boulettes de bœuf

Boudin de veau aux pommes Rouge Délicieuses et  calvados

Casserole de lapin aux champignons de l’Île-aux-Coudres 

Côtelettes de veau de Charlevoix aux morilles en sauce crème 

Côtelettes de veau farcies au fromage migneron, avec une sauce-crème au vin blanc 

Galettes aux patatesau fromage Migneron, rôties dans la poêle

Gigot d’agneau aux herbes dont la menthe 

Gigot d’agneau glacé à la gelée d’atocas et au zeste d’orange 

Gigot de veau avec sauce aux champignons sauvages 

Lapin au bacon, moutarde et sirop d’érable, rôti au four 

Pâté à steak(tourtière de Charlevoix faite avec des boulettes de steak haché poêlées mélangées à de la purée de pommes de terre à l’oignon frit)

Petite panse(estomac de porc farci de porc haché, oignon et pommes de terre en dés) de l’Île-aux-Coudres

Quioune ou bigoune ou chiard de goélette (fricassée de pommes de terre aux grillades de lard avec cassonade) 

Ragoût à l’andouille (nom local pour petite saucisse de porc parfumée aux épices mélangées), épaissi à la farine grillée 

Sauce à grillade avec saucisses (fricassée ou sauce de pommes de terre avec oignons frits, herbes salées, dans la graisse de lard salé avec saucisses rôties ou pochées dans la sauce) de Mme Émilienne

Tourtière de Charlevoix au porc et boeuf haché avec du poulet et son bouillon de cuisson, du bovril au poulet et un peu de sucre 

Les desserts

Beignets à la flique (grillades de lard salé)

Beignets au sirop de Petite-Rivière 

Biscuits à la mélasse fourrés à la gelée de pommes ou pommettes 

Biscuits au cheddar râpé 

Bleuets à la crème 

Bleuets en galettes de blé entier au beurre d’arachides

Cachettes aux pommes ou aux bleuets 

Cailles au sucre d’érable 

Carrés de biscuits Graham aux framboises

Chaussons aux pommes entières non pelées, remplies et entourées de cassonade 

Cipaille aux bleuets 

Cipâte aux pommes 

Compère à la rhubarbe (genre de chaussons à la rhubarbe cuite en lèchefrite dans un sirop de sucre blanc) 

Couleuvre au sirop (genre de rouleau de pâte cuite dans un sirop de cassonade) 

Cousins de l’Île-aux-Coudres (brioches en forme de bonhommes) 

Croustade aux bleuets 

Délices aux framboises à la guimauve 

Feuillantines aux confitures de prunes du verger

Galettes à l’anis (style brioche) 

Galettes aux framboises à la cannelle 

Galettes en branches (beignets de pâte fendus comme une main et frites à l’huile) 

Gâteau à l’anis 

Gâteau à la compote de pommes, raisins secs, zestes d’agrumes et épices 

Gâteau aux bleuets et aux framboises 

Gâteau roulé glacé à l’érable 

Grands-pères aux bleuets  

Macarons aux blancs d’oeuf, sucre d’érable et noix de coco 

Mousse aux framboises 

Pain aux cerises et aux noix 

Pain aux pommes, gingembre moulu et confit, et zeste de citron 

Pain de ménage à l’anis avec miel de pissenlit 

Pâté aux fruits de saison mélangés 

Pâté de Noël (genre de demi-lune aux pommes) 

Pommes au miel et amandes avec crème douce 

Pouding aux atocas à la vapeur avec un sirop de cassonade 

Tarte à la confiture de fraises, framboises, pommes ou groseilles 

Tarte à la pitchoune(mélasse et raisins secs) 

Tarte à la rhubarbe et fraises épaissie au gruau ou tapioca

Tarte au fromage et aux petites fraises 

Tarte au sirop d’érable 

Tarte aux bleuets séchés (réhydratés, sucrés et épaissis à la fécule ou tapioca) 

Tarte aux pets-de-soeur (roulés de pâte garnis de cassonade et beurre, cuits dans une abaisse de pâte à tarte) 

Tarte aux prunes bleues ou jaunes 

Tartine de crème au sucre du pays (sucre d’érable) 

Les boissons

Liqueur de vieux garçons (alcool de prunes) 

Vin de cassis 

Vin de cerises à grappes 

Vin de mascobina (sorbier) 

Vin de pissenlits

Vin de raisins bleus sauvages