La cuisine des Naskapis

Le territoire

Les Naskapis habitent le Nord-Est du Québec, à plusieurs centaines de kilomètres de la Côte-Nord. Vers l’ouest de cette très grande région, on rencontre les monts Otish qui s’élèvent jusqu’à 1 000 m au-dessus du niveau de la mer : c’est le point de séparation de la ligne des eaux entre L'Est et l'Ouest du Québec. Dans la région des alentours, les eaux se dirigent vers le nord comme la rivière Caniapiscau, vers l’est comme la rivière Churchills et vers le sud comme la rivière Manicouagan. Cette partie du Nord-du-Québec est, aujourd’hui, reliée à la Côte-Nord et au Labrador par la route 389, aussi appelée la Trans-Québec-Labrador. De plus, une ligne de chemin de fer construite pour sortir le fer des mines de Shefferville et de Wabush au Labrador, traverse la région, du nord au sud, vers Sept-Ïles où se trouve un port de mer international.

Les ancêtres des Naskapis.

Le Nord-du-Québec est habité depuis au moins 6 000 ans, du côté du Labrador et du grand lac Mistassini. Les archéologues ont trouvé plusieurs sites appartenant aux Archaïques du Bouclier datant de cette époque. Ces gens seraient entrés dans le territoire en suivant les grands troupeaux de caribou qui paissaient dans les plaines de lichens formées après la fonte du grand glacier québécois. Les populations se seraient métissées pour donner naissance, dans la toundra, la taïga et la pessière, à une population de petits groupes familiaux rattachés à des grandes rivières et à des grands lacs. Certains groupes auraient fini par s’installer sur la Côte de l’estuaire ou du golfe Saint-Laurent, d’autres auraient choisi de venir sur la côte seulement quelques semaines, au début de l’été. Lorsque les Français sont arrivés au XVII e siècle, ils commencèrent à commercer avec ces groupes pour obtenir leurs fourrures. Ce sont eux qui, les premiers, ont senti le besoin de les nommer. Ils ont francisé les mots qu’ils entendaient en innu-aimun (langue innue). Le jésuite André Richard parle des Ounackkapiouek en 1643. En 1733, on parle des Naskapis, en utilisant ce terme pour la première fois, pour décrire une communauté d’une quarantaine de familles établies sur les rives du lac Achouanipi. Joseph Isbister, un commis de la Compagnie de la Baie d’Hudson, établi au poste d’Eastman à la Baie James, raconte, en 1740, qu’il a entendu parler d’un peuple qui habite le nord-est du golfe de Richmond et qui s’appelle les Annes-carps. En 1755, M.N. Bellin publiait une carte de la région à partir des rapports faits par les coureurs des bois francophones et amérindiens, qui décrit la ligne de partage des eaux, près des monts Wright et des lacs Wabush et Carol. Il appelle les mêmes groupes les Attik Iriniouetchs, soit les «gens du caribou». Au début du XVIII e siècle, les missionnaires jésuites les appelaient, dans leur correspondance, les Ouchestigouek et les Ounescapis en faisant une véritable distinction entre ces deux peuples de la taïga qui commerçaient alternativement avec les postes du Labrador, de la Côte-Nord ou de la baie d’Ungava. Ailleurs, ils parlent des Tigestigones et des Naskapis; ces derniers «vont le plus loin faire leur chasse, et les uns et les autres ne viennent à la mer qu’au printemps et en repartent à la fin juin.» On voit, dans ces derniers extraits, qu’ils utilisent bien deux mots pour nommer les chasseurs de cette région. Mais, à partir de 1750, ces termes tombent en désuétude : on ne parle plus, désormais, que des Naskapis pour les Innus de l’intérieur des terres et des Montagnais pour les Innus de la Côte. Le fait que ces gens ne venaient pas souvent sur la Côte-Nord fit en sorte qu’ils ne furent pas christianisés par les pères jésuites comme sur la côte, mais par les missionnaires moraviens. De plus, leurs visites plus fréquentes des Postes de traite de la Baie d’Ungava ou de la Côte du Labrador où le personnel des postes était anglophone, finit par accentuer les différences culturelles entre les Innus de la Côte qui devinrent catholiques et de langue seconde française et ceux du haut des terres qui devinrent protestants et de langue seconde anglaise. Tout cela finit par séparer les deux groupes.

Les aliments

Mais les deux groupes chassaient le même gibier, surtout le caribou, l’ours noir, le castor et le porc-épic et pêchaient le même poisson comme le saumon, le corégone, le touladi, la ouananiche, le brochet et les différents ombles (truites) du pays. Les Naskapis, selon la Relation du Père Hiérosme Lallemant en 1663-1664, se nourrissent «En esté, du poisson qu’ils peschent dans les grands Lacs, où ils en ont en abondance; en hyver, du Caribou, qu’ils preferent aux Orignaux.» La Relation de 1664-1665 parle aussi d’outardes. En 1831, la Compagnie de la Baie d’Hudson ouvre le premier poste de traite fréquenté par les Naskapis, à Fort Chimo (Kuujjuaq). En 1842, ils déménagent à Fort Naskopie. Les rapports faits par le commis du poste de traite Fort Naskopie (Shefferville), Henry Connoly, de septembre 1845 à juin 1846 et d’août 1853 à juillet 1855, racontent que les familles naskapies de Thomas Tohayshun, Baptiste Setaka, James Scletter, James Leslie, Henry Hay, Baptiste Picard, Henry Hay, Megubestani, Atimusapay, se nourrissent surtout de caribous, de lagopèdes et exceptionnellement de lièvres. L’automne, elles font des provisions d’hiver en fumant du corégone et du meunier rouge ou noir (carpe rouge ou noire). À l’automne 1845, elles ont pêché 5 000 poissons pour leurs provisions et en ont mangé 1 300 autres, en le pêchant sous la glace des lacs par des trous creusés à la hache. En plus de ces aliments vedettes, on consomme aussi de l’omble fontaine (truite mouchetée), du tétras du Canada (perdrix des bois ou tétras des savanes), du porc-épic, de l’outarde et du canard, le printemps. Même les merles font partie du menu. Et ces familles achètent du lard salé et de la farine, au commis du poste, tout comme quelques légumes de son jardin à l’automne (navets et pommes de terre). Les Naskapis habitant plus au nord, vers Fort Chimo (Kuujjuaq), se nourrissent, en 1843, de corégone, d’omble fontaine, de meunier noir et de brochet tout comme ils consomment du caribou, de l’orignal, du canard noir et de l’oie blanche, lors des migrations printanières. Un rapport commandé par le Conseil de bande naskapi de Shefferville en 1976, précise que les Naskapis préfèrent toujours le caribou, les lagopèdes et le corégone. Mais qu’ils achètent beaucoup plus de denrées euro-canadiennes comme la farine, le thé, le sel, la poudre à pâte, la graisse pour faire la bannique, de même que de la viande, des pommes de terre, du gruau d’avoine, des conserves de légumes, de viande, de fruits, et de façon plus anecdotique du lait, du beurre, des légumes, du riz, des liqueurs douces et de la confiture. En 1978, ils signent avec le gouvernement du Québec, la convention du Nord-Est québécois.  En 1983, ils ont enfin leur village à eux : Kawawachikamach. («lac venteux» ou «rivière sinueuse se transformant en grand lac»). Aujourd’hui, les Naskapis vivent aussi à Lac-Vacher, au nord de Shefferville. La part sauvage du menu demeure anecdotique pour la plupart des familles. Seules quelques familles de chasseurs pratiquent encore régulièrement la cuisine de gibier des Naskapis. Plus nombreux sont ceux qui pêchent la ouananiche et le brochet dans le lac, devant leur village. Notre liste de recettes en inclut.

Recettes naskapi :

Les spécialités du déjeuner

Bannique à la braise (Pan-nik-keek ga-chee-staw-wa-gan-kniut)

Bannique aux raisins secs ou à l’essence de fraise (Pa-wa-sha-gun)

Confiture de chicouté (sikutaapuy)

Les entrées, collations et petits repas

Boulettes d’os pulvérisés, de moelle et de viande séchée (attihkupimity)

Les potages

Bouillon de caribou (attihkwaapuy)

Soupe au sang (mühkwaapuy

Soupe naskapi au caribou (suupaapuy) (bouillon de viande coupée en petits morceaux, épaissi à la farine)

Les plats principaux de la forêt

Les poissons

Carpe noire (meunier noir) bouillie (iyouchaaw)

Chabot bouilli (nitwaamischinaakin)

Curry de poisson aux grands-pères (namash-keya-ta-pwa-pen-keya pa-ga-gun)

Poisson bouilli (corégone ou omble de fontaine) (Nimash-a-wosh-a-gan-no-it)

Poisson bouilli au curry (namash keya-ta-pwa-pen)

Poisson enveloppé de bannique (Mamash pa-wa-sha-gun-nik-at-wak-gun-no-it)

Poisson et bannique (nimash-pa-wa-sha-gun)

Poisson fariné frit à la poêle (namash-ash-shash-chee-kwa-tak-gun-no-it)

Poisson grillé sur la braise ou barbecue (ash-shik-pawn-noich)

Poisson rôti au four (Ouananiche, corégone, etc) (nimash-apee-tapish-kwa-kin-noich)

Truite mouchetée poêlée au beurre, servie avec une poignée de rhubarbe sauvage hachée (oxyrie de montagne)

Saumon de mer bouilli (uchaasuumaakw)

Les oiseaux

Canard rôti au four (shee-sheep-apee-tapish-kwa-kin-noich)

Canard rôti sur la braise ou au barbecue (shee-sheep-ash-shik-pawn-noich)

Lagopède (perdrix blanche) au riz (pee-yow-wap-wapeum-men-shich)

Outarde au riz (nisk-keya-wapeum-men-shich)

Outarde rôtie au four (nisk-apee-tapish-kwa-kin-noich)

Outarde rôtie avec gelée d’atocas sauvages

Outarde rôtie sur la braise (nisk-ash-shik-pawn-noich)

Ragoût d’outarde aux grands-pères (nisk-keya-pa-ga-gun)

Le gibier

Bouillon de vertèbres de caribou au gruau ou riz amérindien (wetik-kow-gun)

Caribou aux grands-pères (atik-we-ash-pa-ga-gun)

Chipaye-djano naskapi (rangées de caribou, lièvre, lagopède et lard salé en pâté)

Coeur de caribou en sauce à l’oignon et lard salé (Atik-wit-dye a-wosh-a-ga-no wich)

Côtes et moelle de caribou (atik-wis-pik-gow-ween)

Curry de gibier naskapi (nimaas-tipwaapim)

Pieds de caribou grillés sur la braise avec ketchup

Ragoût de caribou (atik-we-ash-wap-pich-chee)

Ragoût de coeur de caribou aux pommes de terre, céleri et poivron vert (atik-wit-dye wap-pich-chee)

Steak de caribou poêlé (aik-wee-ash-shash-chee-kwa-tak-gun-no-it)

Tête de caribou rôtie au four (atik-oostik-kwan apee-tapish-kwa-kin-noich)

Tête de caribou sur la braise (atik-wosh-tik-kwan-ashik-pawn-noich)

Tournedos de caribou, sauce aux graines rouges (vigne d’Ida)

Viande de gibier grillée à la corde (castor, porc-épic, rat musqué, etc.) sur la braise (sikipwaan)

Les desserts

Confiture de bleuets servie avec bannique chaude (Jam-pash-chew-sha-wan)