La barbue
Peu de Québécois connaissent la barbue de rivière sinon ceux qui connaissent un peu notre histoire culinaire. La barbue porte bien son nom : elle est munie d’une moustache comme les barbottes mais, au contraire d’elles, elle se tient plutôt dans les eaux limpides du fleuve et de ses affluents du centre et de l’ouest du Québec. Elle mesure de 36 à 53 cm de longueur, en moyenne, et peut peser jusqu’à 8 kg. La barbue était, selon les recherches archéologiques de Pointe du Buisson, le poisson préféré des ancêtres des Iroquoiens du Saint-Laurent, entre le VI et le IXe siècle de notre ère. Les Hurons l’appréciaient donc aussi lorsqu’ils venaient rencontrer leurs alliés algonquiens au Québec. Lorsque les Français se sont installés dans la Plaine du Saint-Laurent, au XVIIe siècle, la barbue était aussi l’un de leurs poissons préférés. Le père Le Jeune la cite en 1634 en racontant qu’un garçon autochtone leur en avait apporté vingt-cinq à trente barbues qu’il avait pêchées en une seule nuit. En 1662, les Jésuites incluent le texte d’un civil dans leurs Relations annuelles qui dit que la barbue inconnue en France « ne cede point pour le goust au plus exquis de nos poissons ». La Salle, en route pour l’Ohio, parle de la soupe que les Iroquois font avec de la semoule de maïs et de la barbue. Il dit que les autochtones ramassent même la graisse de ce poisson pour parfumer leurs potages quand ils n’ont pas de poisson. Terminons cet article avec la description qu’en fait Pierre Boucher, en 1664. « La barbue, commune en tout le pays qui abonde partout, est un poisson sans écailles (…) ; la chair en est blanche et délicate, peut-être un des plus gras de ce pays ; elle a d’ordinaire un pied et demi ou deux pieds de long ; elle se prend à l’hameçon ; elle est fort bonne salée. Ce qui confirme que le poisson était aussi conservé dans le sel pour l’hiver, comme le saumon, l’esturgeon et l’anguille. Il faut cependant s’assurer quand on arrange le poisson, d’enlever le conduit de l’intestin qui longe la colonne vertébrale sinon le poisson pourra avoir un gout de vase très désagréable. Les pêcheurs commerciaux du lac Saint-Pierre connaissent bien le problème et l’enlèvent aussitôt qu’ils ramènent leur pêche à la maison avant de le congeler en filets.