La cuisine du Centre-du-Québec

Ce nom est le nouveau nom que l’on donne à un ensemble de sous-régions situées entre les grandes régions de Montréal et de Québec, sur la rive sud du fleuve. Autrefois, on parlait de Région de l’amiante, des Bois-Francs, des Cantons de l’Est, des régions de Drummond, de Bécancour, d’Arthabaska ou de Nicolet. Chaque sous-région a effectivement sa personnalité et son paysage. Mais en gros, on parle essentiellement de la Plaine du Saint-Laurent située entre le fleuve et le lac Saint-Pierre du côté nord, jusqu’aux Appalaches, du côté sud.

SES GARDE-MANGER

LE FLEUVE ET LE LAC SAINT-PIERRE

Le lac Saint-Pierre a toujours été le garde-manger le plus spectaculaire de l’histoire de la région. De nombreux témoignages racontent ses richesses halieutiques dans le passé. Jusqu’à tout récemment, plusieurs pêcheurs de la région y pratiquaient la pêche commerciale de nombreuses espèces d’eau douce parmi les 80 poissons répertoriés dans le lac. Et les gens qui habitaient l’intérieur des terres pouvaient facilement s’approvisionner en poisson qui montaient frayer dans les lacs de l’intérieur par l’intermédiaire des rivières comme la Nicolet, la Yamaska, la Bécancour, la Saint-François, etc. Madame Ernestine Charland racontait qu’en 1808, un colon de Shipton avait pris 17 saumons, devant chez lui, en amont de Drummundville. On y mangeait, en plus de ce célèbre poisson national, de l’anguille, de l’esturgeon jaune, du doré, de l’achigan, du brochet, de la barbue sans oublier la barbotte très appréciée dans le secteur de la Yamaska.

LA FORET

En plus des oies blanches, des outardes et des nombreuses variétés de canard dans les moindres anses du lac et du fleuve, les gens pouvaient facilement chasser, dans la forêt de bois franc, de l’orignal, du chevreuil, de la perdrix, du lièvre, et du rat musqué. Autrefois, le wapiti y était abondant. Dans la région de Pierreville, il faut ajouter la chasse aux grenouilles comme me l’ont raconté, mes témoins. Les clairières étaient aussi riches en bleuets, framboises, mures, petites fraises, gueules noires (aronias), atocas, cerises à grappe avec lesquelles on faisait du vin, noix cendrées et noisettes. Certains ramassaient même du miel sauvage en plus de faire beaucoup de sucre et de sirop d’érable. La région demeure la championne québécoise de la production de produits de l’érable. 

LA FERME

La région immédiate au bord du lac Saint-Pierre et du fleuve bénéficie d’un climat doux, intéressant pour la culture des légumes et des fruits. Les gens de la région, dès la fin du XIXe siècle, faisaient de nombreuses conserves de légumes et de poisson; beaucoup de familles se faisaient entre 200 et 300 pots d’aliments en conserve. Certains plantaient même du café, comme le raconte madame Yvette Carrier-Boisvert. Les colons loyalistes se faisaient aussi d’abondantes provisions de haricots secs colorés, d’origine amérindienne de la Nouvelle-Angleterre. Les colons francophones adoraient le lait caillé et le fromage égoutté (genre de fromage cottage) qu’ils se faisaient en été. Aujourd’hui, la région du Centre du Québec est réputée pour ses fromages au lait de vache, de chèvre et de brebis. La culture des pommes de terre a aussi généré plusieurs types de produits comme les croustilles, les frites et la célèbre poutine née à Warwick ou Drummondville. Comme le raconte madame Rajotte, elle se faisait même autrefois, de la « farine de patates ». Cette farine lui permettait de faire du blanc-manger, des sauces et du pain de Savoie. Au début de l’hiver, chaque famille avait des barils remplis de pâtisseries pour l’hiver en plus des viandes conservées dans les grains d’avoine. Dans les pâtisseries régionales, il faut citer les nourolles, sortes de brioches à l’anis amenées en Nouvelle-France, de la Normandie et de la Picardie.

 

SES FONDATEURS

LES ABÉNAQUIS

Le Centre du Québec était considéré comme le territoire de chasse des tribus abénaquises de la Nouvelle-Angleterre. Elles habitaient en été, le long de leurs rivières respectives entre l’État de New York et celui du Maine. L’hiver, elles montaient chasser dans les Appalaches et descendaient jusqu’au fleuve Saint-Laurent pour chasser les oies et les phoques, le printemps. Lorsque les Français se sont installés dans la plaine du Saint-Laurent, plusieurs familles abénaquises décidèrent de s’installer au Québec, d’autant plus que leurs terres ancestrales étaient de plus en plus occupées par les immigrants anglais. Encore aujourd’hui, on les trouve à Odanak et dans la région de Bécancour.

LES FRANÇAIS

La première seigneurie de la région est celle de Bécancourt, concédée en 1637. Le premier habitant de la région vint s’installer à Gentilly, en 1679; il s’appelait Michel Pelletier de la Pérade. Mais la colonisation de la région fut lente avant la construction du chemin du Roy, sur la rive sud du fleuve, en 1745. Lors de l’arrivée de l’industrie forestière, vers 1830, les jeunes gens quittèrent le bord du fleuve et du lac Saint-Pierre pour aller fonder des villages à l’intérieur des terres : on fonda 54 villages dans la région entre 1821 et 1940. Tout le monde, à l’époque, avait une ferme de survie. Le père et ses garçons travaillaient comme bucheron ou comme scieur, dans les moulins à scie.

LES ACADIENS

Plusieurs familles de pêcheurs acadiens originaires de l’Ile-du-Prince-Édouard. vinrent s’installer dans la région, dès 1756. D’autres originaires de Beaubassin débarquèrent à Bécancour en 1758. Plusieurs autres groupes d’Acadiens vinrent fonder des villages dans la région, comme ceux guidés par Michel Bergeron qui vinrent fonder le village de Saint-Grégoire, près de Nicolet.

LES LOYALISTES

Les premiers colons américains sont venus s’installer à Kingsey Falls et à Tingwick, à la toute fin du XVIIIe siècle, après la Guerre de l’indépendance américaine. Puis ils furent suivis par plusieurs groupes jusqu’au milieu du XIXe siècle. Cependant, plusieurs ont quitté le Québec pour l’Ouest canadien et américain, après la 2e génération.

LES ANGLAIS

Après les Guerres napoléoniennes de 1812, plusieurs soldats britanniques démobilisés décidèrent de s’implanter au Canada. Ils fondèrent Wickam et Drummundville, en 1815.

LES IRLANDAIS

Les Irlandais fuyèrent leur pays qui n’arrivait plus à les nourrir ; ils s’installèrent à Aston, Lyster et Kingsey.

LES ÉCOSSAIS

Ces derniers fondèrent le village d’Inverness, en 1829. Ils étaient originaires de l’ile d’Arran, au nord-ouest de l’Écosse. Plusieurs quittèrent la région pour les États-Unis après la construction du chemin de fer dans la région. Ceux qui sont restés se sont spécialisés dans l’élevage du bœuf de boucherie.

CONCLUSION

La cuisine régionale est l’une des plus riches du Québec parce qu’elle bénéficie d’un climat intermédiaire entre celui de Montréal et de Québec et entre le fleuve et la montagne. Le mariage culturel des Français, des Acadiens, des Abénaquis héritiers des légumes américains, des Loyalistes, des Anglais, des Irlandais et des Écossais a produit une cuisine métissée riche et débrouillarde. Dommage que ce répertoire soit si méconnu même si madame Françoise-Gaudet-Smet en a fait largement la promotion dans les années 1940 à 1960. Il n’y a pas juste la poutine qui vient de la région; il y a plein d’autres plats comme la soupe aux pois au blé d’Inde lessivée, la bouillotte de poisson, la gibelotte de canard ou de rat-musqué, les salades au poisson fumé, le ragout d’outarde au gruau, etc. On pourra consulter mon 4e volume consacré à la plaine du Saint-Laurent pour avoir le détail de ces recettes originales.