Soumis par Michel Lambert le
Cette question m’oblige à réfléchir sur le thème de la nation et des nationalismes. Voici ce que m’a appris l’étude de la cuisine de chez-nous, à ce propos. Comme je l’expliquais la semaine dernière, notre cuisine est issue des cultures culinaires des peuples qui se sont installées, tour à tour, sur notre territoire, du contact avec notre environnement nordique avec ses garde-manger spécifiques et du métissage constant de ces cultures culinaires, entre elles. Ça, c’est la réalité !
Peut-on parler alors d’une nation culinaire ou d’une cuisine nationale ?
Le problème, c’est que nous ne nous entendons pas sur le mot nation. Certains pensent que la nation est un groupe d’humains issus de la même origine ethnique, qui partagent la même langue, la même religion dominante, la même culture artistique et la même cuisine. Cette façon de voir ne veut pas dire qu’ils s’opposent aux autres nations, qu’ils refusent d’apprendre leur langue ou leurs chansons, ou de cuisiner leurs recettes. Cela veut dire qu’ils veulent conserver la pureté de leur race et de leur culture par des règlements et des lois strictes. Cette façon de penser est très populaire dans plusieurs pays du monde et chez nous. On la qualifie de nationalisme étroit, de droite populiste, d’identitarisme.
Toutes des expressions qui dénotent une mauvaise compréhension du sens des mots et de l’humanité.
Le nationalisme ne veut pas dire qu’on prône une même origine ethnique, une même origine culturelle, une même cuisine. Cela veut simplement dire qu’on partage, comme notre histoire culinaire le démontre, un même territoire nordique et un amour réel pour chacun de ses résidents. Cet amour s’appelle intérêt pour sa culture et sa cuisine actuelle et ancienne, respect de ses préférences et de ses tabous. Cette attitude rapproche les gens, les marie, métisse leurs cultures qui deviennent différentes de celles de leurs parents.
Comme je l’imageais la semaine dernière, une nation peut-être un bouquet de fleurs plutôt qu’une fleur, un mélange d’épices plutôt qu’une seule épice. La nation est un arbre vivant aux multiples racines et aux multiples branches. C’est ce que me raconte l’histoire de notre cuisine. Les nations du monde ne sont plus liées à des races, des religions, des systèmes de valeurs mais à des territoires gérés par des lois protégeant la collectivité et les droits individuels. Les pays européens avec leurs milliers d'immigrants du Moyen-Orient et de l'Afrique aux noms bien différents ne sont plus les nations qu'elles étaient. On connait tous les méfaits du nazisme et l'ouverture actuelle de la majorité des Allemands. L'idée de leur nation a complètement changé.
Les langues nationales deviennent l'outil de communicarion des majorités. Je vois aussi une cuisine nationale s'installer dans nos lieux publics auxquels les nouveaux arrivants devraient s'adapter. Et ces majorités devraient être assez respectueuses de leurs communautés pour respecter les autres langues parlées et les autres cuisines dans leur territoire, dans leur intimité. Je pense ici aux langues et aux cuisines amérindiennes de notre territoire, en premier, puis aux langues et aux cuisines des nouveaux arrivants. Ce qui m'apparait essentiel, c'est l'apprentissage de notre langue commune et notre cuisine par ces nouveaux arrivants. Ils ont choisi notre territoire et la culture de la majorité; pas juste notre territoire.
Je souhaite pour nos enfants, une meilleure connaissance de notre héritage culturel et naturel, une plus grande ouverture aux cultures fondatrices de notre territoire et un souci de préserver ce bouquet unique de couleurs et d’odeurs pour leurs enfants. C'est ainsi que nous construirons notre nation commune, ancrée dans le territoire que nous partageons aujourd'hui, avec nos couleurs et nos langues diverses.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec.