Parlons politique et cuisine!

Depuis l’an 2000, je collecte des données sur les gens qui ont fondé nos régions maritimes, forestières et agricoles. J’ai étudié des centaines de livres de recettes que j’ai résumés dans des archives personnelles. J’ai parlé à des centaines d’ainées qui m’ont raconté la cuisine de leur mère ou de leur père,  qui m’ont raconté les coutumes alimentaires de leur village ou de leur quartier, dans les grandes villes du Québec. J’ai fini par me faire une idée assez précise de notre cuisine familiale, de nos cuisines régionales ou notre identité culinaire nationale. Et je me suis rendu compte aussi que nous étions en train de perdre ce patrimoine marqueur de notre identité.

On est en train de perdre nos savoirs fondamentaux comme savoir se nourrir, se vêtir et s’abriter. Nous ne savons plus semer, pêcher ou chasser. Nous ne savons plus cuisiner ni faire des réserves. Nous comptons sur les grandes chaines d’alimentation pour choisir nos aliments, sur les autres pays pour nous nourrir à meilleur marché, sans trop nous préoccuper des conséquences désastreuses pour notre futur, notre économie locale et notre environnement. Nous ne connaissons pas notre histoire culinaire pas plus que notre histoire sociale ou politique.

De plus, lorsque nous voulons faire la démarche de nous rapprocher de nos racines culinaires, plein d’obstacles se posent à nous pour le faire. Et le plus grand dont je veux vous parler aujourd’hui, est l’accès à nos ressources naturelles. Le gibier québécois, les petits fruits sauvages, nos poissons de lac ne sont pratiquement plus accessibles aux gens des villes à moins d’avoir assez d’argent pour se payer des voyages de pêche ou de chasse. Le ministère de la culture s’occupe de préserver nos vieilles maisons, nos vieux livres de poèmes ou de chanson, mais on oublie de préserver notre patrimoine culinaire, qui fait partie de quotidien de nos ancêtres. En allant dans les bibliothèques des villages, je ne trouvais jamais de livre de recettes du village. Mais il y a plein de livres sur la cuisine italienne, sur la cuisine des sushis ou la cuisine libanaise. En résumé, on n’a plus accès à nos garde-manger naturels et plus accès à notre vraie cuisine. Il m’a fallu, à chaque fois, interroger des ainés que les secrétaires des municipalités me référaient comme de bonnes cuisinières. Je leur téléphonais et j’allais les rencontrer chez elles. Elles me sortaient leurs vieux livres de recettes, souvent écrits à la main, souvent copiés d’autres livres de recettes de leur belle-mère, de leur mère ou d’une voisine. J’allais aussi rencontrer des groupes d’ainés dans les maisons construites pour eux, dans nos villages. Certaines personnes me racontaient des choses merveilleuses à mon oreille. Je revenais toujours émerveillé de la diversité de notre patrimoine, Ces rencontres m’ont mis en contact avec une cuisine autrement plus diversifiée que celle qu’on nous présente dans les livres de recettes; on le sait, les livres de recettes citent les plats les plus populaires, non ceux qui sont l’exception. Or, chaque famille a ses plats originaux qu’on ne voit nulle part ailleurs.

Mon travail actuel consiste à colliger ce patrimoine tout en l’adaptant à notre vie moderne. Mais j’éprouve de la difficulté à trouver nos produits traditionnels dans la région de Montréal. Les petits fruits sauvages de nos forêts, nos poissons de lac ou même du golfe Saint-Laurent, notre gibier historique ne sont pas accessibles à la très grande majorité de nos gens.

Certains missionnaires de l’alimentation comme Alex Cruz de l’ex-Société Orignal et Claude Lussier du Grenier Boréal tentent de rendre ces produits accessibles aux grandes villes mais ils doivent faire face à de multiples obstacles comme le transport et l’ouverture des grandes chaines d’alimentation aux petits producteurs locaux du Québec. De plus, ils auraient besoin d’aide de nos ministères économiques et culturels pour partir un mouvement d’accessibilité à nos produits. Il n’y a pas de direction politique pour la conservation de notre patrimoine culinaire culturel et peu pour l’accessibilité à notre patrimoine culinaire naturel. On va faciliter le transport des denrées de la Chine à Montréal mais pas celui de Blanc-Sablon ou de la Baie d’Hudson à Montréal. Le prétexte pour cette absence? Le manque d’intérêt des consommateurs, le manque de demande. Le manque de connaissances de ces denrées.

Le premier pas devrait être la sensibilisation de nos gens à ces questions. On parle de plus en plus de manger local, de manger québécois. Mais il faut pousser l’idée encore plus loin. Les gens de la Gaspésie, des Iles ou de l’Abitibi font aussi partie du Québec. Manger québécois, c’est aussi manger des camarines ou des coques de ces régions! Il faut, pour commencer, éduquer, puis, peu à peu, monter un système de transport  pour nos denrées locales. Mais qu’on est loin de la coupe aux lèvres!

Michel Lambert