Les haricots secs
Les petits haricots blancs avec lesquels nous faisons les fèves au lard sont appelés les Navy Beans, en anglais. On les servait quotidiennement, au déjeuner, sur les navires de la marine américaine, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, d’où leur nom de Navy beans. C’était le même type de haricot qu’on servait dans les camps de bucherons américains où nos ancêtres sont allés travailler, dans les années 1860. C’est pourquoi ils sont les haricots les plus populaires au Québec pour faire nos fèves au lard. Mais ce ne sont pas les seuls haricots de notre cuisine patrimoniale.
Les premiers haricots plantés au Québec par les Iroquoiens du Saint-Laurent, autour du XIVe siècle, étaient originaires du Pérou. Ils avaient pris plusieurs millénaires pour se rendre d’Amérique du Sud au nord de l’Amérique du Nord. Plus de 200 variétés de haricots de différentes grosseurs et couleurs étaient plantées par les autochtones des deux continents américains, pour différents climats et différents usages. Christophe Colomb les observait déjà dans les Antilles, en 1492. D’autres découvreurs espagnols les signalaient au Nicaragua et dans le sud de la Floride au début du XVIe siècle. En 1530, De Soto précisait même que les haricots étaient toujours plantés en culture mixte avec les courges, tuteurés aux plants de maïs. En 1535, Jacques Cartier signalait leur présence à Hochelaga et la même façon de les cultiver (village iroquoien sur l'ile de Montréal). Il écrit : «Pareillement, ils ont assez de gros melons et concombres, courges, pois et febves de toutes couleurs, mais non de la sorte des nostres». Lorsque les Français se sont installés au Québec, au XVIIe siècle, ils adoptèrent les haricots autochtones qu’ils trouvaient plus rentables que leurs petits haricots. Les rouges étaient les préférés de la grande région de Québec en contact avec la culture culinaire des Hurons alors que les Montréalais préféraient ceux de couleur pâle ou bigarrée; c’est que les autochtones de la région montréalaise cultivaient plus des haricots originaires du Vermont et de l’État de New-York où vivaient d’autres cultures autochtones comme les Abénaquis et les Iroquois.
Enfin, ce qu’il faut savoir, c’est que les haricots étaient connus des Français qui les appelaient plutôt, selon leur région d’origine, des féverolles, des faisolles ou des fayots. Au moment où les premiers colons sont arrivés, on cultivait, en France, des petits haricots originaires du Pérou, amenés en Europe par les Espagnols et les Portugais. Mais on connaissait un haricot originaire d’Éthiopie depuis le XIe siècle, probablement apporté par les croisés, en Europe. Ce haricot appartenait à la même famille que la gourgane; c’est pourquoi la majorité des Français les appelaient des petites fèves pour les distinguer des gourganes, appelées les grosses fèves. Ce haricot porte le nom de dolique, aujourd’hui, ou celui de haricot ou pois à œil noir. On en trouve surtout en conserve, dans le rayon des légumineuses. Les Franco-Québécois ont toujours été de grands consommateurs de légumineuses; chaque famille se faisait au moins un champ de pois et un champ de haricots. Certaines familles semaient même les deux variétés de haricots les plus populaires : les petites fèves blanches de type Navy et les fèves rognons rouges d’origine huronne ou les fèves rognons beiges ou chamarrées d’origine iroquoise ou abénaquise. Je vous invite à consulter mon 4e volume, Histoire de la cuisine familiale du Québec, la plaine du Saint-Laurent et les produits de la ferme traditionnelle, de la page 394 à 405, pour plus de détails.