La pomme de terre

Les pommes de terre sont originaires d’Amérique du Sud. Plus de 200 variétés de pommes de terre sauvages poussent sur les plages du Pacifique autant que dans les plaines de l’Argentine ou du Brésil de même que dans les Andes. Les premières traces de culture de la pomme de terre remontent à 10 000 ans, sur les rives du lac Titicaca, aux frontières du Pérou et de la Bolivie. La culture de la pomme de terre s’est par la suite répandue, grâce aux échanges commerciaux entre les Amérindiens, en Amérique centrale, dans les Antilles, puis au Mexique et dans le sud des États-Unis. Les Autochtones cultivaient plusieurs variétés de pommes de terre, selon leurs besoins culinaires. Les conquistadors espagnols apportèrent des pommes de terre rouge en Europe, vers 1570. On en sema aussitôt en Espagne pour nourrir les malades dans les hôpitaux et les hospices.

Mais les premières pommes de terre apportées en Nouvelle-France étaient plutôt blanches. C’est le frère récollet Sagard qui en parle le premier, en 1623, dans son livre Voyage au Pays des Hurons. Il raconte, qu’en retournant en France, son navire a arraisonné un navire anglais qui revenait de la Virginie où les Anglais avaient établi une première colonie, en 1604. Le bateau ramenait en Angleterre des barils de pommes de terre cultivées par les autochtones de la Virginie. Sagard dit y avoir goûté. Il écrit : «on accepta un baril de patates (ce sont certaines racines des Indes, en forme de gros navets, mais d’un goût beaucoup plus excellent)». Il est curieux que Sagard utilise le mot que les Franco-Québécois ont toujours utilisé pour désigner la pomme de terre; il les appelle des patates.

 Les pommes de terre apparues au Québec au XVIIIe siècle venaient-elles de France ou des États-Unis? Certains pensent que quelques colons français en auraient apporté de France pour nourrir leurs animaux. On les donnait en particulier aux cochons qui les aiment bien. Mais aucun Français n’en mangeait sinon en période de disette extrême. À la veille de la Conquête de la Nouvelle-France, l’intendant Talon voulait convaincre les habitants de se nourrir de pommes de terre à cause de la pénurie alimentaire causée par le blocus naval de la colonie, par les Anglais. Mais nos ancêtres français ne voulaient rien entendre de cette invitation. Le Général Murray, en faisant la conquête du pays, a même donné plusieurs poches de pommes de terre à chaque fermier pour lui permettre de survivre. – On se rappellera que les Anglais avaient brulé plusieurs fermes et plusieurs champs de blé en faisant la conquête du pays.— Mais les Français n’en mangèrent pas plus; ils en semèrent essentiellement pour leurs animaux. C’est la crise du blé de même que le voisinage de colons d’origine irlandaise et écossaise, après la Guerre de 1812, qui incita les familles franco-québécoises à se nourrir, comme eux, de pommes de terre. On remplaça une partie de la farine de blé par de la purée de pommes de terre en cuisant le pain et les galettes. Puis on remplaça le pain de ménage par des pommes de terre, comme accompagnement des viandes et des poissons. Au lieu d’épaissir les tourtières, les cipâtes, les ragouts et les pâtés avec de la farine, on s’est mis à le faire avec des pommes de terre en dés, en lamelles ou en purée. Puis, à la fin du XIXe siècle, on s’est mis à frire les pommes de terre comme les Belges. On mangeait déjà avec plaisir, des frites-sauce, dans la ville de Québec, dans les années 1880. La poutine, de son côté, naissait dans le Centre-du-Québec, au milieu du XXe siècle. On se réfèrera à mon 4e volume, Histoire de la cuisine familiale du Québec, la plaine du Saint-Laurent et les produits de la ferme traditionnelle pour plus de détails sur cet aliment fondateur de notre cuisine, de la page 444 à 468.

Champ de pommes de terre, du Rang 1, Albanel, au Lac Saint-Jean, dans le village de mes parents.

Paniers de pommes de terre dans un kiosque du Haut-Richelieu