Les soupes aux pois
Au Xe siècle, la soupe aux pois était le plat de base des paysans de l’Europe. On la préparait déjà avec un morceau de lard salé, les jours gras de la semaine, et un morceau de gras de baleine appelé craspois, les mercredi, vendredis et samedis, jours maigres imposés par l’Église catholique. Les fondateurs français du Québec la connaissaient donc très bien. C’est pourquoi ils semèrent des pois, dès leur installation au pays et en échangèrent de bonnes quantités avec les autochtones locaux.
Chaque nation a d’ailleurs son nom pour désigner sa soupe aux pois. Les Algonquins et les Cris de la Bair James l'appellent Anissabo, les Atikameks Aricimin, les Cris de l'intérieur des terres Yichiminabwi. Le père Le Jeune raconte combien la soupe aux pois était appréciée d’eux. « Le 31 (octobre 1633) un Sauvage surnommé Brehault… demanda le couvert chez-nous pour une nuict, et à souper par conséquent. On lui donna des pois, et à ses deux enfants qui l’accompagnoyent : il mangeoit avec si grand appetit, que pour exploitter davantage il quitta une cuiller d’estain qu’on lui avoyt presentée, et prit la grande cuiller du pot, s’en servant pour manger : Et pource que le plat n’estoyt pas assez profond il puisoyt dans la marmite, de laquelle il se servoit comme écuelle, sans garder autre civilité que celle que son grand appetit luy fournissoit.
Or ces allées et venues des Sauvages ont duré quasi tout l’hyver; nous faisions ordinairement quelque festin de pois et de farine boüillie (farine de maïs ou sagamité), à toutes les bandes; j’en ay veu tels d’entre eux qui en mangeoient plus de huict escuellées devant que de sortir de la place. »
La soupe aux pois est devenue, avec le temps, le plat de tous les jours dans certaines familles de colons et dans les camps de bucherons, hiver comme été. Les archives et les témoignages oraux confirment tous son importance dans notre cuisine historique: en voici la preuve :
M. Basile Villeneuve de Métabetchouan, après le Grand Feu du Saguenay-Lac-Saint-Jean, en 1870 : "Le pire qui nous est arrivé à nous autres, c'est de passer trois semaines sans avoir à graisser notre pain. Mais on avait du bon pain, des pois qui cuisaient bien et des patates qu'on faisait cuire sous le chaudron et dont les enfants se régalaient."
M. Napoléon Saint-Gelais, Laterrière : "Le printemps, on allait à la drave. On partait les premiers jours de mai et on r'venait vers le 10 juin. Ça faisait des runs assez longues...On faisait 4 repas par jour. On déjeunait à 5 h le matin, puis on mangeait à 9 h, à 3 h et à 6 h, 7 h le soir, pendant cinquante à soixante jours, les semaines et les dimanches. Des beans le matin, des beans à 9 h. De la soupe aux pois avec du lard anglais et des patates bouillies ou fricassées à 3 h ainsi que le soir au souper. Il n'y avait pas autre chose que de la soupe aux pois puis des patates fricassées."
M. Albert Saint-Amant, Cabano :"À la drave, on se prenait un éclat de soupe aux pois congelée qu'on faisait chauffer dans une chaudière sur le feu avec du pain."
Mme Madeleine Bélanger de Saint-Léon-le-Grand (Matapédia) : "Dans le jardin, on plantait du céleri, des carottes, des fèves jaunes et vertes, du poireau, des herbes (sarriette), des pois à soupe. On semait toujours les pois le 10 de mai. Ça faisait des pois plus "cuisants". Ils ramassaient le tout en septembre et battaient les cotons pour faire sortir les pois."
Chaque famille, cependant, avait sa recette de soupe aux pois, différente de ses voisins. Je vous en donne une douzaine de versions dans ce site sans oublier de mentionner qu'on en faisait des versions originales avec des oreilles et de la queue d'un porc ou avec des jarrets d'orignal. Quand il arrivait de la visite à diner et qu'on prévoyait manquer de soupe, on rallongeait la soupe avec de l'eau et une poignée de riz ou de flocons d'avoine, dans les Bas-Saguenay. Les dimanches du printemps, on faisait des crèmes ou des potages de pois en passant la soupe au tamis. J'ai même trouvé une recette de potage qui ajoutait des noix longues à la soupe. Ces noix étaient importées du pays des Illinois, en particulier de Michilimakinac (Aujourd'hui, Détroit). La soupe aux pois tenait souvent lieu de repas si on l'accompagnait de pain tartiné avec le lard salé fondu, salé et poivré, ou si on l'accompagnait de galettes aux patates ou de biscuits à la poudre à pâte. De plus, on utilisait les restes de la veille au déjeuner : on mettait les restes de la soupe dans les crêpes pour les servir avec des saucisses, des grillades de lard salé ou du bacon.
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