Cuisine du Lac-Saint-Jean

Il y a 10 000 ans, un glacier de 1 Km d’épais, recouvrait la région du Lac-Saint-Jean actuel. Puis un réchauffement climatique s’amorça qui fit fondre le glacier complètement, en l’espace de 1 000 ans. L’élévation incroyable du niveau de l’eau a amené l’eau salée du fleuve Saint-Laurent à pénétrer jusque-là, avec tous les poissons de l’Atlantique, comme l’éperlan et le saumon. Le lac lui-même était 4 fois plus grand que sa surface actuelle. Il y a 7 000 ans, la remontée de la croûte terrestre enferma le lac Saint-Jean. Les excédents d’eau se sont fait un chemin par la Grande et Petite Décharge actuelle du lac. La plus grande ville de la région, Alma, y est d’ailleurs bâtie. Le niveau actuel du lac est à 100 m au-dessus du niveau de la mer. Le Saguenay est le chemin par où s’écoule toute l’eau du lac et de ses affluents. Le lac Saint-Jean mesure 40 Km de long par 32 de large et sa circonférence est de 225 Km. Sa surface est de 1 049 Km carrés. Le lac n’est pas profond puisqu’il ne dépasse pas 30 m de creux. Il prend donc seulement 3 jours à se vider complètement. 13 rivières importantes l’alimentent, certaines ayant de très grands bassins d’alimentation en eau.

Le climat du Lac-Saint-Jean ressemble à celui de la région de Québec, dans les basses terres autour du lac. Il varie entre - 45º C et +38º C. Il tombe peu de neige entre le mois de décembre et le mois de mai; il tombe 2 fois plus de pluie pendant l’été. Malgré tout, sa moyenne annuelle est un peu inférieure à 80 cm par année alors qu’elle est à 90 cm pour Québec et 92 cm pour Montréal. La région est peuplée surtout de sapinières autour du lac et d’une pessière dans les Laurentides du pourtour La flore présente dans les basses terres de la région est tout à fait semblable à celle que l’on trouve dans la Plaine du Saint-Laurent jusqu’à Montréal. Mais ce qui retient le plus l’attention du voyageur au lac Saint-Jean, ce n’est pas son climat, c’est le lac lui-même.

Je me souviendrai toujours de l’émotion que j’avais lorsque le train qui amenait ma famille au lac Saint-Jean chez mes grands-parents, arrivait au bord du lac à Saint-Gédéon. Le bleu immense du lac faisait littéralement lever les passagers du train qui s’approchaient des fenêtres pour mieux l’admirer! Plusieurs personnes avaient dû ressentir la même émotion en aboutissant au lac, en provenance du lac Kénogami, par la Belle Rivière, ou en arrivant du nord par l’Ashuapmushuan, la Péribonka ou la Mistassini.

Son peuplement et ses ethnies

Le lac Saint-Jean aurait reçu la visite de Paléo-Amérindiens, dès la fonte du glacier sur le lac, il y a 8 000 ans. Une pointe retrouvée près d’un lac de la région serait de la même facture que celles qu’on a aussi trouvées dans l’Ouest canadien et américain. Sa coupe transversale appartient à la culture Clovis, la même culture qui colonisa l’Amérique en arrivant d’Asie du Nord par le Détroit de Béring. Les nombreuses fouilles faites autour du lac Saint-Jean parlent d’occupation du territoire par les Archaïques, il y a 6 000 ans. L’apogée de ce peuplement eut lieu il y a 4 500 ans avec une baisse vers moins 3 500 ans. Ces Archaïques appartenaient probablement à la culture du Bouclier canadien puisqu’ils vivaient à l’intérieur des terres, tout en communiquant avec Tadoussac en belle saison. Mais, il y a 3 000 ans, on vit apparaître une nouvelle culture venue de l’Ohio, la culture Adéna qui s’installa près de la Grande-Décharge à Alma. On trouve aussi ses traces le long de la rivière Chicoutimi et le lac Kénogami : par conséquent, elle connaissait déjà le chemin pour monter au lac Saint-Jean, à partir du Saguenay. Cette culture fut suivie de la culture Hopewell, aussi venue de l’Ohio qui amena sa poterie au Lac-Saint-Jean. Ces gens prirent le temps de se fabriquer des outils en quartzite régional; c’est donc qu’il se sont installés dans la région assez longtemps et qu’ils n’ont pas seulement été des visiteurs passagers. Finalement, on a trouvé des objets appartenant à la Culture du Mississipi qui a suivi celle de Hopewell et qui a probablement donné naissance à nos Iroquoiens québécois. Selon les archéologues Jean-François Moreau et Érik Langevin, les pointes utilisées pour chasser le gibier étaient, à l’origine, fabriquées avec du matériel venant du sud des Grands-Lacs, mais plusieurs outils trouvés au Lac-Saint-Jean étaient fabriqués avec du matériel local, en particulier avec de la pierre ramassée à l’île aux Couleuvres, au milieu du lac Saint-Jean, devant Roberval. C’est donc que la coexistence des deux grandes cultures amérindiennes du Québec ne date pas d’hier. Les Archaîques du Bouclier chassaient le gros gibier pendant l’hiver pour «prendre cela plus relax» pendant l’été alors que ces cultures venues du Sud pêchaient et ramassaient leurs provisions, surtout aquatiques, pendant l’été, pour en vivre plus tranquillement pendant l’hiver. Et cela est compréhensible puisque cette culture était moins habituée de fonctionner dans les froids du Nord et qu’elle était plus casanière en janvier et février. Leurs descendants comme les Hurons de la Baie Georgienne et les Iroquoiens de Stadaconé (Québec) continuèrent à fréquenter le lac Saint-Jean. Mais les fouilles archéologiques nous révèlent que les Hurons se tenaient plus à l’ouest du lac vers Saint-Félicien alors que les Iroquoiens se tenaient davantage vers l’est, soit Saint-Gédéon et Alma.

Les descendants des Archaïques du Bouclier ont été conquis culturellement par l’une de leurs tribus montée du nord du lac Ontario, les Algonquiens. Lorsque les Blancs sont arrivés au Saguenay au XVI e siècle, le Lac-Saint-Jean était occupé par les Kakouchaks (Porcs-Épics), de langue algonquienne. Ceux-ci vivaient, en été, à l’embouchure de la rivière Métabetchouan, près du village de Desbiens, en direction de Chambord. Ils étendaient leurs filets l’automne, à l’embouchure de la rivière, et pouvaient y ramasser de grandes quantités de corégone qu’ils faisaient fumer pour l’hiver. Un peu plus vers Chambord, ils ramassaient leurs ouananiches, particulièrement abondantes à la sortie de la rivière Ouiatchouan. Leur village situé à mi-chemin entre les Amérindiens du Nord et ceux du Sud servait de point de rencontre international; plus de 20 nations amérindiennes s’y retrouvaient, chaque été. Leur territoire d’hiver se répartissait tout le tour du lac. Chaque groupe familial pénétrait dans son territoire de chasse par l’un des affluents du lac. On revenait à l’embouchure de la Métabetchouan après la fonte des glaces.

C’est le Père Jean de Quen qui les visita le premier, le 16 juillet 1647. Il raconte son accueil dans la Relation de la même année : «Nous commençons ici à descendre dans le lac Piekouagami sur les rives duquel habite la nation du Porc-Epic que nous cherchions. Ce lac est si grand qu’à peine en voit-on les rives; il semble être d’une figure ronde; il est profond et fort poissonneux; on y pêche des brochets, des perches, des saumons, des truites, des poissons dorés, des poissons blancs, des carpes et quantité d’autres espèces.» «Ils me reçurent dans leurs cabanes comme un homme venu du ciel. L’un me donnait un petit morceau de poisson séché à la fumée, l’autre un peu de chair boucannée;» «Leur vivre (en parlant des guides qui le conduisent) était d’un peu de boucan ou un peu de blé d’Inde, sans autre réconfort que de l’eau toute pure.»

Le père de Quen vint y faire quelques missions à partir de 1650. Mais, c’est en 1676 qu’on décida d’y ouvrir une mission permanente en même temps que le Gouverneur de la Nouvelle-France avait décidé d’y ouvrir un Poste de traite des fourrures. C’est le Père François de Crespieul qui fut chargé de  fonder la Mission Saint-Charles; celle-ci accueillit les voyageurs et les missionnaires jusqu’en 1702. On y construisit une chapelle, une ferme avec plusieurs bâtisses et dépendances; on y cultiva au moins 300 âcres en céréales, on y éleva des animaux, on y fit un magnifique jardin où l’on plantait  des melons, des citrouilles, des carottes, des raves, des navets, des choux, des laitues et des herbes potagères diverses. On y planta un beau verger avec des pommiers, des gadelliers, des pruniers et même des vignes. Cette ferme était tenue par le Frère Malherbe, convers de la Société de Jésus; il y consacra sa vie puisqu’il y est mort le 19 avril 1696. Imaginez combien ça prenait du courage pour traîner avec une corde une vache, un taureau et un cochon, en pleine forêt des Laurentides, en 1680! On a dit que la raison qui avait amené les autorités à fermer le Poste de Métabetchouan était une raison de discipline ecclésiastique : les Jésuites ne pouvaient faire eux-mêmes la traite des fourrures, ce qu’ils auraient fait apparemment. 

Les Kakouchaks disparurent presque complètement du lac Saint-Jean, au début du XVIII e siècle, à cause des maladies contagieuses, de la famine causée par la disparition de l’orignal de même que la baisse importante du commerce de la fourrure avec la disparition de cette mode vestimentaire, en Europe. Les Montagnais qui remplacèrent les Kakouchaks, au XIX e siècle, venaient d’un peu partout, particulièrement de Tadoussac; ils se sont joints aux quelques rescapés des Kakouchaks. Le gouvernement canadien instaura les réserves amérindiennes à partir de 1850. Au Lac-Saint-Jean, on installa la réserve près de Roberval, à Pointe-Bleue, plutôt qu’à l’embouchure de la Métabetchouan parce que les premiers colons d’Hébertville commençaient déjà à s’étendre vers l’ouest et vers l’est du lac en prenant possession du territoire légalement. Les Montagnais, quant à eux, continuèrent de faire la traite des fourrures jusqu’en 1880. Aujourd’hui, les Montagnais s’appellent plutôt les Innus comme sur la Côte-Nord et ils habitent Mashteuiatsh (Pointe-Bleue). Plusieurs Innus et Métis habitent un peu partout au Lac-Saint-Jean, en dehors de la réserve. Il y en a un bon groupe dans les villages derrière Dolbeau-Mistassini. Pour terminer, je voudrais vous parler un peu de la cuisine innue locale. Pascal Taché qui répondait aux membres de la Chambre du Bas-Canada en 1824, disait à ce propos que : (les Innus) «subsistent l'été avec du poisson, poules et oeufs, qui y sont en grande abondance, et l'hiver sur le castor, le chevreuil, les perdrix et le porc-épic; et lorsqu'ils se trouvent près des lacs, ils se procurent, en faisant des ouvertures dans la glace, des truites et du poisson blanc. Ils prennent ce premier poisson à la ligne et l'autre au moyen de filets; mais cette manière demandant beaucoup de travail, la glace étant en général de trois à quatre pieds d'épaisseur, ils n’en font rarement usage, sinon lorsqu'ils se retrouvent totalement réduits et pressés par la faim.»

Le contact régulier avec les premiers colons du Lac-Saint-Jean fit en sorte que les deux nations échangèrent plusieurs recettes comme la tourtière de gibier, le ragoût de gibier forestier ou aquatique appelé pabo en innu, le macoucham mélangeant gibier et truite ou ouananiche, la cuisson du pain, du poisson, du petit gibier et des fèves au lard dans  le sable brûlant, les galettes blanches appelées souvent galettes indiennes chez les premiers colons et les banniques cuites dans le poêlon. Toutes ces recettes sont des recettes utilisées couramment par les deux communautés.

Lorsque les premiers colons se sont installés au lac Kénogamichiche en 1842, les Innus avaient largement côtoyé les trappeurs français et  britanniques, après 1760. Plusieurs trappeurs s’étaient d’ailleurs unis à des Innues depuis le XVIII e siècle, pour former la première communauté métis de la région. Les familles métis s’appellent Pelletier, Jourdain, Verreault, Gill, Robertson, Basile, Germain, etc.

Les premiers colons du Lac-Saint-Jean venaient du Bas-Saint-Laurent, de la région de Kamouraska et de L’Islet. Mon ancêtre George Ouellet faisait partie du groupe amené par le curé Hébert. Les colons du Bas-Saint-Laurent furent d’abord rejoints par des gens installés à La Baie ou à Chicoutimi, puis par des gens venus directement de Charlevoix. D’origine française et écossaise, ces derniers s’installèrent, en 1842, dans les rangs à côté du lac Kénogamichiche jusqu’au bord du lac Saint-Jean, à Métabetchouan. En 1846, Hébertville était fondé. D’autres compatriotes du Bas-Saint-Laurent, du Saguenay et de Charlevoix vinrent rejoindre ces premiers colons entre 1850 et 1900. Se sont ajoutés des gens de la région de Québec, de Lanaudière, de Lotbinière et même des gens qui étaient nés aux Etats-Unis de parents québécois francophones qui avaient émigré en Nouvelle-Angleterre. Quelques Britanniques s’installèrent à Roberval et à Dolbeau.

Les derniers villages fondés le furent dans le cadre du Plan Vautrin après la Crise de 1929. Ces derniers villages sont d’avantage à vocation forestière qu’à vocation agricole comme la grande majorité des autres villages du Lac-Saint-Jean. La provenance des fondateurs est majoritairement celle des plus vieux villages du sud-est du Lac, mais on compte aussi beaucoup de gens du Saguenay, des gens venus de Stanstead, de France, du nord de Montréal et des États-Unis (Franco-américains). Les Trappistes qui arrivèrent à Mistassini le 12 novembre 1892 amenèrent quelques Européens dans leur sillage comme Constant Greille, Henri Miart et Boéris, un suisse italien. L’un des Français les plus connus de cette époque est certainement l’écrivain Louis Hémon qui écrivit le célèbre roman Maria Chapdelaine dont l’action se passe à Péribonka. Ce roman complète bien l’information que je vais maintenant vous livrer et qui parle de la cuisine des premiers colons du Lac-Saint-Jean.

Je pourrais résumer les témoignages suivants mais je vous les donne tels quels parce qu’on pourra mieux sentir l’émotion des gens qui ont vécu eux-mêmes les débuts de la colonisation. Ces témoignages parlent aussi de ce qu’on mangeait juste avant le Grand Feu, puis un peu après.

M. Basile Villeneuve de Métabetchouan : «Le pire qui nous est arrivé à nous autres, c’est de passer trois semaines sans avoir à graisser notre pain. Mais on avait du bon pain, des pois qui cuisaient bien et des patates qu’on faisait cuire sous le chaudron et dont les enfants se régalaient. (…) Le lac était plein de poissons. Chacun avait ses rets et ses gréments, et on mangeait du poisson au bord du lac; même sans sel, ça remplaçait tout.»

M. Thomas Lessard de Saint-Gédéon nous donne un portrait plutôt heureux des débuts de son village : «On est arrivé à St-Gédéon le 26 juillet: c’était bien remarquable, c’était le jour de Sainte-Anne; j’ai toujours conservé ce souvenir dans ma mémoire. (Il avait 11 ans en 1868). On était découragé de voir comme c’était poussé pour le peu d’ouvrage qui avait été fait et pas d’engrais. L’orge était épié, le tabac était quasiment à sa hauteur et était encore dans les casseaux; les citrouilles avaient presque la moitié de leur grosseur... On a abattu de l’orge qu’on a fait sécher sur des couvertes en avant de la maison, au soleil; après, on allait faire moudre au moulin à Hébertville en transportant cela sur notre dos... On mangeait du poisson, du lait, mais pas trop de lait parce que les vaches n’en donnaient pas beaucoup; elles étaient maigres; on allait les chercher, des fois, à deux milles de la maison. On ne mangeait pas de crème, il n’y a pas de danger!. La crème, maman y voyait, elle faisait du beurre avec. On mangeait des patates et des navots (rabioles ou petits navets blancs), du pain d’orge; des fois, il était d’orge gelé; c’était pas beaucoup bon mais quand on connaît pas d’autre chose, on trouve ça mangeable. On avait de la viande quand on tuait un cochon à l’automne; mais on en tuait rarement; je vous assure que c’était pas qu’une petite fête quand on en tuait un!  On avait des poules aussi, ça fait qu’on mangeait un peu d’oeufs. On prenait du poisson en masse. On n’avait pas toujours des ains pour pêcher, on n’avait pas d’argent pour en acheter; ça fait qu’on s’en faisait avec des épingles; c’était pas trop chanceux; on manquait gros de poissons, mais c’est encore drôle, on s’en réchappait. On ramassait le foie et la graisse des poissons pour préparer du manger. Ah! Créguié! on ne jetait pas ça. Maman faisait des crêpes avec cette graisse-là et toutes sortes de manger. L’été, vous savez, on n’en avait pas de graisse, ça fait qu’on était content d’avoir celle-là.»

M. François Girard de Chambord nous dit ce que les hommes mangeaient quand ils quittaient leur camp de bois rond pour aller bûcher pour faire de la terre ou le chemin : «Le midi quand on travaillait au chemin, on se faisait une grillade dans un poêlon; on détrempait de la farine, on mettait un oeuf là-dedans et on faisait cuire. Ça faisait une catalogne d’un pouce d’épais. Quand elle était cuite d’un côté, on la revirait à la houée. Elle était solide; on n’avait rien qu’un tour, un hop à donner au poêlon et elle retournait.»

Et le témoin poursuit en parlant de la cuisine familiale: «Vous voulez encore des détails sur la nourriture... On mangeait de la soupe aux pois, de la soupe à l’orge pilé, des pétaques, de la viande, du lièvre et de l’orignal quand on en tuait, des cipâtes, des tourtières; ils faisaient bien ça. Il y en a qui faisaient des grosses bouillies et se mettaient autour du chaudron pour manger avec des cuillers d’écorce qu’ils avaient faites et mises au bout d’un long manche de bois. Il y en avait aussi qui, quand ils étaient bien affamés, allaient chercher des chaudières d’oseille, qu’ils faisaient grâler sur le poêle et mangeaient, toute la famille.» «Il y avait des familles qui restaient seules avec la mère, le père étant parti pour le chantier au lac Rognon, et qui n’avaient à manger que de la farine d’orge. La mère faisait cuire des patates et les écrasait, puis mettait de cette farine dedans et faisait cuire ça dans des boîtes à pain. Les enfants mangeaient ça sans sucre ni lait. On faisait aussi du pain de poisson avec du doré. Quand nous avions faim, notre mère nous donnait une tranche de ce poisson-là. Il y avait du poisson en masse. On faisait boucaner du doré et du brochet et on les mangeait de toutes façons.»

M. Zéphirin Vallée de Saint-Félicien nous parle de la cuisine noire de son époque : «Dans ces trois années-là, j’ai eu de la grosse misère et j’ai été une fois six semaines sans manger une bouchée de pain: rien que des patates gelées et des pois bouillis...» «Vous savez, les gens du Lac, une chance qu’ils ont le lac, parce qu’ils seraient morts de faim plusieurs fois. Quand on mange seulement des patates et puis du poisson, il fait noir!...Et quand on est six semaines sans manger de pain, il fait encore plus noir...! Les Savard, eux-autres, ils mangeaient de la soupe aux pétards; vous connaissez ça les petites fioles qui poussent dans les champs? On se met ça sur le dos de la main en tapant et ça fait pouf!»

On dit souvent, en cuisine comme ailleurs, que la nécessité est la mère de toutes les inventions. S’il y a un événement qui créa un traumatisme collectif important et qui eut une incidence majeure sur la psychologie sociale des gens du Lac, c’est bien le Grand Feu de 1870. Celui-ci commença à Saint-Méthode et brûla une grande partie des fermes et de la forêt jusqu’aux portes de La Baie et de Chicoutimi, au Saguenay. Mgr Tremblay a recueilli plusieurs témoignages éloquents à ce propos dans sa collection de témoignages historiques. Beaucoup de gens sont passés près de la mort et ont survécu grâce à peu de choses, en particulier aux herbes sauvages. La soupe aux herbes est devenue la soupe rattachée au Grand Feu, tout comme celle au navet, à certains endroits. Le navet et la pomme de terre étant les seuls légumes qu’on avait pu sauver parce qu’ils étaient conservés dans des caveaux, sous terre. Beaucoup de gens s’étaient réfugiés dans ces caveaux pendant que le feu passait et d’autres avaient plongé avec les enfants dans les rivières et les lacs à proximité. M. Alphonse Parent de Saint-Félicien dit, cependant, que la nature avait été généreuse après le Grand Feu : «Mais ici, le bon Dieu y a vu, vous savez. Après le feu, ce sont les tourtes qui arrivent en abondance. le poisson venait au bord de l’eau se faire prendre tout seul. Moi-même, j’ai pris des brochets à la main; vingt-sept saumons dans un avant-déjeuner!»

M. Amable Simard de Saint-Gédéon  montre que la nature n’est pas toujours ingrate: «Après le Grand Feu de 1870, M. le curé dit de ne pas semer de nouveau et vivre en espérant. À l’automne, l’espoir était couronné et on vit apparaître dans tous les champs du sarrasin et du beau! mêlé de beau blé. La récolte fut si bonne qu’à l’automne et de bonne heure, elle nous fournissait du secours. On n’était pas riche après le Grand Feu et je me souviens d’avoir mangé de la soupe faite aux pissenlits et aux herbes que ma mère ramassait. Le sel était en petites quantités et il fallait le ménager pour en avoir à tous les repas. Dans ce temps-là, nous avons passé trois semaines à manger des patates, nous n’avions que cela»

Le nord du Lac-Saint-Jean a été colonisé après le sud. Les témoignages relevés se situent davantage au début du XX e siècle. On notera dans ceux-ci moins de misère. Le train était arrivé à Hébertville et l’on pouvait aller s’approvisionner sur place avec des denrées amenées de Québec ou Montréal. Mais la grande part des aliments venaient de la nature des alentours et de la ferme comme le révèlent les extraits suivants : «Ferdinat Larouche, du Rang 5, qui était arrivé à Saint-Coeur-de-Marie en 1903, avait coutume de pêcher au brochet au Lac Brochet de Saint-Léon. Il en pêchait assez pour le saler et le mettre en baril....il en avait assez pour un an» «Pour ce qui est de la pêche, il s’est pris beaucoup de brochets, de dorés dans la Grande Décharge.. .à la ligne et aux rets, de même que de la truite au Petit Mistouk… Je pense que plusieurs ont également occupé leurs loisirs à la cueillette des framboises et des bleuets, ou encore au jardinage.»

Les récits que je viens de vous donner illustrent bien la cuisine pratiquée par les ancêtres des habitants du Lac-Saint-Jean. Les choses ont cependant commencé à changer avec l’arrivée d’une grande masse de colons à la fin du XIX e et au début du XX e siècle. La Société de colonisation du Lac-Saint-Jean, fondée en 1897, s’était dotée d’un journal, Le Lac-Saint-Jean, de deux maisons d’accueil appelées Maisons des colons, et d’un annuaire donnant la liste des terres disponibles dans la région. De plus, cette société avait ses agences de recrutement à Québec, en Nouvelle-Angleterre et en Europe. Dès l’année suivante, 1 322 colons s’établissaient dans la région. En 1899, on en comptait  1 692. En 1900, 195 arrivaient d’Europe, en particulier de France, 900 d’un peu partout au Canada et 1 013 des États-Unis. Puis l’arrivée de la grande industrie à Alma et la construction du barrage nécessaire à cette industrie allait provoquer l’arrivée massive d’immigrants venus de partout dans le monde. Le Lac-Saint-Jean deviendrait une espèce d’Eldorado pour tous ces gens. J’ai relevé quelques souvenirs d’ouvriers d’Alma qui ont travaillé à la construction du barrage de l’Île Maligne. Ils disent avoir travaillé avec des Italiens, des Polonais, des Finlandais, des Allemands, des Russes, des Anglais et des Américains. C’était avec les Finlandais que les relations étaient les plus sympathiques. «Ils ne se prenaient pas pour d’autres, ils étaient habitués à la misère et connaissaient bien nos poissons et nos animaux. Certains venaient même pêcher la ouananiche avec nous au pont Taché.» «Je ne suis pas resté longtemps au camp mais je peux dire que la nourriture était bonne.» «Nous mangions dans la grosse cookerie. C’étaient des moyennes cookeries. Quand il faut rentrer un 1000 hommes pour manger. La nourriture était bonne et nous mangions à notre faim, tant qu’on en voulait. (…) À l’été, j’ai obtenu un contrat pour vendre à la Compagnie 125 boîtes de bleuets par semaine. Les cuisiniers faisaient des pâtés aux bleuets pour les hommes. On vendait la boîte pour 1 piastre. C’était bien payé. Au camp, on a toujours bien mangé et autant qu’on en voulait.»

Quelques-uns de ces immigrants ont trouvé une compagne dans la région et s’y sont installés en permanence, mais la grande majorité d’entre eux sont retournés dans leur pays d’origine ou ont continué de courir les grands chantiers de l’Amérique du Nord. D’autres villes se sont ouvertes au Lac-Saint-Jean à cause de quelques usines de pâte et papier et d’une usine d’aluminium qui s’y sont installées. Ces villes ont même créé des plans d’urbanisme pour leurs cadres et leurs employés. Dolbeau, l’Île-Maligne et Val-Jalbert en sont de beaux exemples. On peut toujours visiter les maisons d’époque, au village fantôme de Val-Jalbert, puisque ce dernier a été fermé par la compagnie en 1927. Ces villes de compagnie sont marquées par la culture anglo-saxonne amatrice d’espaces verts et d’horticulture. Plusieurs parcs encore visibles ont été construits dans ces villes. La cuisine anglo-saxonne s’est donc bien installée au fil du temps, dans la région. Plusieurs familles franco-québécoises se sont unies aux familles anglo-saxonnes et ont emprunté leurs habitudes alimentaires, en particulier celle des desserts. Beaucoup de familles du Lac-Saint-Jean préparent leur temps des Fêtes en faisant leur gâteau aux fruits et leur plum pudding comme les Anglais le font.

Les villes actuelles du Lac-Saint-Jean comme Saint-Félicien, Roberval, Dolbeau-Mistassini et Alma se caractérisent non seulement par la présence de l’industrie forestière et d’aluminerie pour la ville d’Alma, mais aussi par la présence de services publics comme les hôpitaux, les Cégeps et les CLSC. Mais ce sont les activités liées à l’industrie forestière et à l’agriculture qui forment la base économique de la région.

Ses activités forestières et l’alimentation

On l’a dit plus haut, la traite des fourrures fut la première activité économique de la région. Le Poste de traite de Métabetchouan ouvert en même temps que la mission des Jésuites demeura le lieu d’échange des fourrures de 1676 à 1702. Nous avons déjà traité précédemment du type de cuisine qu’on pratiquait dans ces postes : il s’agissait vraiment d’une cuisine métissée empruntant ses recettes aux Amérindiens, aux Français et aux Écossais particulièrement. L’arrivée des colons vers 1850 coïncida avec l’arrivée de l’industrie forestière au Québec. Presque tous les hommes allaient aux Chantiers, pendant l’hiver, y compris les jeunes garçons de 14-15 ans. Mon père m’a souvent raconté qu’il avait appris à bûcher à 15 ans avec son cousin et son oncle. Ils mangeaient toujours la même chose : des beans puis du ragoût de lièvre. Comme les soirées étaient longues, il y lisait toujours les Annales de la Bonne-Sainte-Anne pour ne pas perdre ses capacités de lecture auxquelles tenait absolument son père. Et son oncle lui montrait à jouer du violon. Les soirs de pleine lune, il éteignait la chandelle et jouait du violon juste à la lumière de la lune. J’ai cueilli plusieurs autres témoignages de la nourriture dans les camps de bûcherons du Lac-Saint-Jean. Au début, les hommes bûchaient avec peu de choses pour se soutenir : de la soupe aux herbes sauvages mis avec de l’orge et un morceau de lard salé, des fèves au lard, de la fricassée, de la morue salée cuite sur des pommes de terre. La cuisine était répétitive. Voici quelques extraits :

Le premier extrait est tiré d’une lettre envoyée, le 1 avril 1896, à partir d’un chantier situé au nord de Mistassini. «Nous n’avons pas seulement mangé du lard et des pois, car le poisson, la perdrix et même un jour, un orignal ont bien voulu se mettre en frais pour honorer notre marmite de leur présence agréable. Pour ma part, j’ai tué 60 perdrix blanches, 10 perdrix grises et un lièvre. L’orignal a voulu se faire tuer par notre boss, c’est correct. C’est moi qui était cuisinier; non pas cuisinier résident mais cuisinier à l’heure des repas, le reste du temps, le poêle digérant doucement du bon pin sec, se chargeait de la besogne. En temps ordinaire, il faisait du bouilli mais si le vent du Nord-Est excitait trop sa flamme, il me fournissait au retour du travail quelque bon rôti. Je n’avais point de show-boy, tout le monde me servait afin d’être bien servi ensuite. Du reste on a toujours vécu en frères.»

Cette organisation du travail était plutôt exceptionnelle car bûcher et cuisiner en même temps pouvait se faire dans un chantier d’une douzaine d’hommes, pas plus. Gérard Poirier de Notre-Dame-de-la-Doré nous donne une bonne description de la vie de chantier dans les années 1930 : «Lorsque j’ai travaillé pour la Coopérative forestière, on se levait vers 5 h pour prendre le déjeuner et on partait immédiatement après. À 7 h, il fallait être à l’ouvrage. Le déjeuner était plus copieux qu’à l’époque de la drave: des beans, de la mélasse et du bon pain. Ah! oui, on avait de bons cuisiniers qui cuisaient du bon pain par exemple... Il y en avait tant qu’on voulait. Le breuvage, c’était du thé. Du café, on voyait pas ça. Pas question de lait frais. Pour le dîner, on mangeait souvent de la viande fraîche, du boeuf et du porc frais. À l’occasion, l’orignal était présent sur la table, mais ça, c’était un vrai scandale. Ç’était un véritable scandale parce qu’il y avait deux poids deux mesures pour le gouvernement. Lorsqu’un particulier tuait un orignal, il était considéré comme un meurtrier. Lorsque c’était une compagnie, par contre, on passait par-dessus. Durant l’été, par exemple, les compagnies engageaient un indien. Quand il n’y avait plus d’orignal, l’Indien partait en tuer un. Il ne faisait que cela. C’était son travail. Quand il arrivait avec l’orignal, l’été, on le débitait, on l’accrochait dans les arbres pour le faire sécher au soleil. Par la suite, il se formait une croûte sous laquelle la viande était délicieuse. C’était comme du boeuf mûri. On mangeait de la bonne viande.»

Dans les années 40, beaucoup de femmes faisaient la cuisine dans les petits chantiers. Elles se préparaient même d’avance, au cours de l’été, pour se faire des conserves de tomates, de pommes, de macédoine ou de marinades qu’elles amenaient dans les chantiers. Cela servait pour la soupe, les poudings ou les tartes. Chaque femme avait ses recettes. Mon ami Marcel me racontait que sa mère suspendait même des choux dans le hangar. Celui-ci gelait et lui permettait de faire plus facilement des choux-cigares pour les hommes. On faisait cuire beaucoup de viande, le midi, en mettant en général du bœuf, du porc et du poulet. Le bœuf était parfois remplacé par de l’orignal et le poulet par de la perdrix. Mais on ne voyait jamais de veau sur les tables des chantiers, ni de mouton ou d’agneau. Les gens avaient mal au cœur du veau et le mouton sentait trop fort en cuisant. Les desserts étaient ce qui était le plus attendu. On comptait une tarte par personne. La tarte au sucre, la tarte aux raisins, celle à la mélasse, celle aux pommes et quelquefois à la citrouille ou aux atocas étaient les desserts préférés. Dans les chantiers plus gros, où il y avait 2-3 personnes à la cuisine, on faisait aussi des galettes à la mélasse ou des galettes blanches à l’anis qu’on donnait aux gars pour leur lunch du midi. Dans ces chantiers, certains cooks avaient une réputation envieuse. Certains jobbers étaient prêts à les payer cher pour les avoir car un chantier où l’on mangeait bien était toujours un chantier productif et rentable pour le patron. 

Voici un témoignage que j’ai recueilli en 2006 de M. Herménégilde Jobin de Normandin, qui a connu les chantiers dans sa jeunesse : «Dans les chantiers, pour déjeuner, on avait du gruau, des oeufs, des toasts, des beans presque tous les matins. Pour dîner, de la fricassée avec du gros lard chaud ou froid. Presque toujours la même affaire, soupe aux tomates à l’orge, soupe aux pois, soupe au riz plutôt rare. J’ai connu un très bon cuisinier: M. Duchesne de St-Thomas Dydime. Il voulait le silence aux repas. Les Duchesne étaient d’excellents cuisiniers, qui étaient propres, ils étaient bons dans tout. Ils faisaient de quoi avec rien. Il faisait des confitures aux tomates, des tartes au siam. Il faisait 2-3 sortes de tartes au sucre.»

Ce type de chantier forestier dura jusque dans les années 60, au plus tard, envers les Passes-Dangereuses, au nord du lac Saint-Jean. Certaines personnes qui avaient affaire dans le secteur ou qui allaient simplement à leur club de pêche, arrêtaient manger dans les cuisines des chantiers. La nourriture était bonne, variée et abondante. C’est tout un art culinaire qui s’est perdu avec la disparition des chantiers. Aujourd’hui, les travailleurs forestiers apportent leur roulotte en forêt et se font eux-mêmes la cuisine tout en écoutant la télévision sur leur antenne satellite. On est à une autre époque!

La troisième activité économique liée à la forêt est le moulin à scie, puis le moulin à papier. Comme partout ailleurs dans les régions forestières du Québec, il s’est installé des moulins à scie qui préparent du bois de construction. Quelques-uns de mes cousins travaillent toujours dans ces moulins, au nord du Lac-Saint-Jean.  Puis vinrent les premiers moulins à pulpe de la région. Mon grand-père Ouellet a travaillé à la construction du village industriel de Val-Jalbert en 1901. Le moulin est construit au pied de la formidable chute de la rivière Ouiatchouan. On y produisait une centaine de tonnes de pulpe de bois, par jour. Aujourd’hui, le moulin est devenu une attraction touristique majeure au Lac-Saint-Jean. Après les pulperies, naquirent les papetières. Ces dernières font non seulement la pulpe, mais elles la transforment en papier prêt à utiliser pour tous les secteurs de communication : journaux, maisons d’édition, papeteries, etc. Les villes d’Alma, de Dolbeau et Saint-Félicien ont leur papeterie. Les 2 premières datent d’avant 1930 et la dernière-née de Saint-Félicien date de 1979. Les ouvriers de ces usines apportent leur lunch. La cuisine familiale y est donc très présente. On y apporte souvent des restes de repas précédents pris à la maison. Beaucoup achètent des conserves ou des plats tout préparés qu’ils se font réchauffer dans des lieux prévus pour cela. Il est amusant de faire le tour des boîtes à lunch des gars; certains mangent toujours la même petite boîte de Paris-pâté depuis 20 ans, d’autres profitent des largesses d’une femme particulièrement créative en cuisine en amenant toutes sortes de plats qui étonnent les copains, d’autres se débrouillent pour suivre un régime qui les fera maigrir. On voit beaucoup de variété aujourd’hui, comme à la maison.

Le tourisme existe depuis au moins 1888, au Lac-Saint-Jean. C’est M. Horace Jansen Beemer, qui avait marié une franco-québécoise de la région, qui décida de construire, à Roberval, un bel hôtel en bois de 3 étages, de 50 m de long par 25 m de large. Muni de larges galeries avec des tourelles dans les coins, il pouvait accueillir au moins 150 personnes dans une centaine de chambres. L’hôtel ouvrit le 10 août 1888. Avec l’arrivée du train à Roberval, au mois de décembre de la même année, M. Beemer l’agrandit, dès 1891, pour satisfaire aux nombreuses demandes de clients canadiens et américains qui venaient y passer leurs vacances pendant l’été. L’hôtel fut porté à 257 chambres. Ces gens étaient tous heureux de venir en quelques heures pêcher la ouananiche sur le lac Saint-Jean. M. Beemer fit même construire un Pavillon de chasse et pêche sur une île devant la décharge du lac Saint-Jean. Malheureusement, l’hôtel fut rasé complètement par les flammes, le 3 juillet 1908. On ne rebâtit pas l’hôtel. Il fallut attendre que la route fasse le tour complet du lac Saint-Jean pour voir apparaître les premiers touristes en voiture. De petits hôtels apparurent presque dans chaque village, suivis de motels dans les années 50 et 60. C’est à ce moment-là qu’on commença à vanter la cuisine du Lac-Saint-Jean avec sa soupe aux gourganes, sa tourtière et sa tarte aux bleuets. Ces 3 plats qui sont effectivement pratiqués partout, au nord du lac Saint-Jean, devinrent le symbole presque exclusif de notre cuisine. Or, tout le monde du Lac sait qu’il n’y a pas que cela comme cuisine dans la région. Les trois plats qu’on identifie au Lac-Saint-Jean sont en fait, tous les trois, originaires de Charlevoix. Et les recettes remontent toutes les 3 au début du Moyen-Âge français, pour ne pas dire à l’époque de Charlemagne, pour la soupe aux gourganes. Par conséquent, le bleuet historien que je suis se doit de mettre les pendules à l’heure sur cette question, et dire comme il se doit, que tout cela est une affaire de marketing habile chez nos prédécesseurs. Dans les faits, d’autres plats, en plus de ceux-là, mériteraient d’être identifiés à notre cuisine comme le révèle l’histoire de celle-ci que je vous en fais. En commençant par notre soupe aux herbes, si essentielle au début de la fondation de notre région, ou le macoucham!

Le dernier aspect qui a un lien avec le tourisme est toute la question de la villégiature au Lac-Saint-Jean. Beaucoup de gens possèdent une seconde résidence près d’un lac ou d’une rivière quand ce n’est pas autour du lac Saint-Jean lui-même. On y va passer souvent tout l’été pour se rapprocher de l’eau et des arbres, pour y pêcher un peu ou chasser le petit gibier, en automne. C’est un lieu de rassemblement pour les familles et les vacanciers de l’extérieur de la région. On y pratique une cuisine d’été moins lourde que celle de l’hiver, avec des salades vertes, des crudités comme des radis et des oignons verts avec du pain et du beurre, des petits fruits sauvages au déjeuner avec du pain grillé, et des conserves de truite mouchetée ou de porc ou poulet en galantine servies froides. Et le soir, on cuisine souvent sur un foyer extérieur avec un feu de bois que les plus jeunes remplacent aujourd’hui par le barbecue au gaz plus rapide. Les steaks, les hamburgers et hot-dogs demeurent les choix les plus fréquents, et les beaux poissons gardés au congélateur sont farcis et préparés dans le papier d’aluminium pour notre belle visite de l’extérieur. Cette forme de repas qui se rapproche du pique-nique m’amène directement à la dernière activité forestière dont je veux vous parler.

Les bleuetières sont nombreuses au nord du Lac-Saint-Jean, une vingtaine qui forment un grand croissant de St-David-de-Falardeau, au Saguenay, à Saint-François-de-Sales, derrière Chambord. Donc, on trouve des bleuets du nord-est du Lac-Saint-Jean jusqu’au sud-ouest. Avant le Grand Feu de 1870, la cueillette des bleuets était très anecdotique. Les gens n’avaient pas le temps d’aller en ramasser avec tous les travaux à faire. Mais le grand feu qui brûla les forêts et qui engraissa en quelque sorte la terre, permit de faire pousser énormément de bleuets. Plusieurs familles se mirent donc à en ramasser pour vendre. Avec l’arrivée du train, on pouvait en livrer des frais dans les grands centres urbains. C’est ainsi que la cueillette des bleuets pour vendre entra dans les mœurs familiales du Haut du Lac, dès le début du XX e siècle.  En 1905, 7 000 cueilleurs occupaient les brûlés de 2-3 ans pour ramasser la manne bleue comme on l’a appelée longtemps. Mais les choses ont bien changé depuis les années 60. On ramasse les bleuets avec des peignes larges ou de larges peignes posés sur deux roues qu’on roule sur des terres planches sans obstacle. Autrefois, il fallait enjamber sans arrêt des arbres morts souvent brûlés qui nous salissaient toutes les culottes. Mais quel bonheur de trouver, sous ces arbres, d’énormes bleuets qui provoquaient toujours un grand sourire de satisfaction! Les bleuetières aménagées fournissent, aujourd’hui, la plus grande part des bleuets sauvages vendus sur le marché québécois. Des usines de congélation et même de séchage, comme celle de Saint-Bruno, permettent une exportation importante de ces petits fruits jusqu’au Japon. Le Lac-Saint-Jean abrite plus de 90% des bleuetières aménagées du Québec. Plusieurs petits livres de recettes ont été faits avec le bleuet comme élément vedette. La découverte récente des avantages indéniables des bleuets pour la santé a augmenté sa popularité auprès des consommateurs. Ma liste de recettes régionales vous donne plusieurs idées pour en consommer davantage. Cette merveille bleue si populaire n’est pourtant pas la seule à faire partie de notre garde-manger sauvage.

Ses garde-manger

Le garde-manger sauvage

Les Jeannois se sont toujours servis dans la nature lorsque les récoltes de céréales gelaient ou lorsque le feu venait brûler tout ce qu’il y avait dans la maison, l’étable ou la grange. Par après, lorsque les fermes devinrent prospères, on fit moins appel à la nature dans le quotidien. Cependant il y a des familles, comme ma famille paternelle, qui ont toujours entretenu, de génération en génération,  le goût pour le poisson et le gibier local. Le Nord du lac Saint-Jean forestier est toujours riche en orignal. J’ai moi-même aperçu, en plus, du caribou des bois, de temps en temps, quand j’allais dans le bois avec mon père. Chaque automne, ma famille allait se chercher un orignal, du lièvre et de la perdrix. Mon ami Marcel Bouchard, chef réputé et grand chasseur devant l’Éternel, m’a donné plusieurs commentaires sur ces viandes sauvages et leurs bons morceaux. Selon lui, le lynx est l’une des meilleures viandes de bois. Sa fibre ressemble à celle de la dinde et la couleur de sa chair ressemble à celle d’une cuisse de poulet. Le porc-épic peut même se manger cru sans danger en cas de besoin. La marmotte est un gibier très gras pour nos appétits contemporains. Le foie de castor est un morceau exceptionnel, très doux, pas du tout granuleux qui ressemble au foie de lapin. La langue d’orignal est un morceau très délicat composé de la moitié de gras de sorte que c’est un morceau très doux à manger. Le museau d’orignal est aussi un morceau délicat  pour les connaisseurs: il se fait bouillir puis sauter dans la graisse d’ours. Enfin, il m’a raconté qu’autrefois, on réservait toujours la tête du lièvre pour le chasseur qui l’avait attrapé. Sur la tourtière, par exemple, on faisait toujours un X en pâte vis à vis l’endroit où se trouvait la tête du lièvre : la cervelle et la langue étaient particulièrement appréciées.

Les premiers colons établis à Métabetchouan, Hébertville et Saint-Gédéon se nourrissaient de lièvres et de perdrix à l’année longue pour ne pas tuer leurs animaux domestiques. Ils voulaient se donner le temps de se bâtir un troupeau parce qu’ils n’avaient traîné qu’un couple de cochons et une vache, à partir du Saguenay. Une fois sur place, on se fiait sur celui qui avait amené le taureau pour le groupe! Mais la chasse la plus populaire à Saint-Gédéon et à Saint-Prime, était la chasse au canard et à l’outarde au printemps et à l’automne. De plus, Saint-Prime offrait plusieurs possibilités aux familles qui aimaient le gibier, comme les Innus de Pointe-Bleue. «Dans la route du Six, raconte M. Charles Juneau en 1879,  il y avait des écluses de castors pour un espace de deux milles de long, de la perdrix et des ours comme ça (montrant ses dix doigts). Les écluses formaient une immense savane avant d’arriver et il y avait du foin bleu de sept pieds de hauteur, c’est moi qui ai donné le premier coup de faux par-là.»

Pendant l’hiver, on pouvait prendre beaucoup de perdrix blanches (lagopèdes) qui descendaient au sud, pendant l’hiver. Ces animaux nordiques faisaient couramment partie de la cuisine de nos ancêtres. On en faisait des soupes, des ragoûts, des tourtières ou des pâtés. Pour cette dernière recette, on faisait simplement un ragoût plus épais avec l’oiseau bouilli avec du lard salé et de l’oignon, puis on le mettait cuire entre deux abaisses. C’était un mets qui pouvait faire partie de la table du Jour de l’An avec les pâtés à la viande de porc haché. En 1900, la famille de M. Edmour Lalancette de Saint-Méthode se nourrissait tout l’hiver de gibier : «Le père partait des grandes semaines à la chasse, comme ça, on ne se nourrissait pas rien que de soupane, puis on avait toujours de la viande sur la table contrairement à bien des familles de pauvres cultivateurs. On avait de l’ours, de l’orignal, du lièvre, de la perdrix ainsi que toutes sortes de poissons possibles.»

Ce récit m’amène à vous parler des poissons qu’on pêche toujours dans la région : doré jaune, grand brochet, grand corégone, touladi, omble de fontaine, lotte, ouananiche et carpe noire appelée meunier noir, aujourd’hui. Le roi des poissons du Lac-Saint-Jean demeure la ouananiche; il a d’ailleurs été choisi comme emblème régional. Le poisson a été d’une importance capitale dans l’histoire de l’installation des premiers colons du Lac-Saint-Jean. Sans lui, bien des gens seraient morts de faim! Voici un premier témoin de Saint-Gédéon en 1864 : «Chaque année, il se prend énormément de poisson. Les poissons les plus recherchés sont la ouananiche, le brochet, le doré et la lotte. On y prend cependant plusieurs autres poissons: perchaude, poisson blanc, carpe, goujon, ouitouche. Autrefois, il n’était pas rare de prendre 50 à 60 ouananiches et 150 à 200 dorés à la cale dans une journée. Dans ce temps-là, le doré, le brochet se vendait 5 cents la livre et la ouananiche 10 cents la livre. — M. Gaudreault mentionne qu’au moment où on a élevé le niveau de l’eau en 1928, les résultats de la pêche ont diminué d’environ 90%.»

La pêche ne se pratiquait pas que l’été. En 1872, des gens de Saint-Gédéon pêchaient, même l’hiver, sous la glace. «MM. Augustin Gagnon, Yves Girard et le notaire Dumais font la pêche depuis le mois de décembre dernier dans le lac Saint-Jean. Ces messieurs pratiquent de trous dans la glace et posent des rets à une profondeur variant de dix à vingt brasses et deux fois par jour, ils retirent les rets remplis de gros poissons de toutes espèces. Les plus grosses espèces sont le brochet dont quelques-uns mesurent de 40 à 44 pouces de longueur, le saumon (ouananiche) de 25 à 36 pouces et la morue (loche)  qui égale le saumon en grosseur. Les plus petites espèces sont le doré et le poisson blanc (grand corégone) qui atteignent jusqu’à 20  et 25 pouces. Il est certain qu’il existe de bien plus gros poissons de ces espèces dans le lac Saint-jean, mais les rets ne sont point assez fortes pour les tenir, ils s’échappent toujours en brisant plusieurs mailles des rets. Chaque fois que les pêcheurs lèvent leur instrument de pêche, il y a toujours vingt à vingt-cinq de ces gros poissons...»

La pêche au filet se pratiqua longtemps dans le lac Saint-Jean. Plusieurs familles de Saint-Gédéon et de Saint-Henri-de-Taillon ont vécu avec la vente de leurs poissons sur les marchés montréalais et new-yorkais.

Deux plats particuliers étaient populaires chez les habitants du Lac : la tourtière à la ouananiche et le macoucham qui mélangeait toujours, à l’époque, les pommes de terre en lamelles, les grillades de lard salé, en alternance avec du gibier en tranches et de la truite mouchetée. M. et Mme Guay de Saint-Félicien disent clairement en 1879 qu’il s’agit d’un plat indien. Et j’ai retrouvé le plat partout dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de Dolbeau à La Baie au Saguenay. Par conséquent, peut-être qu’il faudrait considérer que le macoucham est l’une des recettes les plus typiques de la région, encore plus que la tourtière qui vient de Charlevoix. Le débat est lancé. L’abbé Delamarre qui fonda l’Hermitage du Lac-Bouchette, réveillonnait toujours avec du macoucham et des pâtés à la viande, comme il l’écrit à un ami, le 7 janvier 1922 : «Et tous, en famille, rappelant votre présence et l’amabilité avec laquelle vous partagiez notre réveillon de Noël, même composé de "macouchame” et de pâtés robustes.» C’est un plat qui mériterait certainement d’être remis sur les tables de nos fêtes, particulièrement dans les familles où il y a des chasseurs et des pêcheurs.

Le garde-manger de la ferme

Saviez-vous que le Lac-Saint-Jean a été pendant un bout de temps le grenier à blé du Québec? Le premier moulin à farine de la région s’est ouvert au bord de la rivières des Aulnaies, à Hébertville. En 1862, les gens des villages des alentours allaient y faire moudre tous les grains de leurs céréales : l’orge, le sarrasin, le blé, l’avoine et le seigle. «Ça faisait du pain brun, mais on trouvait ça bon, raconte Thomas Coulombe. Bien souvent, on ne cuisait pas cette farine en pain, on faisait la pâte en galettes cuites sur le poêle.» Et Alphonse Parent ajoute que «le premier moulin et les meules ont été construits par Thomas Jamme. La moulange était un gros caillou. Ella a servi longtemps: elle nous faisait du bon pain brun. Le pain des meules est beaucoup meilleur que l’autre.»

Le moulin avait presque toujours 3 étages. Le premier étage avait une scie qui permettait de faire les boîtes à bleuets et les bardeaux de cèdre et de cyprès (épinette rouge).Le deuxième étage était consacré aux farines et le troisième servait au cardage de la laine. Le deuxième étage était équipé de meules amovibles qu’on changeait selon le type de céréale à moudre. Il y en avait 5 au total, dont deux pour faire la nourriture des animaux. Celles-ci enlevaient le son du grain et donnaient une mouture grossière. Deux autres étaient consacrées à la farine pour faire le pain, les galettes, les crêpes et les pâtes diverses des tartes, pâtés, poudings, etc. La dernière, plus petite, était faite en émeri et servait à moudre les grains d’orge. En 1880, les cultivateurs du sud-ouest du Lac semaient, en plus des céréales importantes pour nourrir les animaux et les hommes,— comme l’avoine et le blé,— du maïs, de l’orge, du seigle, du sarrasin, des pois à soupe et des pommes de terre. Et tout le monde se faisaient un potager, près de la maison.

Les Frères Ouvriers qui ouvrirent, dans les années 20,  un orphelinat destiné à former des agriculteurs, à Vauvert (Saint-Henri-de-Taillon), expérimentèrent plein de choses dans les terres sablonneuses du secteur. Au niveau des légumes du potager, ils plantèrent des fraises, des tomates, des haricots secs, des lentilles, des petits pois, des navets, des carottes blanches et des rutabagas (choux-siam). Ils essayèrent même de planter des pommiers qu’ils réussirent à faire produire au Canton Racine. Leur apport le plus important a été de découvrir que la terre du nord du Lac Saint-Jean était plus propice à la culture de la pomme de terre qu’à celle des céréales. À part l’avoine et l’orge, les autres céréales prenaient plus de temps à mûrir. En plus de ces cultures, les Frères Ouvriers réussirent bien leurs élevages de bétail, de moutons et de chevaux.

Mais ils n’étaient pas exceptionnels sur cette question. La grande majorité des premières fermes du Lac avaient leurs troupeaux de moutons pour la laine, le cuir de leur peau et pour la viande. Écoutons ce que Mme Émilie Gagné-Dufour nous dit, à ce propos, en 1900 : «Les cultivateurs élevaient des moutons, mais pas tous. Ils pouvaient avoir une dizaine de moutons. On mangeait du mouton. Dans ce temps-là, on ne disait pas qu’on mangeait de l’agneau. Aujourd’hui, on est difficile. On mange de l’agneau, c’est meilleur. Mais dans le temps, on mangeait du mouton. À la maison, franchement, on n’affectionnait pas beaucoup le mouton. Mon père aimait cela, mais nous autres, on en avait le dédain. On ne prenait pas la peine d’y goûter. Je pense que je n’en ai jamais mangé. Le boucher vendait du sang de mouton. On l’aimait en sauce. La sauce au sang de mouton, c’était bon. Mais la viande comme tel… On n’aimait pas le goût. C’est peut-être la façon de l’apprêter. Aujourd’hui, on y ajoute un peu de vin et c’est très bon. Mais il y en avait sûrement qui mangeaient la viande. Il fallait bien qu’elle se mange, surtout ceux qui l’élevaient. C’est une bonne viande en soi.»

Chaque ferme élevait aussi ses porcs pour l’année. En plus des rôtis, on se faisait des cretons, de la tête fromagée, des saucisses et du boudin avec les boyaux du porc. Certains faisaient leur saucisse juste au porc, d’autres au porc et au bœuf et même au porc et au gibier qu’on avait sous la main, comme du lièvre ou de l’orignal. Mais c’est le lard salé qui avait le plus la faveur des gens. Le Lac-Saint-Jean s’est fait une spécialité du porc lourd et très gras. On l’envoyait sur pied, dans des wagons ajourés, sur le marché de Montréal.

Le bœuf et la vache étaient aussi élevés sur chaque ferme. Avant 1885, on en élevait pour les besoins familiaux. Viande, lait, crème pour faire le beurre si nécessaire à la cuisine des jours maigres permettaient de bien vivre sur la ferme. Avec l’arrivée du train, on put songer à faire plus de beurre et surtout plus de fromage pour l’exporter vers l’extérieur. Le Lac-Saint-Jean s’est donné toute une réputation pour ses fromages cheddars. Qu’on pense seulement au fromage Perron de Saint-Prime qui a gagné ses lettres de noblesse jusqu’à la table de la reine d’Angleterre. C’est Damase Jalbert qui ouvrit la première fromagerie du Lac-Saint-Jean, derrière son magasin général, à Métabetchouan, en 1886. Son fromager s’appelait Louis Hudon. Une autre fromagerie s’ouvrit à Saint-Gédéon en 1886. Son fromager propriétaire, Jos Girard, était allé apprendre à faire du fromage de M. Évariste Simard à Bagotville. Par la suite, chaque village construisit sa fromagerie.

En plus de l’élevage du bétail, il faut absolument parler de l’élevage de la volaille. Ce sont les femmes, les enfants et les «vieux» qui les soignaient. On ramassait les plumes et les œufs et l’on mangeait tout des volailles. Poules, coqs, chapons et poulets, dindes et oies domestiques étaient sur chaque ferme. Quelques-uns avaient, en plus, des canards domestiques.

Vers 1920, les moines cisterciens de la Trappe commencèrent à faire des conserves avec leurs viandes et leurs légumes de jardin : haricots jaunes et verts, pois verts, poulet, bleuets étaient les conserves les plus demandées. Ils ouvrirent par après une confiserie qui vendait entre autres, du chocolat aux bleuets. Tous les touristes qui passent devant l’ancienne abbaye arrêtent encore s’en chercher. Voilà qui termine le tour du garde-manger jeannois.

Ses recettes  

La liste qui suit donne un bon portrait de la cuisine jeannoise d’origine franco-québécoise, de toutes les générations depuis le début du XIX e siècle. Grâce à ma parenté, à mes amis, aux nombreux aînés et aînées rencontrés dans les Centres d’hébergement, aux Sociétés historiques et aux témoignages des 800 vieillards interviewés à partir de 1935, par les étudiants du Séminaire de Chicoutimi de Mgr Victor Tremblay, j’ai pu relever assez de faits pour dresser un portrait fidèle de la cuisine pratiquée au Lac-Saint-Jean. Et malgré son éloignement des grands centres, le Lac-Saint-Jean est toujours resté ouvert aux différentes modes culinaires qu’a vécues le Québec. L’abbaye cistercienne et       l‘orphelinat agricole établi à Vauvert par une communauté française ont ouvert les gens du haut du lac à de nouvelles techniques agricoles de même qu’à de nouveaux produits. Plus tard, la construction des barrages et des usines dans la région d’Alma ont permis aux gens de l’est de la région de s’ouvrir au monde entier, comme je l’ai signalé plus haut. La liste témoignera donc de tout cela.

Les spécialités du déjeuner 
Catalogne du lac Saint-Jean (grosse crêpe épaisse semblable à un pain ou une galette
Crêpes de blé entier aux bleuets
Fèves au lard au canard sauvage
Fèves au lard dans le sable de la rivière Mistassini (recette de mes parents)
Galettes noires de Métabetchouan, cuites sur le poêle (mélange de farine de seigle et de sarrasin) mangées avec des grillades ou du lard salé bouilli froid
Pain dans le sable des Innus
Pain de ménage roulé et farci aux lardons crus
Pain de ménage sucré aux bleuets séchés 

Les entrées, collations et petits repas 
Aspic de doré aux olives vertes et céleri en moules individuels
Aspic de ouananiche, doré et touladi en gelée, décoré de rondelles d’œufs  durs, persil et quartiers de citron
Caviar de carpe rouge ou noire (meunier) sur biscotte avec bière
Chaussons au doré, fromage, oeufs durs, feuilles de céleri et échalotes
Concombres farcis à la salade de truite mouchetée au fromage blanc et mayonnaise et aneth
Croûtons à la ouananiche (Mélange de ouananiche cuite avec mayonnaise, fromage Velveeta fondu, poivron vert, cornichons sucrés, échalotes vertes, déposé sur du pain baguette tranché)
Doré ou brochet fumé coupé en lamelles avec rondelles d’oignon dans le vinaigre à l’ail et sirop d’érable
Du pain pi du lait (pain déchiqueté arrosé de lait, de sucre et de petits fruits sauvages frais, en guise de repas léger ou de collation)
Mousse au jambon ou poulet ou saumon
Mousse de truite ou ouananiche en conserve maison
Oeufs de touladi mangés crus avec un filet de vinaigre
Pain de patates pilées à la farine d’orge servi avec beurre
Pois grillés (pois à soupe gonflés à l’eau et grillés comme du pop-corn) salés
Salade de champignons sauvages marinés de Mistassini
Salade de haricots jaunes et verts, radis, laitue et cheddar doux
Salade de ouananiche au poivron vert, échalotes vertes et céleri, liés à la mayonnaise sur feuille de laitue
Sauce trempette au fromage à la crème et cheddar mi-fort
Tarte au siam (rutabaga en purée)
Truite mouchetée en conserve servie sur biscuits soda avec mayonnaise et petites rondelles d’oignon

Les soupes
Bouillon de boeuf de Sainte-Monique à la poulette grasse
Bouillon de boeuf du printemps, aux feuilles de céleri, de laitue, de poulette grasse, de rondelles de poireau, d’échalotes vertes et de pousses nouvelles de chou
Bouillon de relevailles (poule)
Chaudrée de doré, de pommes de terre, oignons et lait, de Saint-Méthode
Chowder de brochet, corégone ou loche de Mashteuiatsh
Crème de perdrix
Potage Albanel (crème de gourganes, bouillon de poulet et jus de tomate)
Soupe à l’ivrogne (pain, oignon et corps gras)
Soupe à l’orge aux gourganes, carottes et sarriette fraîche du jardin
Soupe à l’orge aux herbe salées (queues d’oignon, poireau, persil, sarriette, carottes en dés)
Soupe à la perdrix et poulette grasse
Soupe à la truite aux pommes de terre, poireau, céleri et carottes avec lait
Soupe à la truite mouchetée avec pommes de terre, bacon et jus de tomate
Soupe au chou à l’os de jambon, oignon et céleri, allongée de crème sûre de l’Île-Maligne, à la manière autrichienne
Soupe au doré de Saint-Méthode avec légumes et crème
Soupe au lièvre (wapush lushkanapui)
Soupe au navet du grand feu, avec cassonade et persil
Soupe au naveaux (rabioles) de Saint-Gédéon
Soupe au pain au lard salé et à l’oignon
Soupe au pain et au riz à la graisse de rôti de porc
Soupe au poisson blanc de Pointe-Bleue
Soupe au riz de pâte partie au beurre avec les premières feuilles et herbes du jardin
Soupe au riz de pâte, gourganes, herbes salées et lard salé
Soupe au saumon, légumes, macaronis et lait de Saint-Félicien
Soupe aux feuilles et légumes de Lac-Bouchette
Soupe aux gourganes, carottes, pommes de terre, céleri et orge
Soupe aux gourganes, chou et rutabaga de Saint-Léon
Soupe aux patates écrasées, oignon, lait et cheddar râpé de Saint-Prime
Soupe aux pétards de Saint-Félicien (silènes enflés)
Soupe aux pissenlits de Saint-Bruno faite avec orge, gruau ou riz de pâte
Soupe aux tomates vertes en dés avec lait, beurre et sucre
Soupe de ouananiche et de légumes du Lac-Saint-Jean
Soupe de poisson de Saint-André-du-Lac-Saint-Jean (touladi et brochet)
Soupe de riz de pâte à la poulette grasse de Saint-Cœur-de-Marie
Soupe innue à la queue de castor
Soupe juste à la poulette grasse  de Saint-Henri-de-Taillon
Soupe longue à la ouananiche à la manière montagnaise (tranches de ouananiche bouillies 3-4 h avec oignon et pommes de terre en gros morceaux, réduite en bouillie avec les arêtes écrasées à la fourchette 

Les plats principaux

De la forêt

Les poissons
Beignets de doré avec légumes en sauce aigre-douce à la chinoise
Bouilli de brochet et pommes de terre au lard salé à la mode de Pointe-Bleue
Brochet à la crème de sarriette du jardin
Brochet bouilli au lard salé
Brochet en filets pochés sur une fricassée de patates
Brochet rôti servi avec une omelette et des pommes de terre de Saint-Gédéon
Casserole de filets de doré, échalotes, champignons et crevettes, gratinée au four
Casserole de ouananiche cuite en alternance avec des biscuits soda émiettés, le tout arrosé de lait et cuit au four
Casserole de truite aux croustilles, pois verts et crème de champignons
Croquettes de riz collant et biscuits soda aux restes de truite mouchetée ou touladi, frites dans l’huile chaude
Doré de Desbiens farci à la macédoine en béchamel épaisse
Doré farci aux patates râpées de Mashteuiatsh
Filets de doré dans une sauce à la bière, aux tomates et estragon
Filets de doré de la rivière Mistassini rôtis avec de l’oignon dans de la graisse de lard salé, accompagnés de patates en carriole (pommes de terre sautées à crus dans la graisse de lard salé avec oignons) et de salade à la crème et échalotes (recette de ma mère)
Filets de doré pochés au cidre, servis avec des pommes passées au beurre et le jus de cuisson épaissi
Filets de doré pochés aux petits légumes (carottes, céleri, poireau, pois mange-tout)
Filets de doré poêlés avec un gratin d’épinards au cheddar
Fish and chips de brochet avec frites maison
Fricassée de morue salée des chantiers
Gratin de filets de doré à la crème et biscuits soda
Lasagne de corégone au cheddar Perron de Mashteuiatsh
Loche de Saint-Gédéon au vin blanc, au four
Loche ou lotte poêlée au beurre, servie avec une sauce au vin blanc et au cognac
Macoucham à la truite et aux tranches d’orignal en alternance avec lamelles de pommes de terre et oignons, comme au Lac-Bouchette
Ouananiche au four arrosée de crème de champignons délayée avec de la crème, du vin blanc et du jus de citron
Ouananiche aux patates à la montagnaise
Ouananiche de l’Ashuapmouchouan pochée au court-bouillon et servie avec une sauce à l’ail et à la crème, faite à partir du bouillon de cuisson épaissi
Ouananiche entière cuite en papillote au four, sur un nid de légumes au citron et vin blanc
Ouananiche farcie à la chapelure, céleri, champignons, ail et persil
Ouananiche farcie à la chapelure et aux champignons, entourée de crème à l’ail en finale
Ouananiche farcie au pain, oignon, céleri et persil
Ouananiche farcie au pain, oignon, persil et champignons
Ouananiche farcie au riz aux carottes râpées et céleri de Val-Jalbert
Ouananiche pochée servie avec une sauce aux œufs  durs
Pain de doré à l’ancienne avec pain déchiqueté, oignon, œuf et herbes salées
Pain de ouananiche cuit au bain-marie et servi froid avec une mayonnaise aux câpres, échalotes vertes et caviar de lump rouge (recette de Roberval)
Pâté à la truite mouchetée avec pommes de terre en dés, oignons, truite cuite et crème épaisse
Poisson blanc (corégone) enveloppé de sel et de papier journal bien mouillé et cuit dans un feu de bois, à travers les flammes, 10 m
Poisson dans le sable à la manière innue (ouananiche, doré, corégone, brochet, touladi)
Riz et sachet de soupe aux légumes servi avec filets de brochet dorés au beurre
Rondelles de loche poêlées et servies avec une sauce tomate maison, parfumée au cognac comme à Saint-Bruno
Roulés de doré mariné au cari et jus de citron, farcis au pain, tomates et échalotes
Sauce blanche au saumon de Saint-Félicien
Touladi cuit en papillote avec rondelles d’oignon
Tourtière à la ouananiche avec crème et oignon
Tourtière de ouananiche au lard salé et eau
Tronçons de brochet aux grillades de lard salé avec rondelles d’oignons comme à Mistassini
Truites de ruisseau poêlées avec de la petite oseille mises à la dernière minute
Truites mouchetées enrobées de chapelure de Corn Flakes, rôties dans la poêle et servie avec des frites
Truite mouchetée en soupe épaisse aux pommes de terre en dés, oignons, sarriette et crème, servie sur du pain grillé beurré (appelé Accaé)
Truites en papillotes avec carottes, courgettes, tomates et poivron vert
Truites farcies au pain, céleri, oignon et tomate en dés cuite au four , servie avec une sauce aux champignons
Truites mouchetées farcies à la chapelure, champignons et graines de fenouil, enrobées de bacon et cuites au four

Les oiseaux
Canard noir farci au pain, oignons et épices à volaille, saupoudré d’épices et bardé de lard salé
Outarde bardée de lard salée rôtie au four et servie avec purée de pommes de terre
Outarde, farcie au pain, aux abats, persil et sauge, rôtie sur une claie au four
Oie blanche farcie aux pommes, comme au rang des Îles
Pâté à la viande de canard sauvage des îles et porc haché
Perdrix au chou (rôties entières, bardées de lard salé et placées enveloppées de chou et d’oignon haché)
Perdrix bouillie, désossée et poêlée au beurre
Perdrix sur feu de camp
Tourtière au canard d’Alma 

Le gibier
Amourettes de jeune orignal, dégorgées à l’eau froide et poêlées au beurre
Bouilli de lynx et lard salé avec pommes de terre, chou et carottes
Castor aux légumes de Pointe-Bleue
Castor bouilli 30 m et mis à cuire comme une dinde, saupoudré de toutes-épices
Chiard au caribou et porc en conserve (genre de fricassée de pommes de terre)
Choux-cigares à l’orignal
Civet de lièvre
Cipâte à l’orignal et au lièvre avec porc haché (recette différente de la tourtière parce qu’on intègre des rangées de pâte entre la viande et les pommes de terre en dés)
Fricassée au siffleux d’Albanel
Fricot d’orignal avec du poulet, servi avec des pâtes (grands-pères)
Foie d’orignal avec une sauce au thé noir
Foie d’orignal au bacon
Foie de castor simplement poêlé avec sauce au thé noir
Fondue chinoise aux boulettes d’orignal haché
Fondue d’orignal ou de chevreuil
Gibelote de lièvre aux patates et au chou-siam
Langue d’orignal en dés sautés dans le beurre avec pommes de terre et oignons en dés
Lièvre aux tomates et lard salé
Lièvre cuit dans le sable de Pointe-Bleue
Lièvre et perdrix bouillis avec pommes de terre, oignons et pâtes de bannique
Lièvre grillé sur la braise
Lièvre ou lynx farci aux gourganes et riz cuits, porc haché, oeuf et sauge
Loup-cervier bardé au bacon de Saint-André
Macaronis en coudes à la langue d’orignal bouillie et coupées en dés
Macaroni au caribou et porc en conserve avec ou sans tomates.
Macaronis longs au loup-cervier (lynx)
Museau d’orignal bouilli puis sauté dans la graisse d’ours
Orignal au vin rouge des Guill
Orignal en conserve servi en ragoût, en pâté chinois, en macaroni, par la suite
Orignal et porc en conserve
Pabo (lièvre et perdrix en ragoût)
Pabaï (pabo mis dans une lèchefrite recouvert de galettes de bannique non cuite)
Pain de viande d’orignal aux tomates et feuilles de céleri
Pâté de lièvre en ragoût
Porc-épic grillé sur la braise et servi en tranches
Porc-épic rôti sur la braise avec une poêlonnée de pommes de terre rôties à cru
Porc et lièvre bouillis aux grands-pères de Mashteuiatsh
Queue de castor frite
Ragoût d’orignal en conserve
Ragoût de compérage (au coq avec lièvre et perdrix) (fête de baptême)
Rosbif d’orignal aux champignons
Rosbif d’ours, de chevreuil, d’orignal
Rôti de lynx et porc
Rôti de porc-épic au four
Saucisse au lièvre et porc haché
Saucisses d’orignal et porc haché
Sauté de langue de caribou bouillie puis coupée en cubes avec pommes de terre et oignons en dés
Siffleux (marmotte) rôti au four avec grands-pères
Steak d’orignal farci au poivron vert, oignon et champignon
Steak d’ours, de chevreuil, d’orignal
Steak de porc-épic poêlé
Tourtière à l’ours, orignal ou chevreuil
Tourtière au lard salé, porc, lièvre, pommes de terre et sauce soya
Tourtière au lièvre avec la tête réservée à celui qui l’a chassé, marqué par un X en pâte sur le dessus de la tourtière -0 FR et BR
Tourtière du Lac-Saint-Jean à l’orignal, lièvre, perdrix et porc avec ou sans épices - FR et BR

De la ferme
Concombre farci au vermicelle cuit, mie de pain, céleri, tomate, œuf, saupoudré de chapelure et cheddar râpé
Cuisses de lapin aux bleuets
Pouding au pain au fromage fort de Saint-Prime
Sauce à la poche des chantiers (sauce au roux brun fait avec farine et graisse de lard salé)
Tourtière de lapin du Lac-Saint-Jean, avec céleri et carottes en dés en plus des pommes de terre en dés
Tourtière du Lac-Saint-Jean au lard salé, bœuf, porc et poulet ou lapin ou veau avec ou sans épices ou herbes

 

Les desserts
Bagatelle aux bleuets de Saint-Félicien
Bavarois aux bleuets de Mistassini
Biscuits aux bleuets à la farine de blé entier
Carrés de biscuits Graham aux bleuets et crème fouettée
Cipâte aux framboises
Commandos (galette garnie de confiture de framboises et meringue)
Coulisses dans le sirop d’Hébertville (œufs battus versé dans du sirop d’érable ou de la mélasse bouillante)
Crêpes aux bleuets de Roberval
Feuillantines aux confitures d’Hébertville
Galettes à la branche (taillées en forme de main avec les doigts) frites dans le suif de bœuf bouillant)
Galettes à la farine d’avoine avec confiture de bleuets
Galette à l’âni (brioche en forme de pain rond parfumée au carvi sauvage ramassé dans les fossés, tranché et mangé avec de la confiture de petites fraises dans le temps de Pâques) (recette des Ouellet d’Albanel)
Galettes blanches à l’anis
Mousse aux atocas
Nuage aux framboises avec une sauce anglaise (blancs d’oeufs battus avec sucre et framboises fraîches)
Pain d’épices au café et aux noisettes
Pain de bleuets des Montagnais (bleuets séchés entassés en pain et coupés en tranches)
Pouding à la vapeur aux atocas avec une sauce à la cassonade
Pouding au suif aux raisins et noisettes sauvages
Pouding aux bleuets avec une pâte à gâteau blanc déposée sur des bleuets sucrés  (Cobbler)
Poutine aux bleuets dans le poêlon de Saint-Félicien
Rissoles (petites demi-lunes farcies aux petits fruits et frits dans l’huile)
Rouleau de pâte à tarte farci aux bleuets frais sucrés, servi en tranches chaudes avec une sauce au jus et zeste d’orange ou de citron
Six-pâtes aux petits fruits (alternance de pâte à tarte et de petits fruits sauvages mélangés, saupoudrés de sucre)
Talle de bleuets de Péribonka (dessert aux bleuets frais mis en gelée avec une sauce anglaise dans un moule individuel, recouvert de fromage cottage au zeste de citron et d’une meringue aux bleuets frais sur le dessus)
Tarte à la confiture de fraises
Tarte au sirop d’érable du Mont Lac-Vert
Tarte aux atocas
Tarte ou pâté aux bleuets
Tarte aux framboises sauvages
Tarte aux petites fraises des champs
Tarte aux pruneaux locaux (on faisait sécher les prunes sur du papier-journal au grenier) de Saint-Méthode
Tarte des nonettes (abaisse de pâte tapissée de fines tranches de lard salé, recouvertes de tranches de pommes, arrosées de mélasse et saupoudrées de cannelle, muscade et clou et recouverte d’une autre abaisse pour la cuire 1 1/2 h au four

Les boissons
Bière d’épinette blanche et noire
Vin d'épinette rouge ou «sang-dragon» de Saint-Bruno
Vin de bleuets
Vin de cassis
Vin de cerises à grappes
Vin de cerises, framboises et salsepareilles de grand-maman Ouellet
Vin de gadelles rouges
Vin de masco (cormier ou sorbier)
Vin de pissenlit
Vin de trèfle
Vin noir (gadelles noires)