La cuisine de la Rive-Sud de Montréal
La Rive-Sud est aujourd’hui une succession de villes plus ou moins grandes qui suivent la rive sud du fleuve Saint-Laurent, en face de l’ile de Montréal. Elle commence aux frontières de Sorel, au nord-est, et s’étale jusqu’à Chateauguay, au sud-ouest. C’est en quelque sorte le prolongement de la métropole. Elle a cependant une histoire qui remonte bien au-delà de la fondation de Montréal, en 1642. La région a longtemps été inondée par le fleuve Saint-Laurent qui couvrait, il y a plus de 6 000 ans, la presque totalité de la plaine du Saint-Laurent. Seul émergeait le mont Royal, au-dessus des eaux. Lorsque le glacier continental eut fini de fondre, il a fallu presque 4 000 ans avant que les eaux atteignent la hauteur d’aujourd’hui, en dégageant le fond glaiseux de la plaine et en accueillant ensuite une forêt décidue dominée par les érables et les chênes.
SES GARDE-MANGER
LE FLEUVE SAINT-LAURENT, SES RIVES ET SA FORÊT ENVIRONNANTE
Les poissons de la région sont particulièrement variés et ont attiré historiquement toutes les ethnies de la région. À cause des rapides de Lachine, la pêche a toujours été bonne au pied de ceux-ci, des deux côtés du fleuve. On y prend des poissons connus autant qu’inconnus des gens-même de la région : poisson castor, anguille, grand corégone, truite arc-en-ciel, truite brune, omble fontaine ou truite mouchetée, touladi, éperlan, grand brochet, maskinongé, brochet maillé, carpe allemande, couette, meunier noir ou rouge, carpe blanche ou rouge ou jaune, barbotte brune, lotte, crapet de roche, crapet-soleil, achigan à petite bouche ou à grande bouche, marigane, perchaude, doré noir ou jaune, malachigan, saumon Coho d’élevage, etc.
Autrefois, on y pêchait aussi des moules d’eau douce comme des écrevisses qui étaient très abondants sur les rives de La Prairie, Brossard jusqu’à Longueuil. Les archéologues qui ont fouillé la région nous disent que les escargots même étaient très abondants dans la région et qu’ils ont toujours été consommés par les autochtones avant l’arrivée des Français qui les appréciaient aussi. Enfin, les marécages nombreux de la région fournissaient, autrefois, de nombreuses grenouilles et ouaouarons qui faisaient la joie des colons français autant que des Iroquoiens de la région ou des Grands-Lacs ontariens. Ce sont les Hurons qui ont fait connaître les ouaouarons aux Français, comme le raconte Pierre Boucher, en 1664.
La région accueillait autrefois de nombreuses espèces de canards et d’oiseaux de marécage, aujourd’hui disparus. Les canards noirs et les colverts étaient les plus nombreux et les plus consommés par nos ancêtres. Ils chassaient aussi la bécasse et la gélinotte huppée. Le dindon sauvage était quelquefois aperçu au sud-ouest de la région. Enfin, le rat musqué fut largement adopté par les colons français qui aimaient son odeur au contraire des autochtones qui ne l’aimaient pas du tout et qui le consommaient qu’en cas de besoin. Enfin, la Rive-Sud a longtemps accueilli de larges troupeaux de vaches sauvages qu’on appelle wapitis, aujourd’hui. Ces bêtes ont longtemps remplacé le bœuf sur la table des colons de la région. Les cerfs à queue blanche et les orignaux faisaient aussi partie du garde-manger sauvage de la région. Enfin, la région était riche en fruits sauvages comme les mures, les framboises, les petites fraises, les raisins sauvages, les catherinettes, les noix et noisettes. Les colons du XVIII e siècle exploitèrent tous une érablière dont ils vendaient le sirop excédentaire aux Montréalais.
LA FERME
La richesse de la terre régionale, particulièrement à partir de Verchères jusqu’à Châteauguay, a facilement nourri les colons de diverses origines qui s’y sont installés. Parce que la région était régulièrement inondée, le printemps, elle était naturellement enrichie par les dépôts les plus riches des terres en amont de la région. On pouvait facilement cultiver, au XVIIe siècle, des lentilles et des pois chiches. Les gourganes, cependant, n’y venaient pas bien. C’est pourquoi on finit par abandonner sa culture. Ce sont les céréales et les légumineuses qui occupaient le plus de place dans les champs. Le blé en premier, jusque dans les années 1830, puis les légumineuses et les légumes pour vendre après la crise du blé. On a été parmi les premiers au Québec, à construire des glacières pour garder les aliments plus facilement en été. Les fermiers se construisaient tous des cabanes avec des carrés de planche dans lesquels ils déposaient la viande abattue en hiver, le poisson pêché sous la glace et certains produits cuisinés à l’occasion du temps des Fêtes. On les plaçait dans des contenants qu’on couvrait de blocs de glace qu’on allait chercher dans le fleuve, au mois de janvier et qu’on recouvrait d’une épaisse couche de bran de scie pour les empêcher de fondre pendant l’été. Ces glacières ont existé jusqu’à l’installation de l’électricité dans la région, après la première Guerre mondiale. On avait perfectionné la technique de sorte qu’on pouvait conserver des aliments aussi longtemps qu’aujourd’hui, avec nos réfrigérateurs électriques. Certains conservaient leurs viandes dans des barils qu’on plongeait dans l’eau glacée puis qu’on remplissait de grains d’avoine dans lesquels on enfouissait les rôtis de viande congelés individuellement après l’abattage. On enfouissait ces barils glacés dans des carrés de planches remplis de bran de scie. Lorsque l’appertisation est arrivée au milieu du XIXe siècle, ces glacières devinrent moins fréquentes. On trouvait plus simple de mettre la viande en conserve lorsqu’il y avait des dégels.
SES FONDATEURS
LES AUTOCHTONES
Les Archaïques laurentiens ont habité la région de 6 000 ans à 3 000 ans avant aujourd’hui. L’Archaïque post-laurentien aurait vu naitre les civilisations iroquoïenne et algonquienne au sud et au nord des Grands Lacs ontariens, 1 000 ans avant notre ère. Les Iroquoïens se sont ainsi installés à Montréal où ils ont pratiqué l’agriculture à partir de l’an 1 000 de notre ère. La Rive Sud était certainement fréquentée par eux comme territoire de pêche, de chasse ou de cueillette. C’est eux que Jacques Cartier a rencontré lorsqu’il est venu à Montréal, en 1535. Mais lorsque Champlain est revenu en 1603, ils étaient disparus de la carte. La Rive-Sud de Montréal était régulièrement visitée par une nation originaire de l’État de New York, du côté ouest du lac Champlain, les Iroquois Agniers. Certains d’entre eux venaient même passer l’été à Montréal puisque Champlain raconte avoir trouvé de leurs jardins, en 1603, sur l’ile de Montréal, en face de La Prairie. On a l’impression, aujourd’hui, qu’ils considéraient ce nouveau territoire comme une extension de leur propre pays, même s’ils n’y avaient pas de village, à proprement parler. On les verra encore plus souvent sur la Rive Sud lorsque les Français s’installeront définitivement sur l’ile de Montréal, en 1642. C’est là qu’ils prépareront leurs nombreuses attaques des Français de 1650 à 1701, l’année de la signature de la paix entre eux et les Français de la Nouvelle-France. Les missionnaires jésuites inviteront les Iroquois convertis au catholicisme à venir s’installer dans une seigneurie concédée à leur communauté, dans le vieux La Prairie actuel. D’autres Iroquois ontariens viendront les rejoindre assez rapidement, dont les Mohawks. Quelque temps après, plusieurs Français de Montréal ou de Québec se mêleront à eux pour faire la traite des fourrures à La Prairie. À cause de la mauvaise influence que les Français avaient sur leurs mœurs, les Jésuites déménagèrent leur mission à Sainte-Catherine, puis à Kahnawaké, plus à l’Ouest. Leur village s’est transformé en réserve amérindienne en 1850, désormais à majorité mohawk.
LES FRANÇAIS
Les Français ont construit un fort à La Prairie, en 1667, qui fut attaqué par les Iroquois non catholiques, en 1687. Les paysans des lieux se faisaient régulièrement brûler leurs champs et leurs bâtiments de ferme et plusieurs ont été tués par eux alors qu’ils travaillaient aux champs. C’est pourquoi la plupart des Français sont retournés vivre à l’intérieur des murs de Montréal. Il fallut attendre la signature de la Paix des Braves, en 1701, pour voir une véritable colonisation française s’installer sur la Rive-Sud. Les premiers colons furent des soldats venus combattre les Iroquois avec le régiment Carignan-Salières. En 1672, le gouverneur français concédait une série de seigneuries sur la Rive-Sud aux officiers qui voulaient demeurer au Canada. Ils s’établissaient généralement avec leurs soldats qui devenaient leurs censitaires. La seigneurie de Longueuil était concédée à Charles Lemoine, en 1772 et il installait ses censitaires originaires de Montréal en 1675. La plupart venaient de la Normandie, de la Loire et de Paris. Il leur construisit un fort et planta un magnifique verger sur l’ile Sainte-Hélène.
LES BRITANNIQUES
En 1745, la guerre entre la France et l’Angleterre reprit. En 1755, la France fortifia la voie du Richelieu en construisant des forts tout le long du Richelieu et du lac Champlain. Mais ils perdirent, un a un, le contrôle de ces forts. En 1760, le colonel anglais William Haviland s’emparait du fort de La Prairie. Par la suite, le général Murray établi à Varennes faisait capituler Montréal, sans effusion de sang, le 8 septembre. Le traité de Paris serait signé 3 ans plus tard. Seuls quelques soldats anglais s’installèrent dans l’ancien fort de La Prairie. C’est la construction du premier pont sur le fleuve, entre la Rive-Sud et Montréal qui amena des familles anglophones à s’installer dans la région. Des cheminots anglophones s’établirent dans la seigneurie de Mouille-Pied (Saint-Lambert), à côté du pont Victoria, à partir de 1855. Leurs descendants fondirent ensuite Greenfield Park.
LES LOYALISTES
En 1775, la nouvelle colonie anglaise allait être attaquée par les Américains qui voulaient leur indépendance. Les soldats anglais durent se battre contre leurs congénères anglophones. Ils réussirent à garder la nouvelle colonie à l’Angleterre.
Les Américains qui voulaient demeurer fidèles au roi d’Angleterre eurent la permission de quitter leur pays pour venir s’installer au Canada. En 1812, les Américains se joignirent aux armées de Napoléon qui voulait libérer les pays dirigés encore par les aristocrates et une royauté. La région fut de nouveau visitée par les Américains en 1812. On signa la paix entre les États-Unis et le Canada en 1814.
Mais la région vécut une autre guerre civile à partir des années 1835. Plusieurs citoyens francophones et anglophones de la région voulurent aussi se débarrasser de l’autorité anglaise; ils se nommaient les Patriotes. On connait la suite, leur révolte fut mâtée par l’armée britannique qui en a exécuté plusieurs et exilés d’autres en Australie. Suite à cette grande déception, des milliers de gens de la région décidèrent de quitter la région pour aller s’établir aux États-Unis. Les Franco-Américains invitèrent à leur tour les membres de leur famille restée au Québec à venir travailler dans les nouvelles industries de la Nouvelle-Angleterre.
LES ACADIENS
Ce sont les régions voisines qui ont accueilli les premiers Acadiens, en 1758. Mais quelques-uns se sont installés à Contrecoeur et à la frontière de La Prairie, en 1768. Cet établissement devint Sainte-Marguerite-de-Blairfindie, appelée simplement L'Acadie, aujourd'hui.
CONCLUSION
La cuisine de la Rive-Sud est aujourd’hui méconnaissable. La région est dominée par des familles venues de partout, au Québec, et du monde entier. Cette majorité n’a pas de racine locale et pratique une cuisine qui suit les modes actuelles. Les épiceries locales sont pleines de produits importés qui trouvent preneurs. On entend beaucoup parler chinois, arabe, espagnol et indien en plus du français et de l’anglais. Personne ne connait la véritable cuisine de la Rive-Sud; on ne peut la trouver ni dans les restaurants ni dans les familles sinon dans quelques familles de certains endroits comme le vieux Longueuil, le vieux La Prairie et le vieux Beauharnois ou Châteauguay où j’ai rencontré d’authentiques vieilles recettes avec les poissons du fleuve, comme la bouillotte au maillé et toute la cuisine mohawk exploitant le maïs sous toutes ses formes. On consultera ce site pour prendre connaissance de recettes cueillies dans la région.