La cuisine de Lotbinière, Lévis et Bellechasse

Cette région occupe la plaine du Saint-Laurent, sur une centaine de kilomètres, juste en face de Québec. On l’appelle de plus en plus « la Rive-Sud de Québec » comme on parle de la Rive-Sud de Montréal. Lévis est le grand centre urbain de la région, flanqué à l’est, de la région de Bellechasse, et à l’ouest, de la région de Lotbinière. Deux auteurs ont décrit amoureusement cette région : Louis Fréchette et Joseph-Edmond Roy, historien de la grande seigneurie de Lauzon qui couvrait toute la région, au XVIIe siècle.

SES GARDE-MANGER

LE FLEUVE SAINT-LAURENT

C’est vraiment l’anguille qui a attiré les fondateurs de la région dans cette section du fleuve. Les nations algonquiennes faisaient des centaines de kilomètres pour venir faire des provisions d’anguille fumée, l’automne. Mais ils ne s’y installaient pas. Ce sont les Français qui s’y sont installés au point de départ pour faire le commerce du poisson. L’anguille de la région a même tenu lieu de monnaie, dans la région. On l’échangeait contre d’autres denrées ou des outils de nécessité pour la ferme familiale. La raison qui amenait autant d’anguilles dans la région est le fait que les anguilles qui voulaient se reproduire dans la mer des Sargasses, devaient prendre un certain temps pour s’adapter à l’eau salée du fleuve à partir de l’île d’Orléans pour retourner dans leur lieu d'origine. En plus de l’anguille, la région était riche en poissons anadromes comme le saumon, l’esturgeon noir, l’alose, le bar rayé, le capelan et l’éperlan qui remontaient le fleuve, en amont de Lévis, chaque printemps. La rivière Chaudière était un haut-lieu de pêche, chaque printemps. Les Abénaquis installés sur les rives de La Chaudière, de même que les Français du village de Saint-Romuald, adoraient la carpe de France qui venait frayer localement, chaque été, à la Fête-Dieu. Le nom contemporain de ce poisson est le chevalier cuivré. La rivière Etchemin était une magnifique rivière à saumon, encore bien présent en 1760.

LA FORÊT APPALACHIENNE

Le piedmont des Appalaches avec sa grande forêt d’érables, de chênes et de noyers accueillait les chasseurs d’orignal, de cerf, de castor, de porc-épic, de lièvre, de gélinotte, de canards, de sarcelles, de tourtes et occasionnellement, de caribou des bois qui descendait des Appalaches pour venir boire dans le fleuve légèrement salé. La forêt locale donnait, en plus, de belles provisions de petits fruits sauvages, de noix, de noisettes et de sève d’érable pour faire le sucre et le sirop.

LA FERME

Au début de la colonie, les champs de la région étaient principalement occupés par la culture du blé. Mais avec l’arrivée de la maladie du blé dans les années 1830, on dut s’adonner à d’autres cultures pour survivre. C’est à ce moment qu’on commença à planter, comme les Irlandais installés dans la région de Lauzon, des pommes de terre, de l’orge, du sarrasin et du maïs à semoule comme on le faisait davantage, au tout début de la colonie. Les Abénaquis en semaient d’ailleurs beaucoup sur les rives de La Chaudière où ils s’étaient installés, à l’invitation du gouverneur de la Nouvelle-France. Le Moulin aux Abénaquis continue d’ailleurs à commercialiser ces céréales locales comme le fait de façon traditionnelle, le vieux moulin de Beaumont.

SES FONDATEURS

LES AUTOCHTONES

La région a été largement visitée par les Archaïques puis par les nations de langue algonquienne et de langue iroquoienne au cours des derniers siècles mais les archéologues n’ont pas encore trouvé d’occupation permanente des lieux avant le XVIIe siècle. Ce sont les Abénaquis convertis au catholicisme par les Jésuites qui sont venus s’installer sur les rives de la Chaudière, en 1683. Leur paroisse s’appelait Saint-François-de-Salles. Dès 1684, leur village comptait 500 autochtones d’origine micmac, malécite et surtout abénaquise. En langue abénaquise, les lieux s’appelaient Kikonteku, ce qui veut dire « rivière des champs » parce que tous les abords de la Chaudière étaient cultivés en maïs, courge et haricots rouges. Avec l’augmentation de la population française dans la région, le gouverneur décida de déplacer les Abénaquis dans le Centre-du-Québec, avec leurs congénères installés à l’embouchure de la rivière Saint-François, où se trouve Odanak, aujourd’hui. Mais jusqu’à la fondation du Canada en 1867, la Pointe-de-Lévis continua d’accueillir, chaque année, plusieurs nations de langue algonquienne avec leurs alliés Hurons qui venaient rencontrer le gouverneur de la Nouvelle-France, puis celui du Canada et du Bas-Canada.

LES FRANÇAIS

La Compagnie des Cent Associés distribua la première seigneurie de la région à Jean de Lauzon, le 15 janvier 1636. Mais il fallut attendre 1652 pour voir le premier Français s’y installer. Ce dernier était le célèbre Guillaume Couture, arrivé au pays en même temps que Champlain, en 1608, et envoyé apprendre les langues autochtones chez les Hurons et les Iroquois des Grands Lacs pour installer le commerce des fourrures dans le pays. Ce dernier parlait donc couramment le huron et l’iroquois. La même année, s’installait sur la ferme voisine de Guillaume Couture, François Bissot, premier meunier de la région. Il construisait le premier moulin à farine de la région, en 1655. Puis arrivaient de Suisse, les frères Pierre et François Miville qui se joignaient aux Français précités. Les colons français qui les rejoindraient quelques années plus tard étaient principalement originaires de la Normandie et de 8 autres provinces françaises. La partie ouest de la région appelée Lotbinière se développa plus tard que Lévis et Bellechasse, soit à partir de 1677 seulement. Le premier colon s’appelait Michel Lemay. Au début du XXe siècle, 98% de la région était d’origine française.

LES AUTRES FONDATEURS

Le reste de la population était d’origine anglaise, américaine, irlandaise, allemande, scandinave, belge et française. En 1760, les seigneuries de la région étaient achetées par des marchands anglais et américains. La cuisine anglaise allait donc commencer à s’installer dans les maisons françaises. Puis lorsque les Américains voulurent se libérer du joug du Royaume-Uni, le Canada nouvellement britannique décida de faire appel à des mercenaires allemands pour défendre la région contre l’envahissement des Américains. C’est ainsi qu’après la guerre, en 1783, plusieurs mercenaires allemands se sont installés du côté de Lotbinière où le nouveau seigneur de Lotbinière, Alexander Fraser, les avait invités. Quelques mercenaires allemands épousèrent des francophones et quelques autres allèrent chercher leur fiancée en Allemagne. Ces femmes allemandes transmirent donc l’héritage culinaire allemand à leurs enfants. Ma cueillette de recettes locales avec la présence de la choucroute, du radis noir, du chou-rave prouve cette influence allemande dans la région. Les Irlandais ont commencé à s’installer dans la région à partir de 1815. Parmi les nombreux Scandinaves qui immigraient au Canada, à la fin du XIXe siècle, quelques-uns décidèrent de rester dans la région de Lévis au lieu de se rendre dans l’Ouest canadien où on leur donnait des terres. À la fin du XIXe siècle, l’agronome Barnard du Gouvernement du Québec installait un groupe de 500 Belges et Français dans la région. Puis arrivèrent les premiers Chinois, les Juifs, les Italiens, les Russes, les Polonais et les Roumains qui fuyaient le pays pour différentes raisons. Ces gens sont tous francisés, aujourd’hui.

CONCLUSION

La cuisine de la région ressemble beaucoup à la cuisine de Québec à cause de la majorité française de ses fondateurs. La farine de blé, les produits laitiers, les pommes de terre, le porc, la volaille sans oublier les produits sauvages locaux occupent beaucoup de place dans le menu quotidien, mais il ne faut pas oublier les spécialités régionales amenées par les immigrants comme la salade de radis noirs, les cretons à la mie de pain, la salade de poireau à la crème sure et raifort d’origine allemande, les soupes aux quenelles, au chou frisé (kale) de même origine. Citons enfin la « bouette », mélange de viande hachée et de purée de pommes de terre liquide, descendante du fameux brewis anglais ou irlandais qui mélangeait pain déchiqueté et morue salée. Ce type de repas était presque le repas quotidien des marins irlandais qui déchargeaient les bateaux, à Lévis, puis les trains, lorsqu’arriva le train dans la région. On finit par remplacer, dans les familles de cheminots de la région, le pain par la pomme de terre, et la morue salée par la viande hachée économique.