La cuisine de Montréal

L’île de Montréal est née, il y a 6 000 ans, après l’assèchement de la Plaine du Saint-Laurent, lors d’un réchauffement de la planète. Elle demeure, aujourd’hui, l’une des régions les plus chaudes du Québec avec une flore et une faune abondante pour ses premiers habitants. Montréal a connu, au plan culinaire, 5 époques et 5 types de cuisine.

Ses premiers visiteurs furent les Archaïques laurentiens, originaires de la région des Grands Lacs ontariens. Ces autochtones connaissaient bien la flore et la faune de la forêt laurentienne dominée par les arbres feuillus comme les érables, les ormes, les caryers et les chênes. Entre 6000 et 3000 ans avant aujourd’hui, ils se sont métissés avec les Archaïques maritimes originaires du Golfe Saint-Laurent. Les aliments préférés de ces 2 peuples étaient les poissons et les mammifères marins du fleuve Saint-Laurent dont l’eau était encore un peu salée, autour de Montréal. Le gibier représentait moins de 10% de leur alimentation. La rareté, à certaines époques, de leurs espèces préférées comme la barbue et le doré, les força à inclure plus de plantes sauvages dans leur menu. C’est ainsi que le végétal prit de plus en plus de place dans leur diète et qu’ils s’ouvrirent à l’agriculture naissante dans la région de l’Ohio, au sud des Grands Lacs ontariens qu’ils visitaient fréquemment.

Mais, il y a environ 3 000 ans, ils se métissaient à nouveau avec un peuple techniquement plus avancé, originaire de ce pays. Ce peuple connaissait l’agriculture et avait fait du maïs, la base de son alimentation.  C’est ainsi que s’est installée progressivement dans la plaine du Saint-Laurent, la culture iroquoïenne, née dans l’État actuel de New York. Leur cuisine variée se faisait dans des plats de céramique. Il y a 1 000 ans, on commençait la culture du maïs sur l’île de Montréal. Au XIVe siècle, on ajoutait la culture des courges, des haricots et des tournesols. Les Iroquoïens de Montréal assaisonnaient leurs légumes cultivés, de poisson du fleuve, de petits fruits et de noix de l’île de même que du gibier qui fréquentait l’île à certains moments de l’année. Ils savaient sécher et fumer ces aliments pour prolonger leur durée. Jacques-Cartier fut le premier Européen à témoigner de la présence de ce peuple, le 2 octobre, 1535. Cependant, au moment où Champlain mit les pieds sur l’île de Montréal, en 1603, il ne restait plus de trace des Iroquoïens sur l’île de Montréal. Leur disparition reste une énigme qui a suscité plusieurs explications hypothétiques. On pourra témoigner de cette première cuisine de Montréal confirmée par les textes et les découvertes archéologiques, en cuisinant leurs produits agricoles comme le maïs, la citrouille, la courge et le haricot-rein. On ajoutera à ces légumes des aliments sauvages ou cultivés, considérés comme des assaisonnements car on ne connaissait pas le sel ni les épices. Je parle des graines de tournesol, du topinambour, des racines d’ancolie, des patates-en-chapelet, du riz sauvage, des noix de caryer et de noyer tendre, des mures, des framboises, des fraises des bois, des baies de sureau blanc et de certains champignons comme les morilles. L’accompagnement principal de la farine de maïs cuisinée en soupe, en ragout, en galette ou en pâte à farcir était le poisson du fleuve, comme le saumon, l’esturgeon, l’anguille, le brochet, l’achigan et le doré. On ne dédaignait pas, non plus, le castor, l’ours noir, le chevreuil et le wapiti qui fréquentait l’île.

Mais ce gibier était davantage estimé par les autres ethnies qui fréquentaient l’ile, comme les Algonquins. Ces derniers se mirent à camper plus souvent sur l’île de Montréal, lorsque les Iroquoïens sont disparus de la place, au milieu du XVIe siècle. C’est ainsi que sont apparus d’autres peuples sur l’île. Il y eut, du côté des rapides de Lachine, les Iroquois Agniers, originaires de l’État de New-York, qui venaient à Montréal par le lac Champlain et le Richelieu. Ces gens avaient une culture culinaire semblable à celle des Iroquoïens de Montréal, vivant dans le même type de forêt. Les Algonquins, quant à eux, fréquentaient surtout le nord-ouest de l’île car ils étaient originaires de l’Outaouais et du nord-est de l’Ontario. Leurs ancêtres, baptisés les Algonquiens par les historiens, étaient à l’origine d’une grande culture autochtone américaine née au nord du lac Ontario, il y a 3 500 ans. Les Algonquins étaient familiers avec la forêt mixte du Canada qui mêle les conifères et les feuillus avec la flore et la faune de ce type de forêt. Leur cuisine se faisait dans des plats d’écorce de bouleau à l’aide de pierres chaudes déposées dans l’eau de même qu’à l’aide de technique de cuisson utilisant les braises pour griller, de la glaise ou du sable chaud pour cuire le gibier ou le poisson à l’étouffée. Le chevreuil, le wapiti, l’ours noir, l’orignal constituaient leurs viandes principales. L’été, le poisson d’eau douce de la rivière Outaouais de même que les coquillages d’eau douce, les écrevisses, le petit gibier ou la sauvagine constituaient leur quotidien. L’automne, on se faisait de grandes provisions de poisson fumé pour l’hiver.  L’automne et l’hiver, on se faisait de bonnes provisions de gibier fumé pour l’été. Le principal accompagnement de ce poisson et gibier était la farine de maïs importée de leurs alliés ou cultivée dans leurs jardins, à certaines époques. On se faisait aussi des provisions de noix et de petits fruits séchés pour parfumer leur gibier, en hiver. Leurs plats typiques étaient les bouillons de gibier, les ragouts de gibier épaissis avec de la farine de maïs, les collations ou entrées de viande ou de poisson séché ou fumé, le pemmican qui alliait gibier séché, graisse de gibier et petits fruits séchés.  La venue des Français avec leur batterie de cuisine en fer et en cuivre, leur farine de blé et leurs légumineuses allaient révolutionner leur cuisine, au milieu du XVIIe siècle.

Les Français débarquèrent sur l’ile, pour s’y installer de façon permanente, en 1642. Les fondateurs, Chomedey de Maisonneuve, Jeanne Mance et Marguerite Bourgeois avaient des objectifs religieux mais beaucoup de Français embarqués avec eux venaient pour des motifs financiers et aventuriers. Leur venue modifia considérablement les cuisines autochtones de l’île. On cuisinerait désormais avec des plats de métal, on chasserait avec des fusils, on pêcherait avec des hameçons de métal plutôt qu’avec des os. Et surtout, on ferait entrer progressivement, dans le menu autochtone, les assaisonnements, les condiments, les épices, les produits laitiers, les légumes verts autrefois détestés pour leur amertume. La cuisine française de Montréal commença à se distinguer de celle de Québec et de Trois-Rivières lorsqu’on réussit à mettre sur la table, des aliments qu’on ne pouvait cultiver dans les régions en aval du fleuve : les lentilles, les pois chiches, les cerises, les pêches, les poires, les vignes, les noix, en particulier, faisaient partie de la liste. Les produits autochtones comme le wapiti, le riz sauvage, les patates-en-chapelet et certains gibiers d’eau, certains poissons amplifiaient les différences. L’isolement des débuts de Montréal, à cause du conflit des Français avec les Iroquois, donna aussi de l’importance à certains aliments comme le poulet et les viandes fumées. Vivant à l’intérieur des murs, on devait se contenter des animaux domestiques qu’on pouvait élever dans une cour, comme la volaille. Le gibier qu’on réussissait à troquer avec les Autochtones était souvent fumé pour étirer sa consommation.  Comme on le sait, aujourd’hui, Montréal a toujours aimé les viandes salées et fumées.

La conquête de la Nouvelle-France par les Anglais, en 1760, modifia la cuisine déjà métissée des Montréalais d’origine autochtone et française. Les premiers marchands anglophones de Montréal venaient d’Angleterre et de Nouvelle-Angleterre. Ils avaient donc, eux-aussi, déjà modifié leur cuisine initiale, lors de leurs contacts avec les ethnies autochtones de la Nouvelle-Angleterre et de la Virginie. Mais les Montréalais n’ont pas eu le choix de s’adapter aux préférences alimentaires des conquérants : gout de la bière plutôt que du vin, gout du thé plutôt que du café, gout du bœuf plutôt que du porc, gout des desserts sucrés, de certaines épices comme la muscade et le gingembre plutôt que le clou de girofle et la cannelle, gout de la sauge et de la menthe plus que la sarriette et le thym. Mais les racines culinaires normandes communes permirent plusieurs rapprochements dans les gouts : les soupes de poisson au lait, les sauces à la crème, les fromages frais et les cheddars n’eurent pas de problème à faire l’assentiment des deux communautés. Lorsque les Irlandais et les Écossais se sont installés massivement à Montréal au début du XIXe siècle, on vit certains aliments et boissons prendre de l’importance, comme la pomme de terre, l’agneau, le bacon, les saucisses, les sauces au caramel et le whisky. Lorsque le Canada et le Québec sont officiellement nés, en 1867, Montréal avait déjà une base multiethnique importante. Et cette base s’amplifierait considérablement à partir du moment où le Canada commencerait à accueillir des gens de toutes les ethnies et les nations du monde. Plus de 80 nations sont actuellement présentes sur l’ile de Montréal ; cette diversité ethnique s’exprime beaucoup dans les restaurants de quartier et les médias traditionnels ou sociaux. Nous sommes donc en train de vivre une nouvelle révolution culinaire, plus évidente depuis l’arrivée du XXI siècle.

Conclusion : L’identité culinaire de Montréal s’est construite pendant 6 000 ans, avec son climat et sa nature particulièrement abondante et les peuples qui s’y sont installés : Archaïques laurentiens, Iroquoiens du Saint-Laurent, Algonquins, Iroquois Agniers, Français, Anglais, Américains, Écossais et Irlandais, puis 80 ethnies du monde depuis 1867, année de naissance du Québec et du Canada.

On consultera les recettes de l’ile de Montréal, sur ce site.