Soumis par Michel Lambert le
Avec des pommes de terre
Comme promis, j’aimerais aborder les lunchs du midi avec des pommes de terre. Les pommes de terre ont suscité beaucoup de recettes, chez nous, parce qu’elles sont faciles à cultiver et qu’elles sont très économiques pour ceux qui doivent les acheter. On fait cuire les pommes de terre de plusieurs manières : bouillies, rôties ou cuites au four. Chaque mode de cuisson a ses nombreuses variantes.
Avec les pommes de terre bouillies en gros morceaux, on fait de la purée avec laquelle on invente toutes sortes de croquettes avec du poisson nature, salé, fumé ou en conserve, avec des fruits de mer nature ou en conserve, coupés finement, ou encore avec des restes de viande hachée au couteau ou au hachoir ou de la viande en conserve. On ajoute des herbes fraiches ou séchées et le tour est joué. Cela constitue un lunch de vacances agréable, en saison de ski ou de plein air, en compagnie de salades, de ketchups ou de sauces trempettes appropriées, selon la garniture choisie pour personnaliser la purée. Ces croquettes sont nées en Nouvelle-Angleterre à la fin du XVIIIe siècle et sont passées au Canada avec l’immigration des Loyalistes, au début du XIXe siècle. Avec de la purée de pommes de terre, on fait aussi des galettes aux patates : la recette consiste à mélanger de la farine de blé tout usage avec de la purée de pommes de terre pour créer une pâte qui se roule avec un rouleau à pâte sur une surface farinée, laquelle on coupe en carrés ou en cercle à l’aide d’un emporte-pièce et qu’on fait revenir dans le beurre. Au XIXe siècle, on dinait juste avec ces galettes accompagnées de beurre. Certains accompagnaient leur soupe aux pois avec des galettes aux patates; plus récemment, on les assaisonnait avec du sel d’ail ou d’oignon, du cheddar râpé plutôt qu’avec du beurre. On se rappellera que cette recette est née dans la plaine du Saint-Laurent, lorsque le blé commença à se faire rare à cause de la pauvreté des terres et de l’attaque d’un insecte ravageur. On fait aussi, sur le Rive-Sud de Québec, des petits gâteaux de patates en mélangeant de la farine, de la purée avec de la poudre à pâte et des œufs. Ces petits gâteaux se mangent chauds avec du beurre. Dans Portneuf, on fait des sandwichs aux patates pilées qu’on assaisonne avec de la relish, de la mayonnaise ou du ketchup du commerce. Dans Charlevoix, on fait des crêpes aux patates pilées qu’on mange avec du beurre ou des saucisses fumées. Enfin, certains font de la purée de pommes de terre à laquelle ils ajoutent un autre légume comme du chou bouilli, du navet, du poireau, des cives ou des oignons verts. Ces purées portent divers noms chez nous; certains les appellent des vailloches ou mailloches,ou encore des pilotines en Baie-des-Chaleurs; les Québécois d’origine irlandaise les appellent des colcannons, ceux d’origine écossaise les appellent des rumbledethumps. Ils peuvent servir d’accompagnement des viandes mais à l’origine, ils faisaient, en eux-mêmes, un repas. Les gens de la Beauce servent aussi des fleurs de patates : ce sont des tas de purée qu’on creuse pour y mettre une garniture de légumes ou de champignons fondus au beurre.
Avec les pommes de terre bouillies en gros morceaux qu’on égoutte et fait refroidir, on fait aussi des patates rôties en tranches, dans l’huile, le beurre, le saindoux ou la graisse d’oie ou de canard. On les fait souvent cuire avec des rondelles d’oignon ou de l’ail et on les mange simplement avec du ketchup. On fait aussi avec les pommes de terre refroidies qu’on coupe en dés, de nombreuses variantes de salades de patates qu’on amène en lunch à l’école. Les plus simples se font avec de la mayonnaise, du céleri en dés, des oignons verts hachés, des rondelles de radis, des œufs durs, des cornichons sucrés en rondelles, des olives vertes en rondelles. Celles du vendredi traditionnel ajoutent du hareng ou du maquereau fumé. Les plus luxueuses ajoutent un peu de homard, de crabe, de crevettes ou de moules. On en fait aussi avec du jambon en dés.
Avec les pommes de terre bouillies en petits morceaux, on fait d’autres petits repas du midi. Il y a, bien sûr, la fricassée de patates, aussi appelée la sauce aux patates, dans Charlevoix, qu’on rissole dans la graisse de lard salé ou le beurre avec de l’oignon avant de la couvrir d’eau pour terminer la cuisson; il y a les patates au lait ou la frigousse qui ajoute du lait et du beurre à ce type de préparation; il y a le hachis qui consiste à faire bouillir des restes de viande ou de poisson avec des pommes de terre coupées en dés et des herbes salées; les familles d’origine écossaise font le même type de plat avec du corned beef qu’elles appellent des stovies. Les Québécois d’origine jersiaise font des patates fricachises en ajoutant des petits pois à la recette de fricassée de base. Les Québécois d’origine acadienne font des fricots avec un peu de viande ou de poisson cru qu’ils font revenir en dés dans de la graisse de lard salé, auxquels ils ajoutent des dés de pommes de terre et de l’eau à égalité. Il y a le chiard ou le chiard de goélette qui est un autre nom pour la fricassée de patates ou bien une fricassés sur laquelle on fait pocher du capelan ou de l’éperlan; il y a la bigoune qui est une fricassée de patates sur laquelle on ajoute de la petite truite de ruisseau, avec, dans certaines familles, du jus de tomate. Enfin, il y a la quioune qui est une fricassée de patates avec de la truite cuite dedans plutôt que pochée sur le dessus comme c’est le cas pour la bigoune. Enfin, la quiaude ou quiaule ou tchaude est une fricassée de patates très liquide avec un poisson de mer frais ou salé qui cuit dedans, qu’on épaissit avec de la farine ou de la fécule, par après. La quiaude se fait surtout avec de la morue ou du flétan de l’Atlantique.
Le four est aussi utilisé pour faire des petits repas de soir avec des patates au four : on les fait cuire en gros cubes sur une lèchefrite pour les manger seulement avec du beurre, avec une salade au poisson en conserve, en été, ou bien avec une sauce rapidement improvisée, en hiver. On fait aussi traditionnellement cuire des tranches de pommes de terre sur une lèchefrite ou collées après les parois du four qu'on appelle des tailles ou des ployes (plugs). Ces pommes de terre sont aussi mangées avec du beurre ou de la viande en conserve (corned beef ou jambon). Enfin, il y a les grosses pommes de terre qu’on fait cuire pendant 1h 30, qu’on évide pour réduire la chair en purée avant de la mélanger à une garniture de viande, de poisson, de coquillage ou de légumes frits au beurre comme de l’oignon, du poireau ou des champignons.
Un troisième mode de cuisson est la friture de pommes de terre en lamelles ou en dés dans un corps gras, dans une poêle épaisse; les Français les appellent communément des pommes sautées. Chez nous, on les appelle de plusieurs noms amusants comme les patates en carriole, les patates de maîtresse d’école, les patates à déjeuner, les patates roûties. Toutes ces recettes se font avec des lamelles ou des dés de pommes de terre crus, au point de départ. Ce serait des soldats en campagne qui les auraient inventées, au début du XVIIe siècle, en traversant les premiers champs de pommes de terre semés par les habitants locaux, destinées aux animaux. Les soldats affamés se résolurent à manger un aliment normalement destiné aux animaux.
Enfin, le dernier mode de cuisson des pommes de terre est celui de la friture dans un bain d’huile ou de graisse. Les frites sont certainement le plat le plus populaire de tous les plats de pommes de terre qu’on vient d’énumérer. Autrefois, les adolescents se chargeaient eux-mêmes de les préparer et la mère ou le père de famille les faisaient frire en grande quantité pour faire un petit repas de soir. Le terme « petit » est sans doute peu approprié dans ce cas-ci car les parents trouvaient toujours que c’était un « gros » repas quand la famille était nombreuse!. Par après, au lieu d’assaisonner ces frites familiales avec juste du ketchup rouge ou du vinaigre, on leur ajouat de la sauce brune, puis, dans les années 60, du fromage en grain. Ce plat qui est mainetant connu au-delà des frontières québécoises s’appelle une poutine. Le terme a été trouvé par une employée de l’inventeur de la poutine, restaurateur de Drummundville. Celle-ci, d’origine acadienne, trouvait que le plat de frites arrosées de sauce brune et de fromage en grains sur le dessus ressemblait beaucoup aux poutines acadiennes, qui sont des pâtes équivalant aux grands-pères de la majorité franco-québécoise. Les poutines acadiennes se font sur des sauces brunes salées comme les ragouts ou des sauces brunes sucrées comme les sauces à la cassonade ou au sirop d’érable.
En conclusion, la pomme de terre fait partie de notre héritage culinaire dans toutes les formes de repas, en particulier dans les lunchs ou petits repas de la journée. On la remet en question, aujourd’hui, spécialement lorsqu’elle est frite. Mais les scientifiques disent que c’est, en soi, un légume plein de qualités pour la santé humaine. La preuve est que nos ancêtres on bien souvent survécu à cause d’elle. Elle poussait partout jusque dans le Nord-du Québec, où les Autochtones, les gérants des postes de traite et les missionnaires les cultivaient, entourées de clôtures pour les protéger des animaux végétariens.
Michel Lambert, historien de la cuisine familiale.