La cuisine mohawk
Les Mohawks sont originaires de l’État de New York, au sud des Grands Lacs ontariens. Ils se sont répandus vers le nord jusqu’au lac Champlain. De l’autre côté du lac, vivaient les Abénaquis, de langue et d’origine algonquienne. Les Mohawks sont, comme tous les Iroquoïens du XVIIe siècle, des descendants des Archaïques laurentiens qui habitaient les érablières du nord-est de l’Amérique du Nord. Les Archaïques laurentiens vivaient de gibier, de noix et de fruits fournis par les érablières des Laurentides et des Appalaches de même que de mammifères marins et de poissons du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs ontariens. Mis en contact, au VIII e siècle de notre ère, avec des agriculteurs du sud des Grands Lacs, ils finirent par adopter ce mode de vie lorsque le gibier se fit plus rare dans leur environnement. C’est ainsi que la cuisine inventée par les Mayas du Golfe du Mexique fut adoptée par les nations iroquoiennes vers le Ve siècle de notre ère, puis par ceux du Québec, entre l’an 1 000 et 1 400 de notre ère. Les Iroquoiens de Stadacone (Québec) rencontrés par Jacques-Cartier en 1534, vivaient de maïs, de courges, de haricots et de poissons du fleuve comme l’anguille et le maquereau. Les potages de farine de maïs parfumés au poisson frais ou fumé de même qu’au gibier de toutes dimensions prenaient une grande place dans leur ordinaire. Les pots de haricots et de courges, les galettes de semoule de maïs mêlés à des noix de caryer, des graines de tournesol, des petites fraises, des mûres ou des atocas variaient le menu des saisons. Leurs cousins ethniques, les Hurons et les Mohawks, originaires du sud de l’Ontario et de l’état de new York, qui venaient souvent faire du commerce chez nous, finirent par adopter le Québec, à l’invitation des missionnaires français de Québec ou de Montréal. Leurs descendants continuent de pratiquer la cuisine d’origine maya et l’ont fait connaître à nos ancêtres français qui l’adoptèrent, dès le XVII e siècle.
Résumons les plats mohawks ou iroquois :
Les Mohawks (Iroquois, au fil du temps, se sont réfugiés à l’intérieur des terre pour se protéger des attaques de leurs nombrux esnnemis du nord et du sud. Ils n’eurent pas le choix de s’adapter à leur nouvel environnement et d’utiliser plus de gibier pour assaisonner leurs bouillons de farine de maïs. Il va sans dire que les différentes variétés de cerfs faisaient partie intégrante de leur alimentation. Les hommes, souvent partis en expédition de guerre, mangeaient plus de viande que les femmes qui restaient dans les villages à s’occuper des jardins et des cueillettes de fruits sauvages. Les ragoûts de cerf et de wapiti, épaissis à la farine de maïs, étaient très populaires comme le rapporte Desgroseillers, le beau-frère de Radisson, dans son journal.
Les potages onon:tara ou onon:ta’ avalés rapidement étaient souvent de l’eau mélangée à de la farine de maïs. Quelquefois même, on se contentait d’eau mélangée à de l’argile quand on était pressé et qu’on n’avait pas le temps de chasser. En temps de chasse, on faisait aussi le bouillon de cerf ohnekakeri’. Lorsque le gibier manquait, on faisait assez volontiers des potages de racines ou de tubercules comme le topinambour et les flèches d’eau (swamp potato ou wapato). L’arrivée des Européens, particulièrement des Hollandais et des Anglais, transforma leur alimentation. On fit donc la soupe aux pois comme eux. Et l’on se mit à ajouter des légumes racines aux potages de maïs frais. La pomme de terre amenée par l’armée anglaise fut introduite aux potages de maïs ou de haricots assez rapidement au XVIII e siècle. L’avoine et l’orge, particulièrement populaires chez les Britanniques, furent désormais intégrés sous plusieurs formes. — Soupe de gibier à l’orge, Soupe d’avoine et de maïs, Soupe à la perdrix et à l’ail sauvage épaissie au gruau d’avoine — Enfin, très rapidement, on se mit à intégrer les produits laitiers et les viandes domestiques européennes, apprivoisés dans les missions jésuites autour de Montréal. On fit les soupes iroquoises habituelles en leur ajoutant du lait riche en crème. Le lard salé, dans la région de Montréal, et le bacon, plus au sud, furent grandement appréciés en remplacement de la graisse d’ours pas toujours disponible.
Les Mohawks qui habitent près du fleuve et de ses lacs se nourrissaient encore récemment beaucoup de poisson kentsion comme la carpe skentsten:ni, l’anguille okonte:na’, le brochet tsikonhses et les poissons secondaires comme le crapet-soleil aten:tara, la ouitouche onekwenhtara’, le poisson-chat ohwen:ta’, les chiens de mer tia’onhare, la perche blanche ou baret oiahe:ta et les suceurs tsiononhwari:io. Aujourd’hui, ils ne dédaignent pas non plus la truite tsiotia:kton et le saumon ohie:karon de même que les fruits de mer comme le crabe otsi’ero:ta’ et la palourde takware:re. Autrefois, l’écrevisse otsi’ero:ta’ faisait partie de leur garde-manger. Ils mangeaient le poisson principalement en ragoûts épaissis à la farine de maïs, parfois rôtis avec la polenta iroquoienne, parfois en potée de haricots ou de maïs, parfois en plats complexes composés de viandes, poisson et légumes.
Les viandes les plus aimées appartenaient autrefois à la famille des cerfs: biche rohsennakehte, cerf de Virginie ohshenon, cerf rouge à queue blanche, wapiti atena:ti, orignal ska’nionhsa’ plus rarement. À l’occasion, ils mangeaient de l’ours ohkwa:ri’, du castor tsienni:to et même des carnivores comme le loup, le lynx et le renard quand leur gibier préféré se faisait rare. Le petit gibier même n’était pas dédaigné en expédition si le gros gibier était invisible. Ainsi pouvaient-ils manger de l’écureuil rouge aro:sen, du gris tahwahsen et du noir onkwe’ta:kon, de même que des cuisses de grenouille otskwahrhe’, de la tortue a’non:wara’, du porc-épic anen:taks, du rat musqué ano:kien ou du raton laveur ati:ron et plus souvent, de la perdrix ahkwe:sen’. Les oiseaux de passage comme l’outarde kahon’k faisaient aussi partie de leur diète en saison de même que les canards sonha:tsi.
Comme ils voyageaient beaucoup sur de très longues distances, ils connaissaient très bien les aliments des régions habitées par leurs parents ou leurs ennemis comme la dinde sauvage, le bison, la chèvre, certains canards nordiques, les moules de lac mais aussi le riz sauvage appelé la folle avoine par les Français et qu’eux appelaient tsukaro. Toutes ces viandes étaient consommées surtout en ragoût comme le poisson. On y incorporait en fin de cuisson des grand-pères ou dumpling appelés o’nhonhstha chez eux. Au contact des Européens, ils se mirent à redécouvrir la viande rôtie, en steak, en brochette cuite à la braise. Mais tout cela était exceptionnel et réservé aux festins et fêtes. D’ailleurs, la viande était associée à certains moments de l’année seulement et souvent mangée en expédition de guerre. Ceux qui restaient dans les villages comme les femmes, les vieillards et les enfants se nourrissaient surtout de légumes. La viande et le poisson étaient utilisés parcimonieusement sous la forme séchée, fumée, en huile et graisse pour assaisonner les plats. Comme on l’a dit, ils ont adopté les animaux domestiques des Français lorsqu’ils se sont établis sur les fermes des Jésuites au XVII e siècle, puis ils ont intégré les usages culinaires des Hollandais et des Anglais de la Nouvelle-Angleterre, particulièrement après la Conquête de 1760. C’est pourquoi la plupart sont de bons amateurs de viande rouge aujourd’hui.
La tradition culinaire mohawk accorde beaucoup d’importance aux légumes iroquoiens, en particulier au maïs. Elle possède plusieurs mots pour désigner ses formes et ses différentes préparations. Ainsi on a onenha’ pour les grains de maïs, kane’on:ni pour la semoule ou le gruau de maïs blanc, onerahtaka:te pour le maïs lessivé, kanen’on:we pour le maïs mûr, io’no:rahri pour le maïs séché, ohnenwen:ha’ pour les pousses ou germinations de maïs qu’on trouve maintenant sur les tables raffinées du Québec, onenhkwen:on’ pour l’épi de maïs devenu une institution dans la cuisine familiale de septembre et o:nenhste pour le mot générique. Quant aux plats de maïs traditionnels, il y a l’ onokwiatshera’, maïs bouilli et sucré, l’okwitshera’, du maïs brûlé moulu, au goût caramélisé, incorporé à de la viande hachée par exemple, de l’ io’nora:ri qui est du maïs simplement cuit, de l’okahsero:ta qui est du maïs frais ou qui désigne aussi le pain de maïs frais, l’ iotenherahere ou pompon de maïs, l’ onenhaken:ra’ qui est du maïs séché et bouilli longtemps, et finalement ono’ra’ qui est un reste de maïs qu’on peut incorporer à une soupe par exemple.
Ils ont suivi les préférences alimentaires de leurs voisins d’origine européenne comme le fait de manger leurs légumes à un stade moins avancé que celui auquel ils le consommaient autrefois. Ce qui leur a donné, en fait, des nouveaux légumes comme les haricots jaunes ou verts et les courgettes en plus des haricots secs et des courges qu’ils consommaient bien grosses et bien mûres auparavant. Le maïs qui était consommé principalement très mûr et sec se consomme aujourd’hui frais en saison ou en conserve depuis le début du XIX e siècle. Ils avaient d’ailleurs certaines recettes avec du maïs frais. Voici une description délicieuse que Radisson fait d’une manière d’apprêter le maïs avec des châtaignes et des graines de tournesol. Il avait été fait prisonnier par des chasseurs de tête iroquois alors qu’il était encore adolescent à Trois-Rivières. On l’avait amené en territoire iroquois au sud-ouest du lac Champlain.
" Il n’y eut que banquets pendant un temps. La plus grande part des jeunes hommes et jeunes femmes vinrent me voir, et les femmes ( avec) les meilleures viandes et un morceau de nourriture, le plus délicat et le plus cordial que je vais vous dire; ne le désirez pas, (même si) c’est le meilleur qui soit chez eux. Quand le blé d’Inde est encore vert, elles (les femmes) en ramassent selon leur besoin, elles gardent les plus grosses feuilles pour le sujet qui suit. Une douzaine de femmes plus ou moins vieilles s’assemblent, lesquelles pour la plupart n’ont pas de dents, et ne voeient pas un iota, et leurs joues pendent comme (celles) d’un vieux chien de chasse, leurs yeux (sont) pleins d’eau et tachetés de sang. Chacune prend un épi de blé d’Inde et le met dans sa bouche, lequel est à proprement parler comme du lait, le mâche, et quand la bouche est pleine, le crache dans ses mains, ...Ainsi (quand) leurs mains sont pleines de ce hachis de viande mâchée avec leurs gencives, (cela suffit) pour remplir un plat. Alors elles mâchent des châtaignes; puis elles mélangent cela à de la graisse d’ours ou de l’huile de fleur ( en français nous l’appelons tournesol) avec leurs mains. Ainsi ( quand) le mélange est fait, elles attachent les feuilles ( de blé d’Inde) à un bout et y tassent le mélange et le couvrent avec les mêmes feuilles qu’elles attachent à l’autre bout de sorte que ce qui est à l’intérieur de ces feuilles devient une boule ronde, qu’elles font bouillir dans une chaudière pleine d’eau ou de bouillon fait de viande ou de poisson, Voilà la description du morceau de nourriture le plus délicieux du monde. " p. 75
Les aventures extraordinaires d’un coureur des bois, Récit de voyage au pays des Indiens d’Amérique,Auteur: Pierre-Esprit Radisson, Traduit de l’anglais et annoté par Berthe Fouchier-Axelsen, Éditions Nota Bene, 1999, Québec
Quant aux fruits, les Mohawks connaissaient les pommes watahion:tahkwe, les raisins, les prunes rouges ou blanches, les cerises, les fraises, les mûres, les bleuets, les citrouilles, les châtaignes, les noix. Avant, on mangeait les fruits nature au déjeuner ou cuits en sirop avec du pain de maïs. Depuis quelques siècles, on fait les tartes aux fruits tewa:ia’, les gâteaux akare:t, et les biscuits kare:t à l’imitation des Français ou des Britanniques. Quoi qu’il en soit, le sirop d’érable est depuis toujours aussi associé à la cuisine iroquoise. Ainsi, on arrose de sirop d’érable la citrouille fraîchement cuite dans la braise. Si aujourd’hui, on fait la même chose avec la courge cuite au four , on remplace aussi par du beurre l’huile de noix ou de tournesol qu’on mettait dessus en fin de cuisson, autrefois.
Pour terminer, les gelées et confitures de petits fuits sauvages comme les fraises, framboises, mûres, groseilles, amélanches, raisins sauvages sont pratiquées dans les familles mohawks depuis plusieurs siècles de cohabitation avec les Québécois d’origine européenne. Notons que les petits fruits qui sont un dessert pour les Européens, servent aussi d’assaisonnement pour les potages, les viandes, les sauces et vinaigrettes dans les communautés iroquoiennes.»
Références : Histoire de la Cuisine familiale du Québec, Vol.1, p. 204 à 212; Vol.3, 426-427; Vol 4, 190-191; 245-246; 272-273.