Les fèves au lard du matin
L’origine et l’histoire de ce plat est des plus intéressantes parce qu’elle illustre parfaitement ce qu’est la cuisine québécoise : une fusion culturelle de ses peuples fondateurs.
Commençons d’abord par le nom de fèves au lard : cette appellation remonte au début du XVIIIe siècle, au temps ou le Québec s’appelait encore la Nouvelle-France. Le terme fèves désignait une famille de légumineuses commune chez nous : la grosse fève appelée gourgane par les gens de l’Est du Québec et la petite fève, aujourd’hui appelée haricot. Ce haricot français pouvait être le petit haricot péruvien amené par les Espagnols, en Europe, au début du XVIe siècle, ou le dolique à œil noir cultivé en France depuis le XIe siècle. Au siècle précédent, les Français appelaient ces deux types de haricots des féverolles, des fayots ou des phaisolles ou fézolles, --l’orthographe n’étant pas encore fixée par l’Académie française. La manière habituelle de les manger, en Nouvelle-France, était de les faire cuire dans l’âtre, du matin au midi, dans de l’eau, avec un morceau de lard salé et des herbes salées. Les jours maigres, on remplaçait le lard salé par un morceau de mammifère marin, du gras de baleine ou un gibier d’eau qui était considéré comme un poisson parce qu’il vivait principalement dans l’eau comme le castor ou le vison. Les fèves au canard de Montréal, par exemple, étaient considérées comme un plat maigre, de vendredi. Certains faisaient le plat plutôt liquide en ajoutant du lait non écrémé à la soupe. Le plat n’était pas toujours bien fait parce que les haricots cuits rapidement se désagrégeaient souvent en purée qui n’était pas appréciée de tous.
Au milieu du XVIIe siècle, les Abénaquis et les Hurons venaient s’installer près de Québec. Or ces deux nations faisaient souvent cuire leurs haricots avec du gras de gibier, du petit gibier, pendant toute la nuit, leur plat de céramique enveloppé de sable et de braises chaudes. Les Abénaquis avaient même l’habitude de remplacer l’eau par de la sève d’arbre le printemps, en particulier l’eau d’érable. Les haricots abénaquis avaient donc un petit gout sucré que les Européens de la Nouvelle-Angleterre et la Nouvelle-France appréciaient beaucoup. Les colons de la Nouvelle-Angleterre, immigrés en Amérique pour des motifs religieux, empruntèrent rapidement la recette des Abénaquis en faisant cuire leurs haricots pendant la nuit du samedi au dimanche parce qu’ils ne pouvaient travailler le dimanche, même pas faire la cuisine. Certains amplifiaient le gout sucré des fèves en ajoutant un peu de sucre d’érable à la recette, en dehors de la saison des sucres. Lorsque la ville de Boston commença a faire , comme la France, le voyage triangulaire entre les Antilles, l’Angleterre et la Nouvelle-Angleterre, les cuisiniers des bateaux américains eurent l’idée de remplacer le sucre d’érable ou l’eau d’érable de leur enfance par un peu de mélasse ou de cassonade. La nouvelle idée se répandit sous le nom des Boston beans. Ces mêmes cuisiniers furent les premiers cuisiniers engagés pour nourrir les bucherons des premiers camps installés dans le Maine, le Connecticut et le Vermont.
Certains entrepreneurs québécois ont même fait venir des cuisiniers américains d’expérience au Québec pour enseigner leurs recettes aux cuistots québécois. C’est ainsi que les recettes voyagent. Les fèves au lard sont revenues en force au Québec, lorsque la majorité des hommes se sont mis à en manger, tous les matins, dans les camps de bucherons. Et certains aimaient tellement le plat qu’ils en demandaient aussi aux autres repas, en particulier les jours maigres où l’on ne pouvait pas manger de viande. Les gens du XIXe siècle, ne mangeaient pas le gras de porc qui engraissait les fèves au lard; ils le donnaient au chien de la maison. Mais certains utilisaient plutôt du gras de canard et de la viande de canard acceptés par l’Église parce que vivant dans l’eau comme les poissons.
Les fèves au lard sont toujours un plat de déjeuner, aujourd’hui, mais on les réserve aux jours de fête ou aux dimanches quand on ne prend que deux repas.
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