Cuisine de la Baie-des-Chaleurs

La Baie-des-Chaleurs est l’une des 4 sous-régions de la Péninsule gaspésienne, située en face du Nouveau-Brunswick, sur la rive nord de la baie des Chaleurs baptisée ainsi par Jacques-Cartier, en 1534.

Ses garde-manger

1. La baie des Chaleurs ou la mer :

La morue a carrément fait vivre les fondateurs de la région. Charles Robin installa son commerce entre 1820 et 1870. Il envoyait en Europe, la plus belle morue salée et celle de qualité inférieure, dans les Antilles et au Brésil. La morue verte (salée mais entreposée dans des barils), recueillie en automne, était envoyée dans les villes du Québec et en France. Les résidents locaux ne consommaient que les parties non désirées par le commerce comme les foies, les langues, les bajoues, les têtes entières, les colonnes vertébrales (nauves) et les estomacs (gots). Même si on exportait aussi plusieurs autres poissons et fruits de mer, on consommait plus facilement ces derniers poissons en entier : je pense à l’aiglefin, au merlan, au hareng, aux gaspareaux, aux maquereaux, aux sardines, aux flétans de l’Atlantique, aux aloses, aux anguilles, aux truites de mer et au homard. Dans les années 1970, s’ajoutaient le crabe et les crevettes. La pêche à la morue s’est effondrée dans les années 1990. Elle a été remplacé par celle des crustacés et la pêche de poissons autrefois boudés comme la raie, le requin, la baudroie, le thon et l’espadon, pêché en haute mer par les pêcheurs locaux.

2. La ferme :

10 ans après leur arrivée en Gaspésie, les Loyalistes avaient installé des fermes avec des bœufs, des vaches, des moutons et de la volaille. Derrière les maisons, s’étalaient des champs de blé et de pommes de terre. Vers 1825, on voyait, près de chaque maison, un grand jardin avec de la rhubarbe et une aspergeraie, un verger de pommiers, de poiriers et de cerisiers, et parfois, une érablière. Ceci était vrai particulièrement entre Nouvelle et Port-Daniel. Et l’on trouve des pommiers jusqu’à Listuguj. Quelques-uns réussissent à récolter des pêches aussi en protégeant bien leurs arbres des vents froids. On avait ajouté du porc, parfois du lapin et quelques oiseaux exotiques comme de la pintade. Chaque famille aisée possédait en moyenne plus d’une douzaine de vaches laitières, 2 chevaux, une trentaine de moutons et une dizaine de porcs. À Bonaventure, chez les Acadiens, c’était un peu différent, on mangeait moins de mouton que chez les Loyalistes même s’il fallait en élever pour la laine des vêtements qu’on devait se faire. Mais par contre, on avait beaucoup de volaille, parce qu’en bon Français, on adorait le poulet. Les deux communautés élevaient suffisamment de vaches pour vendre les surplus de lait et de crème de telle sorte qu’on pût envisager, comme ailleurs au Québec, bâtir des fromageries, vers 1890. En 1881, on cultivait en Gaspésie, 174 306 acres de terre. Juste dans la Baie-des-Chaleurs, on récoltait  35 839 minots de blé, 31 932 d’orge, 5 529 de seigle, 64 446 de sarrasin, 327 de maïs, 194 570 d’avoine, 704 432 de pommes de terre, 101 490 de navets, 31 753 d’autres racines et 2 527 de haricots. La crise économique des années 30 fit baisser les cheptels de telle sorte qu’au début de la Première Guerre mondiale, les fermes comptaient plus, pour élever des familles nombreuses, sur 1 à 2 chevaux, 2 bœufs, 3 vaches, 7-8 moutons, 3 cochons et deux douzaines de poules. Cependant, lorsque la richesse augmenta, certaines familles grossirent leurs fermes et certaines ajoutèrent même une serre pour y planter des tomates, des poivrons verts et même des aubergines comme j’en ai vu l’incroyable exemple.

3. La forêt :

Alfred Pellan écrit, en 1914 : « On dit que ce n’est pas généralement le gibier qui manque au chasseur de la Gaspésie, mais plutôt la poudre et le plomb. Cette assertion n’a rien d’exagérée car le gibier foisonne partout dans la forêt, sur les battures, sur les grèves et sur les innombrables cours d’eau. L’orignal, le caribou, l’ours, la martre, le pékan, la loutre, le vison, le castor et la perdrix abondent dans les grands bois, tandis que les espèces les plus variées de gibier à plume encombrent les baies et les estuaires des rivières. L’outarde, l’oie sauvage et le canard sont particulièrement nombreux.» Et il ne mentionne pas le lièvre et le cerf de Virginie qui sont particulièrement présents, encore aujourd’hui, ni les petits oiseaux qu’on appelait, à l’époque, des ortolans et que les petits garçons attrapaient sur les grèves. Il s’agissait alors des alouettes, des bécasseaux, des pluviers, etc

 

Ses fondateurs :

LES MIG’MAQ 

Cette nation autochtone s’est installée définitivement dans la région au début du XV e siècle, probablement à l’arrivée des premiers pêcheurs européens dans le secteur. Elle parle un dialecte algonquien comme ses ancêtres abénaquis installés en Nouvelle-Angleterre, il y a 3 000 ans. Au moment de la venue de Jacques-Cartier dans la baie des Chaleurs, elle habitait dans une trentaine de bourgades tout au long de la Baie, de Restigouche, à l’ouest, jusqu’à Pabos., sur la Pointe de Gaspé. La disparition des Iroquoiens de la plaine du Saint-Laurent, entre 1550 et 1570, leur aurait permis d’agrandir leur territoire sur toute la pointe de la Gaspésie. La bonne relation que les Micmacs avaient avec les Français de Port-Royal, en Acadie, et les pêcheurs normands qui passaient l’hiver chez eux, dans plusieurs bourgs de la baie des Chaleurs, aurait favorisé de nombreux échanges culturels entre les deux ethnies.

Aujourd’hui, les Micmacs sont regroupés à Listuguj (nom micmac de Ristigouche,), à Gesgapegiaq (Gaspé) et à Maria. Le cœur de la cuisine micmac se fait avec le saumon, les coquillages, le gros et petit gibier local et les petits fruits. La soupe de coquillages parfumée aux herbes et la soupe aux légumes amérindiens sont deux potages festifs. Les gigo (boulettes de poisson) qu’on faisait autrefois en mélangeant de la farine de maïs avec du saumon cuit et qu’on faisait frire dans l’huile de loup-marin ou de baleine, les sauces aux coquillages (huîtres, palourdes, coques, etc.) qui accompagnent, aujourd’hui, les filets de poisson panés, les fameux dagonigade que les Américains appellent clam bake, les cipailles aux coquillages, au lièvre et au porc-épic, les civets de lièvre aux huîtres, l’outarde au blé d’Inde lessivé, sont des exemples de cette cuisine.

LES ACADIENS

Lors de la conquête de l’Acadie par les Anglais en 1755, plus de 1000 Acadiens se réfugièrent chez les Micmacs de Listuguj (Restigouche). Après la guerre, en 1763, ils vinrent fonder  les premiers villages français de la Baie des Chaleurs à Cascapédia, Bonaventure et Paspébiac. En 1764, ils fondaient Tracadigêche qui s’appelle Carleton, aujourd’hui. Ils sont devenus pêcheurs, en été, et chasseurs, en hiver, comme les Micmacs. Les Acadiens sont à l’origine de 70% de la population actuelle de la Baie-des-Chaleurs. L’influence de leur cuisine est donc marquante. Elle est fondamentalement liée aux trois garde—manger locaux : la mer, la forêt et la ferme de subsistance. Les embouchures de rivières, en particulier, sont des endroits chanceux pour tout : poissons, oiseaux de mer, gibier qui vient y boire, etc. Et la terre y est bonne pour le jardin. Ils font l’élevage du bœuf, du porc et du mouton comme tout le monde. Ils ont évidemment des vaches pour le lait, la crème et les sous-produits. Les volailles et les oies, appelées pirounes, sont aussi toujours présentes dans les fermes. Quant au jardin, le chou, le navet, le maïs, les haricots appelés les fayots, les fèves vertes appelées les fèves à palette, les gourganes ou fèves des marais portant toutes sortes de noms selon les villages et les familles : orteils de prêtre, ou de sœurs, ou de pape, ou de capucin. Les pommes de terre empruntées des soldats anglais sont aussi populaires tout comme les céréales : blé pour le pain, orge pour la soupe, la bière et les animaux, avoine pour le gruau et pour les chevaux, et sarrasin pour les crêpes. Une particularité fermière de la cuisine acadienne, c’est l’importance accordée aux fanes et aux feuilles des légumes qu’on met dans le sel, en conserve ou directement dans la soupe aux feuilles, ou qu’on mélange aux pommes de terre pour faire des crèmes. Les fanes de navet et de betteraves sont très populaires tout comme les feuilles de laitue, de radis, de rabioles, d’épinards et de pissenlits. On en met même en conserve pour en ajouter au bouilli d’hiver pour retrouver le goût que ce légume ajoute à l’ensemble du bouilli.

LES LOYALISTES

En 1784, un contingent de Loyalistes originaires de l’État de New-York venait s’établir dans la région, à New-Carlisle. C’était des gens instruits et fortunés qui possédaient de grandes connaissances en agriculture et qui pouvaient les mettre à profit dans la baie, à cause de la richesse de ses terres riveraines. Par la suite, plusieurs de leurs compatriotes se joignent aux Acadiens déjà implantés à Escuminac, Carleton, Maria, New-Richmond, Hopetown et Shigawake. Et quelques-uns s’établissent à l’embouchure de la rivière Matapédia et à Miguasha. On y plante des pommiers, des poiriers, des cerisiers, mais aussi des petits pois, des asperges et des épinards qui amènent de la variété dans la cuisine gaspésienne. Non pas que les Acadiens ne connaissaient pas ces légumes, mais leurs nombreux déplacements avaient fini par réduire leurs légumes aux racines et légumineuses faciles à conserver. Leurs contacts fréquents avec les Etats-Unis les mettent à l’affut aussi de toutes les nouveautés amenées par les Immigrants méditerranéens. C’est ainsi que plusieurs familles loyalistes de mettent à semer dans des serres des tomates, des poivrons verts, des courgettes et des aubergines avant la Deuxième Guerre mondiale en 1938. Le premier livre de recettes régionales du Québec vient de la Baie-des-Chaleurs et est sorti en 1945. The Black Whale Cook Book témoigne de ce que je vous raconte, avec ses recettes venues de toutes les communautés ethniques de la région, mais en particulier des communautés anglophones.

Parlons un peu des apports fermiers des Loyalistes en commençant par les céréales. On a construit assez rapidement des moulins qui permirent de moudre les céréales en farine et leur donnèrent la chance de pratiquer sans problème la généreuse cuisine britannique du matin avec ses griddle cakes, les spoon cakes, les muffins, les crumpets, les pancake, les scones, les popovers et les whafles. De plus, les pains sous toutes sortes de forme, les pâtes jetées à la cuiller sur les ragoûts ou les sirops de fruits, ou jetées sur la tôle à biscuit, les nombreux poudings cuits à la vapeur, dans un sirop au four, dans une poche de coton déposée dans de l’eau bouillante sur le feu, et que sais-je encore, témoignent de la prédominance des glucides dans la cuisine britannique et loyaliste. La farine de maïs des Iroquois de l’État de New York n’a pas eu de misère à se frayer un chemin dans le cœur et la bouche de ces gens! Les Loyalistes imitèrent les galettes et les gâteaux de maïs qui devinrent d’usage courant sur leur table : qu’on pense au Johnny Cake (le gâteau que se faisaient les Amérindiens lorsqu’ils partaient en voyage : Journey cake), au Slap Jack, à l’Indian bread, à l’Indian meal pancake, etc.. Citons en terminant le Sea Pie et le hachis qui sont des plats typiquement loyalistes et qui sont passés sur toutes les tables du Québec, dès la fin du XIX e siècle. Beaucoup de ces plats n’étaient pas nés aux États-Unis mais dans les Iles Britanniques.

LES PÊCHEURS FRANÇAIS DE PLAISANCE (sud-ouest de Terre-neuve)

Pendant plus de 63 ans, la France a occupé le sud et le côté ouest de l’île de Terre-Neuve alors les Anglais occupèrent le nord et le coté est. Ce nom avait été donné à la région par les Basques en souvenir de l’un de leurs villages natals qui s’appelait Plazencia, en espagnol et Guipeicoa , en Basque. La ville de Plaisance était le centre local français de toute la région, depuis 1626. Les îles Saint-Pierre et Miquelon faisaient partie de cette colonie. Entre 1678 et 1688, environ 20 000 Français faisaient la pêche dans cette colonies française, dont plusieurs Canayens du Québec.

Les pêcheurs installés à Plaisance venaient principalement de l’Aunis, de la Saintonge, de la Bretagne, de la Normandie, de la Gascogne et du Pays basque. En 1692, la région était infestée de corsaires français qui dévalisaient les bateaux anglais pour s’approvisionner en denrées que la mère patrie n’envoyait pas à la colonie. En 1697, Pierre Le Moyne d’Iberville attaquait massivement Terre-Neuve et brulait la grande majorité des villages anglophones. En 1711, l’Angleterre attaquait Plaisance sans succès. Les Britanniques furent scandalisés de la brutalité des soldats français. Le tout se termina avec une reddition par la France, de la colonie de Plaisance. Le 27 septembre 1713, le gouverneur français ordonnait l’évacuation de 700 français dont un certain nombre retournèrent en France, d’autres se réfugièrent au Cap breton pour construire Louisbourg. Après la reddition de Louisbourg, plusieurs pêcheurs de Plaisance vinrent s’établir à Paspébiac, dans la Baie des Chaleurs où ils fournirent le principal contingentement des pêcheurs compétents venus travailler pour Charles Robin, installé à Paspébiac. Quelques-unes de ces familles s’installèrent plutôt à Port-Daniel et à Gascons. Parmi il y avait des Basques.

LES IRLANDAIS

La plupart des Irlandais gaspésiens sont arrivés vers 1850 pour fuir la famine installée chez eux avec la célèbre maladie de la pomme de terre qui leur enleva leur principale denrée. D’autres voulurent fuir l’Acte d’Union en 1800, ou désertèrent de l’armée anglaise, lors des guerres de Napoléon à la même époque. C’est ainsi que plusieurs d’entre eux se retrouvèrent sur la pointe de Miguasha. Arrivés directement d’Europe, ils s’installèrent presque aux mêmes endroits que certains de leurs compatriotes passés par les États-Unis, soit à l’embouchure de la Matapédia, à Ristigouche, Miguasha, Maria, New-Richmond et Caplan. La pomme de terre n’avait pas de secret pour les Irlandais : ils en faisaient du pain, de la farine, des galettes, des gâteaux, des purées, des pâtés et de nombreuses recettes que nous avons, en grande partie, adoptées. Comme on dit, la nécessité est mère de toutes les inventions; c’est leur pauvreté qui les amena à créer tant de plats de pommes de terre pour survivre. Servie en plat végétarien avec d’autres légumes comme le poireau, le chou, les carottes, les panais et les navets, ou avec de l’agneau, des coquillages et du poisson de mer, la pomme de terre faisait partie de tous les plats, même au déjeuner. En arrivant dans la Baie-des-Chaleurs, la plupart des Irlandais se sont mis à la pêche. Mais la culture de la pomme de terre leur permettait de boucler leur budget car ils vendaient leurs surplus aux pêcheurs saisonniers de la Côte.

LES ÉCOSSAIS

Ils étaient davantage attirés par la forêt et tout ce qu’on peut faire avec du bois : de la construction de bateaux ou de maisons, des moulins à scie, ou simplement de la coupe forestière. C’est pourquoi on les a vu acheter beaucoup de petites scieries en arrivant au pays et les développer en ajoutant une plus value aux moulins : certains étaient  équipés pour moudre la farine et pour carder la laine. Les Écossais de la Baie-des-Chaleurs se sont implantés de l’embouchure de la Matapédia jusqu’à Listuguj (Restigouche), puis à Nouvelle, sur les rives de la rivière Cascapédia, à New-Richmond, Caplan et Hope Town. Leur connaissance profonde du saumon en  a fait des alliés naturels des Micmacs. C’est pourquoi on les trouve installés près des rivières à saumon de la région. En ayant des commerces, les Écossais n’ont pas eu le choix d’apprendre la langue de leurs commettants et d’entretenir de bonnes relations avec eux. Leur cuisine est donc passée facilement dans toutes les communautés ethniques de la Gaspésie. Le gruau d’avoine et l’orge (barley) ont pris du gallon avec eux. Les Écossais aiment beaucoup le saumon et les fruits de mer. Ils furent gâtés dans la Baie-des-Chaleurs où ils purent faire, entre autres, des soupes consistantes de crabe ou de moules avec du gruau d’avoine comme le mussel brose et le partan bree. Le gruau leur permit aussi de paner leurs filets de poisson, de farcir leur saumon ou leur viandes, d’assouplir leurs pains de viande et d’épaissir leurs potages aux poireaux, aux tomates, aux gourganes, au poulet ou aux oiseaux de mer. L’orge eut la même fonction dans leurs célèbres broth à l’agneau, au bœuf et à la perdrix. Enfin, qui ne connait pas les non moins populaires galettes au gruau, les croustades, toutes d’origine écossaise. 

LES JERSIAIS

Ils sont concentrés plutôt à l‘est de la baie des Chaleurs, particulièrement à Paspébiac qu’ils ont marqué avec leur accent anglo-normand. Quand on dit Jersyais, on prend un raccourci pour désigner dans les faits, tous les gens qui viennent des iles anglo-normandes comme l’île Guernesey et l’île Jersey, situées en face de la Normandie, mais qui appartiennent aujourd’hui au Royaume-Uni. La grande majorité d’entre eux sont venus travailler pour leurs compatriotes de la famille Robin. Plusieurs étaient pêcheurs, d’autres marins, quelques-uns commis et d’autres étaient des artisans, des menuisiers qui s’occupaient de l’entretien des bâtiments de la compagnie. Quelques familles se sont intégrées, à la longue, à la communauté anglophone de la Baie-des-Chaleurs, tout en continuant de parler le patois normand à la maison. Ils ont été parmi les premiers francophones européens à adopter la pomme de terre comme légume courant. C’est eux qui nous ont d’ailleurs donné les patates fricassées que tous les Québécois d’un certain âge connaissent. Ils les appelaient, au XVIII e siècle, exactement du même nom : les patates fricachies. Mais les Jersyais d’aujourd’hui ajoutent souvent des pois verts aux pommes de terre et ils les accompagnent de tranches de concombre. Un autre plat populaire chez eux est la pilotine qui correspond à la purée de pommes de terre et de légumes-racines pour laquelle on a plein de noms différents au Québec, selon les régions et les ethnies.

Enfin citons les plats d’origine anglaise qu’ils nous ont fait connaitre comme les damplinnes (dumplings), le black butter (sorte de tartinade aux pommes, cidre et épices) et les poudind’cârot (pouding aux carottes).

LES BASQUES

Le fameux ttioro basque (prononcer tioro) qui est une espèce de bouillabaisse de plusieurs poissons, ressemble beaucoup à tchaude ou thiaudeou tiode ou quiode, le plat porte-drapeau de la Baie-des-Chaleurs. Les Basques changent le d pour le r seulement. Ce plat de poisson qui est un peu leur plat national avait certainement beaucoup de place en Gaspésie. Toujours en parlant de poissons ou de fruits de mer, les Basques aimaient beaucoup les chipirons (calmars ou encornets), chez eux, qu’ils appelèrent des squids ici, comme le faisaient les Anglais. Ils ont continué à en farcir ici, à en servir en beignets ou en salades. Les merlus n’étaient jamais rejetés à la mer par les Basques; ils les aimaient avec les premiers légumes verts du jardin comme les asperges et les petits pois. De plus, lorsqu’ils pêchaient un thon égaré dans la Baie des Chaleurs comme il arrivait qu’on en trouve au mois d’août alors que l’eau est encore plus chaude, ils ne se faisaient pas prier pour préparer le marmitako qui est un ragôut de thon avec des pommes de terre et des tomates. À l’automne, ils partageaiten leur goût pour l’anguille avec les Jersiais et les Canadiens-français. Ils la préparaient avec beaucoup d’oignons, de l’ail et du piment fort (Espelette). Ils déjeunaient avec des omelettes à la petite truite de ruisseau comme les Écossais du coin et farcissaient leurs plus grosses truites avec du pain et du jambon de Bayonne. Ce sont les recettes de la mer que j’ai repérées le plus facilement. Le Axoa (prononcer Hachua) basque ressemble comme deux gouttes d’eau au hachis avec ses lamelles de viande ou ses restes de viande fricassés avec de l’oignon et des épices, entre autre leur piment national (Espelette). Aujourd’hui, on y ajoute des poivrons. Le tripotcha qui est aujourd’hui un boudin de mouton au Pays basque, désignait autrefois un boudin d’abats mélangés à du sang d’agneau, de porc ou de bœuf, — le mot a la même origine que tripes, tripot. — comme on en voit des exemples chez les Acadiens et les Jersiais. Les Basques arrivés vers 1850 connaissaient les tomates et répandirent son usage dans les plats de poisson de sorte qu’on rencontre beaucoup de soupes et de plats de poisson incluant des tomates en Gaspésie. Par après, ils adoptèrent rapidement les poivrons verts de telle sorte que ces légumes sont souvent associés en cuisine gaspésienne contemporaine. L’appellation «à la basquaise» qu’on donne au bœuf, au poulet, au veau fait appel à ces deux légumes. Le fameux jambon de Bayonne (ville basque), si populaire au début de la colonie à Québec, était surement consommé aussi à Pabos, sous le Régime français et par la suite par les colons basques, eux-mêmes. Ils l’utilisaient parcimonieusement pour parfumer leurs farces de poisson ou de volaille, par exemple. Signalons en terminant, que les Basques faisaient aussi des merveilles (beignets tressés) tout comme les Jersiais.

LES FRANCO-QUÉBÉCOIS ET LES NORMANDS

La parenté culinaire entre les Franco-Québécois et les Normands installés dans la région est plus qu’évidente. J’ai compté au moins 75 soupes québécoises d’origine normande!Citons la soupe au riz et aux moules et la soupe à l’orge aux légumes et poissons de mer; dans les entrées, les salades aux poissons marinés ou salés qu’on égoutte, arrose d’huile et de moutarde et qu’ on mange avec du pain de ménage de même que les salades de turbot servi froid avec des œufs durs, le tout arrosé de vinaigrette; le homard bouiili qu’on sert en salade de pommes de terre avec des œufs durs, des cornichons et des câpres, Dans les poissons préférés des Normands, il faut citer le turbot et la sole. Les Canadiens-Français utilisent toujours ces mêmes mots, dans le quotidien, pour désigner des poissons semblables qu’on trouve dans les eaux canadiennes mais qui ne portent plus ces noms. Le turbot s’appelle ici le flétan du Groenland et la sole désigne plusieurs variétés de plie qui fréquentent les eaux du fleuve et du golfe. Il faut ajouter l’aiglefin, parfois appelé aigrefin et parfois écrit églefin, comme en France. Certains prennent même le nom anglais haddock. Donnons des recettes populaires de poisson originaires de Normandie. On prépare le turbot bouilli (flétan du Groenland) avec une sauce à la crème, avec une sauce aux huitres, dans un riz au curry, en sauce béchamel recouverte de purée de pommes de terre, poché au vin blanc, en filet cuit au four sur un lit de petits légumes, en coquilles ou cassolettes gratinées. La sole ou les plies se servent simplement cuites au four arrosées de beurre, ou pochées au vin blanc et arrosées de beurre, ou cuites en filets dans la grande friture, ou frites à la poêle arrosées de citron, cuites en papillote avec du vin blanc ou du cidre et des échalotes, et certains connaissent les grands classiques de la cuisine française originaire de Normandie où l’on accompagne la sole de moules, de crevettes en crème de champignons après l’avoir pochée au vin blanc. L’aiglefin est servi poché arrosé de beurre avec des pommes de terre bouillies ou cuit au four, recouvert de rondelles d’oignons et de champignons, saupoudré d’herbes et de chapelure, et gratiné.

Il y aurait encore beaucoup de recettes normandes à donner car ce sont elles qui dominent carrément la cuisine gaspésienne; citons, en plus des précédentes, le bar rayé bouilli avec une sauce au homard; les petits bars au barbecue avec un beurre blanc; la morue en filets pochés servie avec une sauce au homard, une sauce aux œufs, gratinée au fromage, avec une sauce aux moules; la morue salée en gratin, en sauce tomate, en sauce à l’oignon, à la béchamel, aux tomates et à l’ail, au curry, en purée de pommes de terre; le crabe en sauce, gratiné; le merlan recouvert d’oignons, de champignons et gratiné au four avec de la chapelure; le maquereau grillé, aux petits oignons, aux pois verts, bouilli avec une sauce au fenouil, avec des moules ouvertes avec une crème au curry, aux poireaux, à la béchamel parfumé aux anchois et à l’ail; des harengs grillés, en grande friture, farcis au pain, recouverts de champignons et d’herbes en papillote; des éperlans en brochette, bouillis avec un beurre fondu; les moules marinières, frites ou aux fines herbes; les huitres gratinées avec de la chapelure dans leurs coquilles; l’alose, l’anguille, la truite de mer, la perche, la brème, la tanche tautologue, la lotte de mer, la raie et la lamproie sont d’autres poissons consommés occasionnellement dans la tradition normande. Signalons en terminant que les Normands ont toujours aimé la soupe aux herbes, en particulier celle faite avec les herbes ramassées au bord de la mer. Celles-ci servaient aussi à parfumer les omelettes du midi alors qu’on était occupé à faire les travaux de la ferme en attendant les pêcheurs. On aura peut-être constaté aussi qu’il y a de grandes similitudes entre cette cuisine et celle des Loyalistes, en particulier lorsque les Normands accompagnent leur poisson de sauces aux fruits de mer. Mais rappelons-nous que l’Angleterre a déjà été normande!

LES AUTRES IMMIGRANTS EUROPÉENS

Les pêcheurs d’origine allemande ont été relativement nombreux à s’établir en Gaspésie. Ils partagent d’emblée beaucoup de choses avec la cuisine française, ayant culturellement les mêmes sources ethnologiques lointaines. Le goût pour le vinaigre et les choses acides est encore présent, aujourd’hui. D’abord, les fameux rollmops (harengs marinés avec oignons enroulés sur eux-mêmes et attachés avec un cure-dent), puis le poisson cuit avec de la crème sure plutôt qu’avec de la crème ordinaire, mais surtout, le vieil usage germanique d’arroser de vinaigre presque tout ce qu’on mange. Beaucoup d’ainés m’ont raconté qu’autrefois, on faisait surtout bouillir le poisson avec les patates à la pelurepuis on arrosait le tout avec du vinaigre au moment de manger, après avoir bien poivré le tout. Autre exemple, on aime aussi beaucoup l’anguille dans les familles allemandes : on la saisit dans le beurre et l’huile et on la sert avec des pommes de terre bouillies et une salade de concombre à la crème sure et à l’aneth. L’anguille fumée quant à elle était souvent accompagnée de pain de seigle ou servi avec des œufs brouillés et des pommes de terre sautées à l’huile, au déjeuner. Certains vieux Québécois mangeaient, jusqu’à tout récemment, du hareng bouffi (fumé entier comme on le faisait aux Îles-de-la-Madeleine) avec des pommes de terre bouillies et des cailles (lait caillé) en repas de soir d’hiver. Or cette association est typiquement germanique.

Au XIX e siècle, un groupe de Norvégiens tenta de se construire un village, à l’intérieur des terres de la région, mais ils ne réussirent pas à s’adapter à leur environnement, à part quelques-uns. Les Suédois quant à eux, sont arrivés plus récemment.  Je voudrais juste vous rappeler ici l’importance qu’ont les poissons pour les Scandinaves. Ils ne commencent pas un seul repas sans prendre quelques bouchées de hareng fumé, mariné dans le vinaigre  ou en toutes sortes de sauce. En Suède, dit-on, il y a une recette de hareng pour chaque jour de l’année. C’est tout vous dire. Je vous rappelle, enfin, un apport typiquement scandinave : les célèbres sandwichs ouverts, appelés smørbrød en norvégien et smorgasboard, en suédois. On dépose sur une tranche de pain aux œufs ou de pain de seigle, une feuille de laitue, une grosse cuillérée de crustacés (crevettes, homard, crabe) avec de la mayonnaise, du citron et du persil, ou bien un tronçon ou un filet de hareng mariné ou fumé, des sardines, des anchois, du saumon fumé ou du gravlax (saumon cru mariné à l’aneth avec du sel de mer, du sucre et du poivre en grain). Voilà qui donne l’eau à la bouche, n’est-ce-pas? C’est ce que les Franco-Québécois appelleraient «toute une beurrée»!

CONCLUSION : La Baie-des-Chaleurs possède l’une des cuisines régionales les plus originales du Québec à cause de ses multiples origines ethniques. On trouvera  la liste de 150 recettes issues de cette région.