Qu'en est-il des légumes dans notre culture?

Dans l'histoire humaine, les légumes sauvages ont longtemps été des aliments dépanneurs lors des grandes pénuries de céréales, de viandes ou de poissons. Puis ils sont devenus peu à peu les fondements de la cuisine des pauvres qui s'en faisaient des soupes-repas avec des céréales ou du gras de porc ou de mammifère marin. Le mot légumes s'appliquait, au point de départ, seulement à nos légumineuses. Ainsi, les fouilles archéologiques dans le Croissant Fertile, révèlent qu'on se faisait, il y a 10 000 ans, des soupes avec des pois, des lentilles et des fèves (gourganes). Les peuples européens, co-fondateurs du Québec contemporain, avec les autochtones locaux ou des environs, ont toujours eu une grande estime pour la soupe aux pois, aux haricots, aux gourganes et aux lentilles. Ces denrées sèches pouvaient se conserver pendant des années, au sec, et ont sauvé bien des vies au cours de notre histoire collective. De plus, ils s'apportaient en mer ou en forêt pour servir de soutien quotidien assuré. Charlemagne, au IXe siècle, exigea même que tous les paysans de son royaume se plantent des provisions de légumineuses pour faire face aux nombreuses pénuries alimentaires de cette époque. Les gens buchèrent les foêts européennes pour obéir à ce commandement qui eut un effet capital sur la cuisine de toute l'Europe. On ne mourrait plus de faim, par la suite, et la population augmenta de façon importante. On eut aussi plus de temps pour faire autre chose que la survie; les premières grandes oeuvres artistiques comme le théâtre, la poésie, la chanson et l'architecture sont nées au Moyen Âge classique (XI-XIIe siècles), suite à cette poussée de l'agriculture européenne. La même chose se produisit en Amérique avec le maïs, les haricots et les courges. Signalons que les légumineuses étaient aussi cueillies avant maturité, dans leur gousse. C'est aisni que sont nés les petits pois, les pois mange-tout, les haricots jaunes ou verts, les cosses de gourganes qu'on mettait dans la soupe.

Pour les Européens, les seconds légumes les plus importants furent les herbes ou les feuilles sauvages comestibles et les racines. Le chou est consommé depuis 5 000 ans par les riverains de la Méditerranée, de l'Atlantique, de la Manche et de la Mer du Nord. On en plante au Québec depuis 1618. Le chou sauvage poussait au bord de la mer. L'homme créa de multiples variétés de choux à partir du chou maritime sauvage: il y a le chou pommé ou cabus, les choux de Bruxelles, le chou de Savoie, le brocoli, le chou-fleur, le broco-fleur, le chou frisé ou kale, le chou-rave, le chou blanc ou rouge, etc. Les épinards sont cultivés au Québec depuis au moins 1660. Ils sont d'origine chinoise. Ce sont les Arabes qui les auraient d'abord ramenés chez eux par la Route de la soie, puis les épinards seraient passés en Espagne lors de sa conquête par les Maures, au VIIIe siècle. Ils seraient montés au nord de la France par le Sud-Ouest français. On les considérait, en France, comme des "potherbes", soit des herbes à soupe ou à fricasser dans un corps gras. Les Arabes et les Espagnols les servaient avec des pois chiches et du poisson salé. Chez nous, les épinards faisaient partie de la soupe aux herbes faite avec du riz ou de l'orge avant de devenir un légume d'accompagnement, fricassé au beurre, ou en salade, mélangé à du chou émincé. Les feuilles de bette à carde sont présentes chez nous depuis le milieu du XVIIe siècle. On les consommait comme les épinards. Le cresson est consommé depuis 5 000 ans, en Perse et en Grèce. Il est mentionné dans le premier livre de recette français, Le Viandier. Au moment où il est traversé au Québec, au milieu du XVIie siècle, on le considérait comme une potherbe, donc une herbe à soupe ou à salade. On a d'abord consommé le céleri pour ses feuilles aromatiques et non pour ses tiges, comme maintenant. Il est comme le chou, originaire d'une plante maritime qui s'appelle l'ache des marais. Cette plante est connue depuis longtemps puisqu'elle est mentionnée dans L'Odyssée d'Homère. Elle a plusieurs petits cousins domestiques comme l'âche, ou sauvages, comme notre livèche écossaise. La soupe, le ragout, la salade l'aimaient bien. Le monde des laitues est diversifié et populaire chez nous. Nous avons toujours accompagné nos viandes et nos poissons sauvages et nos viandes domestiques de laitues de saison, souvent mélangées à des herbes ou des fleurs sauvages ou domestiques. Ce sont les Romains qui nous ont initiés aux salades, au début de notre ère, en lui sjoutant du sel et de l'huile. Les Germains (Francs) les ont enrichies avec des vinaigres de vin, de hêtre ou de fruits ou du lait caillé. Jusque dans les années 1960, on a fait de la salade aux cailles, au Québec! On se faisait aussi des salades chaudes avec de la graisse fondue de lard salé et du vinaigre; la salade de pissenlit est la plus célèbre de ces salades chaudes patrimoniales. N'oublions pas enfin, les légumes aromatiques qui unissent feuilles vertes et racines comme les oignons, l'ail et le poireau. Les queues d'ail, d'oignon et de poireau faisaient partie de tous les plats de l'été. L'hiver, on plantait les poireaux et le céleri dans des chaudières de sable qu'on mettait dans la cave, et l'on consommait les feuilles blanchies de ces plants seulement.

Les légumes-racines appartiennent aussi à la culture européenne, même si les autochtones en cueillaient des sauvages occasionnellement. Je pense, entre autres, aux lys du Canada au goût anisé, aux quenouilles, aux concombres sauvages ou aux patates-en-chapelet estimés des coureurs des bois. Les Français et les Btitanniques cuisinent comme leurs ancêtres celtes, romains et germaniques, avec des carottes, des panais, des navets, des raves (radis), des betteraves, des salsifis, des persils-racines depuis leurs origines. Les Français estimaient particulièrement le navet blanc qu'on appelait le navot. Les Anglais aimaient le panais plus sucré. Et tout le monde aimaient la betterave de toutes les couleurs.

Les légumes-fruits sont apparus à diverses époques dans notre histoire. Il y a les vieux concombres qu'on a beaucoup aimés au Québec, en salade à la crème ou en cornichons. Il y a bien sûr les tomates arrivées comme des plantes décoratives vers 1830 et qu'on a commencé à manger vers 1860, qu Québec. Par après, les Américains nous ont initiés aux piments, aux poivrons. Puis les immigrants européens du Sud ont ajouté les aubergines. Les autochtones nous avaient inités aux courges et courgettes dès le début de la colonie. Ces légumes sont aujourd'hui les préférés des Québécois. On les cultive beaucoup en serre après les avoir importés de partout dans le monde.

La mode du végétarisme a remis les légumes en avant-plan. Les spécialistes de la santé et Santé-Canada en font largement la promotion pour notre santé.  Mais cette promotion nous pose un problème de taille parce que nous sommes un pays nordique dont la saison de culture ne dépasse pas 6 mois. Il faut, en hiver, trouver le moyen de conserver tous ces légumes cueillis en été. Nos mères ingénieuses ont trouvé plein de moyens pour manger des légumes en hiver : on les conserve dans le sel, dans l'huile aromatisée, dans des marinades, dans le vinaigre; on les congèle, on les fait sécher pour mettre dans la soupe; on en fait des achards, des ketchups et des chutneys avec des fruits.

Heureusement, les nouvelles technologies agricoles nous proposent des solutions pour cultiver des légumes à l'année longue, dans un pays froid. Ce sont donc des aliments à l'avenir prometteur!

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale du Québec